Amsterdam, Pays-Bas - L'année dernière, l'interruption prématurée de l'étude RE-ALIGN en raison d'une augmentation des saignements et des événements thrombo-emboliques mettait fin à l'espoir d'utiliser un nouvel anticoagulant oral, le dabigatran, chez les patients porteurs de prothèses valvulaires cardiaques mécaniques, nécessitant un traitement anticoagulant en alternative à la warfarine. Les résultats de cet échec sont publiés dans le New England Journal of Medicine [1], accompagnés d'un éditorial [2], et viennent d'être présentés à l'occasion du congrès de l'European Society of Cardiology[3].
Si les antivitamines K (AVK) offrent une excellente protection contre les événements thromboemboliques et hémorragiques après pose de valves mécaniques, le traitement à vie et les contraintes que cela suppose (restrictions alimentaires, surveillance…) conduisent parfois les patients à préférer les valves bioprothétiques, à la durée de vie plus courte. Fort d'essais prometteurs chez l'animal, le dabigatran a donc fait l'objet d'une étude de phase II randomisée, chez les patients implantés d'une valve mécanique.
L'objectif de RE-ALIGN (Randomized, Phase II Study to Evaluate the Safety and Pharmacokinetics of Oral dabigatran Etexilate in Patients after Heart Valve Replacement) était la prévention des événements thrombo-emboliques chez ces patients.
80 % des patients sous dabigatran dans la foulée de la pose de valve
Prospective, randomisée, ouverte et en aveugle, l'étude a été menée dans 39 centres répartis dans 10 pays. Les patients étaient âgés de 18 à 75 ans. Ils venaient d'être implantés d'une valve mécanique en position aortique ou mitrale ou les deux (population A) ou avaient été implantés plus de 3 mois avant la randomisation (population B).
Les patients étaient randomisés pour recevoir du dabigatran ou de la warfarine. Les doses étaient celles établies grâce au modèle pharmacocinétique développé dans RE-LY et fondées sur la fonction rénale, avec une dose initiale de 150 mg, 220 mg ou 300 mg, deux fois par jour.
Les patients avec un taux plasmatique circulant de dabigatran inférieur à 50 ng/mL à la plus forte dose de dabigatran étaient sortis de l'étude et switchés vers un autre AVK. Les patients du groupe warfarine devaient avoir un INR entre 2 et 3 pour ceux qui étaient à bas risque cardiovasculaire, et entre 2,5 et 3,5 pour ceux qui présentaient des facteurs additionnels ou avaient une prothèse mitrale.
L'étude a été conduite sur 12 semaines, avec une extension possible jusqu'à 84 mois.
Comme cela a été annoncé en décembre dernier [4], l'étude a été interrompue suite à l'analyse des résultats intermédiaires après levée de l'aveugle. L'excès de saignements et d'événements thrombo-emboliques observé s'est soldé par l'arrêt de l'étude dans la population A le 11 octobre 2012 et le 28 novembre 2012 dans la population B. Sur les 252 patients randomisés, 168 ont reçu du dabigatran et 84 de la warfarine. La majorité des patients appartenaient à la population A (79%).
La dose initiale de dabigatran était de de 150 mg x 2/j chez 15 % des patients, 220 mg chez 54 % et de 300 mg chez 31 % des patients. La dose de dabigatran a été augmentée chez 39 des 162 patients (24%) et l'arrêt de traitement pour cause de taux plasmatique inférieur à 50 ng/mL a eu lieu chez 13 patients (8%).
Les principaux résultats figurent dans le tableau ci-dessous. La plupart des événements thrombo-emboliques chez les patients du groupe dabigatran sont intervenus dans la population A (patients ayant démarré l'étude dans les 7 jours suivant la chirurgie), moins chez ceux dont l'implantation a eu lieu à distance (population B).
RE-ALIGN : principaux résultats Evénements |
Population A |
Population A |
Population B |
Population B |
Tous patients |
Tous patients |
Risque relatif (IC à 95%) |
p |
Dabigatran (N = 133) |
Warfarine (N = 66) |
Dabigatran (N = 35) |
Warfarine (N = 18) |
Dabigatran (N = 168) |
Warfarine (N = 84) |
|||
Décès |
1 (1) |
2 (3) |
0 |
0 |
1 (1) |
2 (2) |
0,25 (0,02 - 2,72) |
0,26 |
AVC |
9 (7) |
0 |
0 |
0 |
9 (5) |
0 |
NA |
|
AIT |
2 (2) |
2 (3) |
1 (3) |
0 |
3 (2) |
2 (2) |
0,75 |
|
Infarctus du myocarde |
1 (1) |
0 |
2 (6) |
0 |
3 (2) |
0 |
NA |
|
Saignements |
||||||||
Aucun |
35 (26) |
8 (12) |
10 (29) |
2 (11) |
45 (27) |
10 (12) |
0,01 |
|
Majeurs |
7 (5) |
2 (3) |
0 |
0 |
7 (4) |
2 (2) |
0,48 |
|
Majeurs en localisation péricardiale |
7 (5) |
2 (3) |
0 |
0 |
7 (4) |
2 (2) |
0,48 |
2 explications majeures : une dose inadéquate et des mécanismes d'action différents
Parmi les explications pouvant possiblement expliquer l'augmentation des complications thrombo-emboliques sous dabigatran, deux semblent prépondérantes. D'une part, la cible d'un taux plasmatique circulant de 50 ng de dabigatran semble inadéquate. Dans l'éditorial qui accompagne la publication, le Pr Elaine M. Hylek de la Boston University School of Medicine (Boston) indique que l'extrapolation des doses établie d'après l'étude RE-LY, où l'âge moyen des patients étaient de 71 ans, a pu poser problème, sachant que les patients de RE-ALIGN étaient bien plus jeunes (56 ans en moyenne).
D'autre part, des mécanismes d'action différents entre le dabigatran et la warfarine pourraient expliquer en partie les résultats. Ainsi, la warfarine est susceptible d'être plus efficace que le dabigatran pour bloquer l'activation de la coagulation car elle inhibe la coagulation induite par les facteurs tissulaires, de même qu'elle inhibe la synthèse du facteur X et de la thrombine, alors que le dabigatran inhibe exclusivement la thrombine. Autre facteur : l'incapacité du dabigatran à bloquer l'activation de la coagulation quand le sang est en contact avec une surface artificielle telle que celle des valves, suggère le Pr Frans Van der Werf (Louvain, Belgique), principal auteur de l'étude.
Une étude qui a conduit à contre-indiquer le dabigatran chez les porteurs de valves
L'éditorialiste Elaine M. Hylek ajoute que sur la base des résultats obtenus dans la population A, la période de mise en route du traitement anticoagulant par dabigatran n'a peut-être pas été optimal car trop proche de la chirurgie. Les principaux saignements majeurs sont survenus pendant les 2 semaines qui ont suivi l'acte chirurgical, une période, note-t-elle, où le statut des patients est prothrombogène.
« L'état post-opératoire est en effet caractérisé par une inflammation intense, une activation des plaquettes et des microparticules chargées de facteurs tissulaires procoagulants, qui sont un mécanisme connu d'activation de la coagulation ». Le Pr Hylek souligne aussi la rapidité d'action du dabigatran par rapport à l'effet maximum de la warfarine qui est, lui, retardé.
Cette étude, si elle ne présage pas des autres anticoagulants oraux, pourrait bien signer la mort de cette classe dans la prévention des thrombo-emboliques chez les porteurs de valves mécaniques, a laissé entendre le Pr Van der Werf lors de la présentation de l'étude.
Pour rappel, à l'issue de l'arrêt prématuré de l'étude RE-ALIGN, la FDA et l'Agence européenne du médicament (EMA) ont contre-indiqué l'utilisation du dabigatran chez les patients porteurs de valves cardiaques [5][6]. Une décision qui a été ensuite relayée par la France[7].
Actualités Heartwire © 2013
Citer cet article: Echec du dabigatran sur valve mécanique : les données de RE-ALIGN - Medscape - 1er sept 2013.
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