Sur-traitement du cancer de la prostate : une réalité en France

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

1er août 2013

Le sur-traitement du cancer de la prostate en France est réel

On l'évoque souvent, mais ici, les chiffres le montrent : le sur-traitement du cancer de la prostate est une réalité dans l'hexagone, surtout pour les tumeurs précoces.
1 août 2013

Toulouse, France - La question du dépistage du cancer de la prostate revient régulièrement sur le tapis. En cause, le sur-diagnostic qu'il peut entraîner mais aussi et surtout le risque de sur-traitement aux potentiels effets délétères. Mais qu'en est-il vraiment ? Ce sur-traitement régulièrement évoqué est-il une réalité en France ? Pour le savoir, Cyrille Delpierre (Unité Inserm 1027), en collaboration avec le réseau Français des registres de cancer, a évalué la proportion des patients atteints d'un cancer de la prostate potentiellement et réellement sur-diagnostiqués [1]. Leur travail met en évidence une proportion importante de sur-traitements réels, majoritairement observés chez des patients ayant des comorbidités.

De 9,3% à 22,2% des patients atteints de tumeurs au stade T1 sur-traités


L'échantillon était composé de 1840 patients diagnostiqués en 2001 issus de différents registres français du cancer. Les proportions de patients sur-diagnostiqués et sur-traités ont été estimées en comparant l'espérance de vie théorique (prenant en compte les comorbidités), à l'espérance de vie avec le cancer, selon des méthodes validées, peut-on lire dans le communiqué Inserm [2].

Les chercheurs ont ensuite identifié les patients en situation de sur-traitement potentiel, c'est à dire ceux dont l'espérance de vie théorique était inférieure à l'espérance de vie avec cancer. Et parmi ces derniers, ils ont recherché ceux qui avaient effectivement été traités (soit par chirurgie ou par radiothérapie) donc répondant à la définition d'un sur-traitement.

Résultat des investigations : 9,3% à 22,2% des patients atteints de tumeurs au stade T1 étaient sur-traités. Ce qui correspond à entre 7,7% et 24,4% des patients ayant subi une ablation de la prostate, et entre 30,8% et 62,5% de ceux recevant une radiothérapie. Pour les tumeurs au stade T2, les chiffres étaient nettement moindres : 2% de patients ayant subi une prostatectomie et 4,9 % de ceux soignés par radiothérapie étaient considérés comme sur-traités.

Pose la question d'une prise en charge appropriée


« La présence d'une comorbidité augmentait considérablement ces proportions, les patients au stade T1 avec plus de deux comorbidités étant en situation de sur-traitement potentiel dans la presque totalité des cas et étant réellement sur-traités dans un tiers des cas (33%) », souligne le communiqué.

« Une des limites importantes de notre étude a été de travailler sur des patients diagnostiqués en 2001. La situation est actuellement différente » explique Cyrille Delpierre.

Cette étude apporte donc de l'eau au moulin de la réflexion actuelle qui oriente le débat, non plus sur le dépistage, mais sur le choix d'une prise en charge appropriée. « Au vu du sur-traitement avéré du cancer de la prostate, cette prise en charge pourrait se limiter, notamment pour les patients ayant des comorbidités, à une surveillance permettant de proposer le traitement quand il deviendrait opportun » avance Cyrille Delpierre. Une attitude qui se généralise au sein de la population urologique et qui fait l'objet d'études comparatives. On se souvient notamment de cette étude suédoise qui avait comparé, deux attitudes : prostatectomie versus surveillance active, et montrait un gain de survie chez les moins de 65 ans mais pas de différence chez les plus de 65 ans.

Sachant que justifier une attitude non-interventionniste chez des patients se sachant atteints d'un cancer n'est pas sans poser problème.

Dépister ou ne pas dépister ?


La controverse est toujours d'actualité. Aux Etats-Unis, un article écrit par un médecin et intitulé « My Patient, Killed By The New York Times » a fait beaucoup de bruit [3]. On y raconte qu'un homme de 73 ans a refusé le dosage du PSA après avoir lu dans le célèbre quotidien que ce dépistage était controversé. A son enterrement, la fille de cet homme a confié au médecin-rédacteur de l'article (et par ailleurs, ami de cet homme) : « My father was killed by The New York Times ». En France, on peut rappeler le cas de ce patient qui n'avait pas hésité à porter plainte contre son généraliste pour non-dépistage du cancer de la prostate. Il avait été débouté, mais ces deux exemples montrent à quel point la question est sensible. D'un côté, les « pros dépistage » - à chercher plutôt du côté des urologues - versus les contres - plutôt chez les médecins généralistes. En jeu, les conséquences d'un dosage du PSA puis de la réalisation de biopsies aux résultats ni tout blancs, ni tout noirs, et donc l'inévitable possibilité d'un sur-diagnostic avec son lot de sur-traitements potentiellement délétères, impuissance et incontinence en tête.

Le problème du dosage par PSA, c'est la plus grande précocité des diagnostics et l'impossibilité, en l'absence de marqueurs, de déterminer les tumeurs agressives « méritant » d'être traitées. « En pratique, si l'espérance de vie du patient est supérieure à 10 ans, durée considérée comme nécessaire pour qu'un cancer devienne cliniquement significatif, le traitement est justifié » indique le communiqué Inserm [2].

Nouvelles recommandations américaines

En mai de cette année, l'American Urological Association (AUA) a reconsidéré sa position sur le dépistage du cancer de la prostate (ni en présence de symptômes, ni chez les hommes à haut risque) et publié de nouvelles recommandations [4] :

  • Pas de dépistage chez les hommes de moins de 40 ans et de plus de 70 (sauf s'ils ont une espérance de vie supérieure à 10 ou 15 ans) ;

  • Pas de recommandation à dépister les hommes entre 40 et 54 ans présentant un risque moyen ;

  • La question du dépistage doit être considérée chez les hommes âgés de 55 à 69 ans présentant un risque moyen, sous réserve de discuter avec le patient des tenants et aboutissants d'un tel dépistage (en termes de réduction de la mortalité mais aussi d'effets secondaires potentiels).

  • Un renouvellement tous les deux ans du dépistage (quand il a été décidé par le patient) est préférable à un renouvellement annuel.


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