Oakland, Etats-Unis — Dans une étude observationnelle publiée dans Circulation Cardiovascular Quality and Outcome, l'équipe de James V. Freeman (Stanford University, Etats-Unis) relève une surmortalité de 72 % chez des insuffisants cardiaques traités nouvellement par digoxine, par rapport aux patients recevant des inhibiteurs du SRAA et des bêta-bloquants) [1].
L'effet de la digoxine est neutre sur les réhospitalisations, ce qui contraste avec l'étude pivotale mais ancienne DIG (Digitalis Intervention Group) qui montrait une réduction de 30 % des hospitalisations. L'éditorial propose de rétrograder la digoxine dans les recommandations [2].
Pour le Pr Yves Juillière (Nancy), interrogé par heartwire, cette étude ne permet absolument pas de conclure. Le Pr Juillière estime que l'éditorial est entaché d'un parti pris contre la digoxine : « on aurait pu mettre les mêmes références et en conclure l'inverse ! ».
Les patients sous digoxine étaient plus graves
L'objectif était d'étudier l'efficacité et la tolérance de la digoxine en vie réelle, et dans le contexte d'un traitement optimal « moderne ».
L'analyse a été menée chez 529 sujets, qui ont été mis pour la première fois sous digoxine après un diagnostic d'insuffisance cardiaque porté entre 2006 et 2008. Ces sujets ont été identifiés dans une banque de données, sur un total de 2891 insuffisants cardiaques (18%).
Durant un suivi de 2,5 ans, l'utilisation de digoxine est liée à des taux plus élevés de décès d'une part - 14,2 vs 11,3 pour 100 personnes-années - et d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque d'autre part : 28,2 vs 24,4 pour 100 personnes-années.
En analyse multivariée tenant compte du sexe et de l'usage de bêta-bloquant, la digoxine reste associée à un risque relatif supérieur de mortalité (1,72 ; IC95%[1,25-2,36]). Elle reste cependant neutre sur les hospitalisations pour IC (RR :1,05 ; [0,82-1,34]).
« Ces résultats suggèrent que l'utilisation de la digoxine devrait être réévaluée dans le traitement de l'insuffisance cardiaque systolique à l'ère des traitements modernes » écrivent les auteurs.
« C'est un registre avec analyse a posteriori et les patients qui reçoivent la digoxine sont plus graves et moins bien traités : il n'est donc pas étonnant qu'ils décèdent davantage ! » estime le Pr Juillières en soulignant que l'étude comporte un fort biais d'indication.
On constate notamment que les patients en FA ou en flutter représentent 39,5 % de l'effectif sous digoxine (contre 19,2 % dans le groupe sans digoxine), et qu'ils ne bénéficient pas d'une analyse séparée.
L'intérêt des faibles doses
Les recommandations européennes positionnent la digoxine comme traitement de deuxième intention pour les patients restant symptomatiques, dont la FEVG est inférieure à 45 % et intolérants aux bêta-bloqueurs ou à l'ivabradine (niveau de preuve IIbB).
La digoxine reste d'actualité : « Une étude récente a montré que la digoxine dans l'étude DIG avait le même résultat sur le critère combiné que SHIFT avec l'ivabradine, pour un coût bien plus bas » souligne le Pr Juillière. Il estime que la digoxine reste utile quand la fréquence cardiaque reste élevée malgré un traitement bien conduit.
Autre point d'achoppement dans cette étude : la surveillance biologique. 30% des patients n'ont eu aucun dosage, 27% n'en ont eu qu'un à J38, et 43 % ont eu deux dosages, alors que la digoxine a un index thérapeutique étroit. « De nombreux dosages étaient supérieurs à 1 ng/ml alors qu'ils doivent être entre 0,5 et 0,9 ng/ml » explique le Pr Juillière.
Pour l'éditorialiste, la digoxine n'a plus sa place en deuxième intention. Il estime que cette place, validée par les sociétés savantes, n'est plus justifiée car elle ne dépend que de travaux anciens et que la mise en œuvre des traitements modernes de l'IC ne laisse plus d'indication à la digoxine.
Un avis que ne partage pas le Pr Juillière car l'étude ne permet pas plus de conclure que les précédentes. Le spécialiste craint donc que la digoxine disparaisse un jour des recommandations sur la base d'arguments discutables.
L'étude a été financée par l'American Heart Association. Les auteurs déclarent n'avoir aucun conflit d'intérêt en rapport avec le sujet. |
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Citer cet article: La digoxine accusée de surmortalité dans l'IC selon une étude observationnelle - Medscape - 1er oct 2013.
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