Dépistage du cancer du poumon par scanner : une piste pour réduire les faux positifs

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

18 septembre 2013

Dépistage du cancer du poumon par scanner: une piste pour réduire les faux positifs

Des chercheurs ont développé un modèle de calcul prédictif du caractère bénin ou malin des nodules du poumon détectés par scanner. Une révolution ? Le commentaire du Pr Milleron.
18 septembre 2013

Vancouver, Canada — Des chercheurs canadiens ont mis au point un modèle mathématique dans le but de mieux prédire le caractère bénin ou malin des nodules du poumon détectés par le dépistage par scanner basse dose. Leur travail est publié dans le New England Journal of Medicine [1].

Si grâce aux progrès de l'imagerie, la détection des nodules pulmonaires est, désormais, excellente, les scanners basse dose ne permettent pas, dans l'immense majorité des cas, de préciser leur nature cancéreuse ou non. La mise à disposition d'un tel calculateur pourrait-elle servir de tremplin au dépistage annuel du cancer du poumon par scanner basse dose chez les patients à haut risque ?

Interrogé par Medscape, le Pr Bernard Milleron (Président honoraire de l'Intergroupe Francophone de Cancérologie Thoracique, IFCT) concède qu'il s'agit bien d'une étude importante et d'une avancée notable mais il émet quelques réserves sur ce modèle, en l'état.


Le dépistage par scanner recommandé aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, l'US Preventive Services Task Force (USPSTF), et plusieurs grandes sociétés savantes (l'American Cancer Society, l'American College of Chest Physicians, le National Comprehensive Cancer Network (NCCN), l'ASCO…) recommandent le dépistage en fonction des critères de l'étude NLST. En France, nous avons réuni un groupe de travail multidisciplinaire sur ce thème et notre avis est, qu'en attendant l'évaluation des autorités de santé, des dépistages opportunistes sont possibles lorsque les patients répondent aux critères de l'étude NLST.


Un suivi prospectif des nodules pendant 2 ans


L'objectif de cette étude prospective menée à partir de deux cohortes de patients à haut risque de cancer du poumon, la Pan-Canadian Early Detection of Lung Cancer Study (PanCan) et la British Columbia Cancer Agency (BCCA), est de déterminer la probabilité qu'un nodule détecté par scanner basse dose soit cancéreux. Chaque nodule a été suivi de façon prospective au moins 2 ans.

Un total de 12 029 nodules de cancer du poumon chez 2 961 fumeurs ou anciens fumeurs âgés de 50 à 75 ans ont été observés à l'aide du scanner basse dose.

Les auteurs, A McWilliams et coll. (Vancouver General Hospital, Vancouver, Canada) montrent que leur modèle mathématique est fortement prédictif avec une aire sous la courbe de 0,94 dans la cohorte de validation, soit neuf chance sur dix de tomber juste. Même pour les nodules qui ne dépassent pas 10 mm, pour lesquelles les décisions de prise en charge sont les plus complexes, l'aire sous la courbe est supérieure à 0,90 dans la cohorte de validation (BCCA).

Si un seuil d'au moins 5% de risque de cancer est utilisé avec le modèle tenant compte des spiculations (pointes en forme d'aiguilles), la sensibilité, la spécificité, la valeur positive prédictive et la valeur positive négative sont de 71,4% ; 95,5% ; 18,5% et 99,6%, respectivement. Dans ce cas, seuls 5% des nodules observés seraient classés comme positifs.

Bien que la taille du nodule soit un facteur prédictif du cancer du poumon, les résultats montrent également que l'association entre la taille du nodule et le cancer n'est pas linéaire. Le plus gros nodule n'étant pas nécessairement cancéreux. Ils confirment aussi que le siège des nodules dans les lobes supérieurs augmente la probabilité de cancer.

En outre, le papier suggère, avec un bon niveau de preuve, que les nodules péri-scissuraux ne sont pratiquement jamais cancéreux, ce qui est une notion classique renforcée par cette étude où aucun nodule de ce type n'était un cancer. Ils ne requièrent donc probablement pas de suivi par scanner. Concernant le nombre de nodules, dans les deux séries de données étudiées, les chercheurs ont constaté que le faible nombre de nodules est associé à la présence d'un cancer.

Dans l'étude, bien que des variables comme les antécédents de tabagisme, l'indice de masse corporelle et le volume expiratoire maximum seconde d'expiration forcée (FEV1 ou VEMS) identifient les fumeurs à risque de cancer du poumon, ces variables ne sont pas associées de façon indépendante au cancer du poumon après ajustement.

Trois questions au Pr Milleron

Medscape France : Différencier les nodules bénins des malins au scanner basse dose est-t-il problématique?

Pr Bernard Milleron : L'essai de dépistage National Lung Screening Trial (NLST)[2] a montré une réduction de 20% de la mortalité par cancer du poumon grâce à la réalisation annuelle d'un scanner thoracique basse dose chez des patients à haut risque. Cependant, cette réduction du risque se fait au détriment d'un nombre élevé de faux positifs. De ce fait, la valeur prédictive positive est beaucoup plus basse que nous pourrions l'espérer. La plupart du temps, les nodules détectés sont des séquelles d'une infection, notamment tuberculeuse, d'une tumeur bénigne ou d'un artéfact. La probabilité qu'il s'agisse d'un cancer du poumon lorsque le nodule est présent (VPP) s'échelonne de 2,4 à 5,2% dans les études de dépistage comme l'essai NLST, ce qui est très faible. Ce nouveau modèle mathématique cherche à diminuer le nombre des faux positifs et à augmenter la VPP. Et, il y arrive, en partie, car la VPP est ici de 18,5%.

Cette modélisation est-elle suffisante pour faire adopter plus largement le dépistage annuel du cancer du poumon par scanner ?

Ce travail poursuit ce but avec une méthodologie excellente mais je resterai prudent quant aux conclusions qu'il faut en tirer. Si dans ce papier, la technique des scanners, notamment, est parfaitement bien décrite, il me semble que les caractéristiques du tabagisme dans les deux cohortes de fumeurs étudiées sont, elles, mal précisées. Il est difficile de savoir si ces cohortes sont comparables à celle de l'étude de dépistage NLST sur ce point car l'intensité et la durée du tabagisme, qui sont classiquement prises en compte dans les modèles, ne le sont pas.

Dans la plupart des études de dépistage et dans les recommandations Nord-Américaines, il faut avoir fumé au moins 30 paquets-années et si on est ancien fumeur, il faut avoir arrêté depuis moins de 15 ans pour faire partie des populations ciblées par le dépistage.

Autre bémol, beaucoup de nodules de 1 à 5 mm ont été introduits dans l'étude, ce qui ne correspond pas à ce qui a été fait dans les études de dépistage. Dans l'essai NLST, par exemple, le nodule est considéré comme anormal s'il mesure au moins 4 millimètres. Prendre en compte des nodules plus petits pose plusieurs problèmes. D'une part, au-dessous de 5 mm, même avec des radiologues très avertis, la marge d''erreur est importante, et la visualisation des nodules n'est pas reproductible. D'autre part, ces nodules de petite taille peuvent fausser les résultats en introduisant un très grand nombre de vrais négatifs car, en pratique, un nodule inférieur à 4 mm est bénin dans la plupart des cas.

A côté de cela, je suis réservé sur les conclusions des auteurs concernant les nodules en verre dépoli. Ils suggèrent que très peu de nodules en verre dépoli sont des cancers. Or, il est possible que ces nodules n'aient pas été suivis pendant suffisamment de temps dans l'étude pour se révéler malins. Un nodule solide qui n'a pas évolué au bout de deux ans n'est pas un nodule cancéreux. En revanche, un nodule en verre dépoli peut évoluer après 5, 6, 7 ans.

Au final, ce modèle est intéressant. Mais, peut-être, pourrait-on imaginer de combiner ce type de modèle à celui utilisé dans l'étude NELSON[3] qui consiste à prendre en compte l'évolution du volume du nodule, 3 mois après le premier scanner. C'est aussi une procédure simple qui diminue considérablement le nombre de faux positifs.


Le Pr Milleron n'a pas déclaré de liens d'intérêt en rapport avec le sujet.

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