Sur-risque d'infarctus sous Pradaxa : un effet classe des anti-IIa?

Vincent Bargoin

24 octobre 2013

Omaha, Etats-Unis - Le sur-risque d'infarctus du myocarde (IDM) associé aux inhibiteurs directs de la thrombine oraux semble se confirmer. Une méta-analyse conduite par une équipe américaine et danoise, et portant sur un total de 11 essais du dabigatran (Pradaxa®, Boehringer Ingelheim), du ximelagatran (Exanta®, AstraZeneca, retiré du marché en 2006), ou de l'AZD0837 (molécule expérimentale d'AstraZeneca), abouti à un risque relatif d'IDM de 1,35 par rapport à la warfarine [1].

Par ailleurs, une seconde méta-analyse, réalisée par la même équipe, et portant sur 8 essais comparant la warfarine à un inhibiteur de la thrombine, à un anti-Xa, à l'aspirine ou au clopidogrel, exclut un effet protecteur de la warfarine.

On aurait donc bien à faire à un sur-risque véritable, probablement lié à un effet de classe, estiment les auteurs. « Ces résultats sont en faveur d'une surveillance post-marketing renforcée des inhibiteurs directs de la thrombine », concluent-ils.

Des résultats contradictoires

La notion d'un sur-risque d'IDM associé aux inhibiteurs directs de la thrombine (anti-IIa) a attiré l'attention dès l'essai RE-LY (Randomized Evaluation of Long term Anticoagulant Therapy), avec un risque relatif qui atteignait 1,38 (p=0,048) par rapport à la warfarine pour la plus forte dose de dabigatran (2x150 mg/j).

Des résultats observationnels danois, publiés en avril dernier, semblaient écarter l'hypothèse.

Mais celle-ci a resurgi durant l'été avec la publication d'une réponse à l'étude danoise critiquant fortement sa méthodologie, et la présentation, à quelques jours d'intervalle, lors du XXIVème congrès de l'International Society on Thrombosis and Haemostasis (Amsterdam, 29 juin-4 juillet 2013), d'une méta-analyse belge qui retrouvait la notion d'un sur-risque à la dose de 2x150 mg/j de dabigatran.

A partir de là, au moins deux questions devaient être posées.

Premièrement, s'agit-il effectivement d'un effet lié au dabigatran, ou plutôt d'un effet classe, observable avec d'autres inhibiteurs oraux directs de la thrombine ?

Deuxièmement, le risque observé avec ces molécules correspond-t-il à un sur-risque intrinsèque aux anti-IIa, ou au contraire à un effet protecteur du comparateur, en l'occurrence, la warfarine ?

Plus d'infarctus avec les inhibiteurs oraux directs de la thrombine…

Les nouvelles données, publiées dans l'American Heart Journal tentent de répondre à ces deux questions par deux méta-analyses distinctes.

La première porte sur 11 essais randomisés (n=39 357) comparant le dabigatran, le ximélagatran ou l'AZD0837 à la warfarine dans toutes les indications où des essais ont été publiés (prévention des AVC dans la FA, thromboembolisme veineux, thromboprophylaxie, valves mécaniques).

Les auteurs regrettent au passage que moins de la moitié des études ait comporté une définition pré-spécifiée de l'IDM, et qu'aucune n'ait comporté de définition des autres évènements ischémiques (SCA, angor instable,…).

Dans ces essais, le sur-risque d'IDM associé aux inhibiteurs directs de la thrombine, par rapport à la warfarine, était de 1,35 (IC 95% [1,10-1,66] ; p=0,005).

Les auteurs soulignent que les résultats restent cohérents lorsqu'on retire les résultats de RE-LY - précaution évidemment nécessaire, RE-LY pesant à elle-seule pour 62% du recrutement dans la méta-analyse.

On note enfin que, s'agissant du seul dabigatran, le sur-risque d'IDM dans les quatre études analysées (RE-LY, RE-COVER, RE-MEDY, RE-ALIGN) était de 1,41 ([1,09-1,83] ; p=0,009).

Mais pas moins d'IDM avec la warfarine

La seconde méta-analyse présentée dans le même papier visait, elle, à exclure un effet protecteur de la warfarine vis-à-vis des évènements ischémiques.

Les auteurs ont cette fois retenu les essais de l'idraparinux, de l'association clopidogrel et aspirine, de l'aspirine seule, de l'apixaban, du rivaroxaban, du dabigatran et du ximélagatran mais en se restreignant à la prévention des AVC dans la FA. Huit études ont été incluses, portant sur un total de 69 615 patients.

L'utilisation de la warfarine ne s'est pas soldée par un bénéfice en termes d'IDM, par rapport aux différents comparateurs (RR=1,06 ; [0,85-1,34] ; p=0,59).

Un effet classe

La double conclusion est donc celle d'un sur-risque d'évènements ischémiques, et non d'un effet protecteur de la warfarine, et d'un sur-risque que les auteurs estiment « probablement lié à la classe thérapeutique elle-même ».

« A notre connaissance, il s'agit de la première analyse à étendre le sur-risque d'IDM associé au dabigatran, à d'autres inhibiteurs oraux de la thrombine », ajoutent-ils.

Les limitations sont évidemment celles de toutes les méta-analyses, auxquelles s'ajoutent ici le fait que les IDM et autres évènements coronariens ischémiques n'ont été pré-spécifiés que dans une minorité d'études.

En fait, c'est cette situation que les auteurs tiennent pour inadmissible.

« Il est impératif que dans les futures études d'antithrombotiques, quelles que soient leurs classes, des données claires, non équivoques et dégroupées, soient publiées sur la totalité des évènements thromboemboliques indésirables, y inclus les IDM, et ceci, à tous les stades du développement », assènent-ils à la fin de leur papier.

Les inhibiteurs oraux directs de la thrombine ont jusqu'à présent échappé à ce genre d'investigation. C'est pour cette raison que les auteurs en appellent, faute de mieux, à une surveillance post-marketing renforcée.

Les auteurs déclarent n'avoir pas de conflit d'intérêt en rapport avec le sujet.

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