Cholestérol: les recommandations américaines chamboulent tout
C'est une petite révolution : les nouvelles recommandations américaines abandonnent les cibles de LDL au profit de 4 catégories de risque. Cette attitude pourrait doubler le nombre de sujets traités. 14 novembre 2013Washington, Etats-Unis - Les dernières recommandations américaines sur le cholestérol, dites ATP III (Adult Treatment Panel) remontaient à 2001, avec une actualisation en 2004. Il était donc temps de les mettre à jour. C'est chose faite : les nouvelles recommandations émises conjointement par l'American College of Cardiology et l'American Heart Association, sont publiées dans les journaux des deux sociétés savantes [1].
La publication de ces recommandations coïncide avec le prochain congrès de l'AHA, où l'on peut supposer qu'elles feront quelques vagues - on peut même supposer que tel est l'objectif.
Longtemps attendues, ces recommandations ressemblent en effet à une petite révolution. Pour l'essentiel, les cibles de LDL cholestérol sont abandonnées, aussi bien pour décider d'un traitement que pour en ajuster la dose. En lieu et place, les nouvelles recommandations proposent une sorte de grille distinguant 4 catégories de patients.
Premièrement, les sujets de plus de 21 ans, porteur d'une maladie athéroscléreuse diagnostiquée. Jusqu'à 75 ans, ces sujets doivent recevoir un traitement intensif par statine, à une dose quotidienne permettant de réduire le LDL de 50%. Au-delà de 75 ans, ces sujets doivent recevoir un traitement d'intensité modéré par statine, faisant baisser le cholestérol de 30 à 50%.
Deuxièmement, les sujets présentant un LDL cholestérol supérieur à 190 mg/dL - c'est-à-dire notamment les cas d'hypercholestérolémie familiale. Le traitement intensif par statine est recommandé.
Troisièmement, les diabétiques de type 1 ou 2, de 40 à 75 ans. Ces sujets devraient recevoir une statine à dose modérée (réduction du LDL comprise entre 30 et 50%), estiment les recommandations. En cas de risque d'évènement CV dépassant 7,5% à 10 ans, le traitement par statine devra même être intensif (baisse d'au moins 50%).
Quatrièmement, tous les patients âgés de 40 à 75 ans présentant un risque d'évènement d'au moins 7,5% à 10 ans. Le choix d'un traitement intensif ou modéré est alors laissé au prescripteur.
On note enfin, s'agissant des deux dernières catégories, que le risque d'évènement à 10 ans - IDM et AVC - est calculé à partir d'un nouvel outil* (Pooled Cohort Equations), développé conjointement à ces recommandations, et basé sur les cohortes et études de Framingham, Atherosclerosis Risk in Communities (ARIC), Coronary Artery Risk Development in Young Adults (CARDIA), et Cardiovascular Health Study (CHS).
Un patient de perdu …
Cette nouvelle feuille de route recommande de remplacer les seuils habituels de 100 et 70 mg/dL de LDL-cholestérol au profit de catégories de risque CV et d'écarter les fibrates, la niacine et l'ézétimibe, sauf pour les patients intolérants aux statines. Pourquoi pas ?
Comme le soulignent les auteurs, il n'a jamais été démontré qu'élever les doses de statine permettait d'atteindre un seuil de LDL. Cette stratégie, qui est implicite dans la désignation de cibles, n'est donc en fait pas validée. L'étude PROVE-IT (Pravastatin or Atorvastatin Evaluation and Infection Therapy), par exemple, étude de prévention secondaire après un syndrome coronaire aigu (SCA), comparait un traitement intensif à un traitement modéré, et non les conséquences pronostiques de l'atteinte de telle ou telle cible. En ce sens, donc, les nouvelles recommandations américaines colleraient de plus près aux données disponibles que les seuils admis jusqu'à présent.
Après, il reste à voir les conséquences de cette réorientation de la stratégie.
Les auteurs mettent en avant le fait qu'un certain nombre de patients, actuellement traités, ne le seront plus - ou en tout cas, ne recevront plus d'autres traitements hypolipémiants que la statine.
En présentant ces recommandations lors d'une conférence de presse téléphonique, le Dr Neil Stone (Northwest University, Feinberg School of Medicine, Chicago), responsable de l'équipe d'experts qui a participé à leur rédaction, a exposé le cas d'un patient traité intensivement en prévention secondaire, dont le LDL a pu être descendu jusqu'à 78 mg/dL, et dont le mode de vie est par ailleurs en tous points satisfaisant. Faut-il ajouter d'autres médicaments à la statine pour descendre au seuil de 70 mg/dL ? Du point de vue des nouvelles recommandations, qui ne retiennent pas la notion de seuil, la réponse est non.
… 10 de retrouvés
Il faut cependant aussi souligner qu'un sujet parfaitement normal sur le plan lipidique, mais dont le risque à 10 ans dépasse 7,5% pour des raisons de date de naissance ou d'HTA modérée, devrait, lui, être traité.
Or, ce second cas est en fait tellement plus fréquent que le premier, que l'on s'attend en pratique, si les nouvelles recommandations sont dûment appliquées, à un doublement du nombre de personnes traitées par statine aux Etats-Unis.
Du point de vue de la santé publique, cette perspective n'est pas simple. Ni en termes de surveillance des patients puisque les effets secondaires sont rares mais pas absents. Ni en termes de coût, même si toutes les statines (à l'exception de la rosuvastatine) sont génériquées. Ni, enfin, en termes d'acceptabilité sociale. Il n'est pas question de mettre une statine dans l'eau de boisson - même si la stratégie a pu être évoquée - mais le principe du traitement de masse en prévention primaire risque de ne pas faire davantage l'unanimité aux Etats-Unis qu'en France, où les récentes charges médiatiques contre les statines se posent comme symptôme.
Les seuils de LDL ne sont pas justifiés par des études. A contrario, il n'est justifié de les abandonner que si on les remplace par un dispositif plus efficace. Or, le score de risque développé par les experts américains n'a pas, lui non plus, été validé dans des études.
Ce score est principalement basé sur l'âge, la PA et le tabagisme actuel. Il ne prend pas en compte l'histoire familiale de maladie CV prématurée, les triglycérides, l'IMC, le tour de taille, les habitudes de vie, et l'histoire du tabagisme. Il a certes été élaboré dans quelques-unes des plus grandes cohortes américaines. Mais il semble n'avoir pas donné d'aussi bonnes performances dans d'autres cohortes, comme la cohorte MESA (Multiethnic Study of Atherosclerosis) ou REGARDS (Reasons for Geographic and Racial Differences in Stroke).
Les nouvelles recommandations américaines ont en somme l'immense mérite de rappeler ce que les seuils de LDL, utilisés jusqu'à présent, ont d'arbitraire. Mais l'extension de la prescription de statine qu'elles proposent pour pallier cette faiblesse des anciennes recommandations, sera sans aucun doute très discutée au congrès de l'AHA à Dallas.
(*) Possibilité d'accéder à la table d'évaluation du risque cardiovasculaire et au calculateur du risque sur le site de l'ACC : http://www.cardiosource.org/science-and-quality/practice-guidelines-and-quality-standards/2013-prevention-guideline-tools.aspx
Les déclarations des liens d'intérêt des auteurs des recommandations, et des experts consultés, sont disponibles avec la publication. |
Citer cet article: Cholestérol : les recommandations américaines chamboulent tout - Medscape - 14 nov 2013.
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