Diabète induit par les statines : toutes les molécules ne seraient pas équivalentes

Dr Jean-Luc Breda

30 mai 2013

Toronto, Canada — Deux travaux canadiens publiés à quelques jours d'intervalles l'un dans le British Medical Journal, l'autre dans Circulation tentent de clarifier le lien entre prescription de statine et survenue d'un diabète.

Pour le premier toutes les statines ne sont pas à mettre dans le même sac et un choix judicieux de la molécule permet de diminuer cette complication de 10% à 20%. Pour le second, quelle que soit la prescription, le risque est minime et largement inférieur à la protection assurée en prévention secondaire des accidents cardio-vasculaires. Malheureusement il s'agit dans un cas comme dans l'autre d'études rétrospectives de cohortes, dont les nombreuses insuffisances limitent l'interprétation [1] [2].

Pravastatine, fluvastatine et lovastatine : le tiercé gagnant ?

L'équipe du Pr Aleesa A Carter (Toronto General Hospital) s'est fixé pour objectif d'évaluer et de comparer le risque d'apparition d'un nouveau diabète chez les patients traités par différentes statines, en fonction de la molécule prescrite.

« Les données de la littérature sont discordantes, voire contradictoires. Dans JUPITER (justification for the use of statins in prevention: an intervention trial evaluating rosuvastatin), la prescription de rosuvastatine contre placebo est associée à un sur-risque de 27% de voir apparaître un néo-diabète. Des observations comparables ont été faites avec l'atorvastatine et la simvastatine. A l'inverse, l'étude WOSCOPS (West of Scotland coronary prevention study) conclut à une diminution de ce risque de 30% avec la pravastatine. Une mise au point s'imposait » explique le Pr Carter.

Ce travail exploite les données issues des archives de divers organismes de santé de l'état d'Ontario. Leur recoupement a permis le suivi a posteriori d'une cohorte de 471 250 patients initialement non diabétiques, âgés 66 ans ou plus, ayant débuté un traitement par statine entre le 1er août 1997 et le 31 mars 2010.

Le critère principal d'évaluation était la survenue d'un nouveau diabète. Après prise en compte et correction en fonction de divers facteurs de risque (âge, sexe, co-morbidités, antécédents cardio-vasculaires, etc…), le risque pour chaque molécule était comparé à celui observé sous pravastatine, molécule servant de référence dans la plupart des analyses et qui aurait un effet protecteur selon plusieurs expérimentations animales et études cliniques.

Au final, il apparaît que la fréquence de voir apparaître un nouveau diabète est de 23 pour 1000 patients par année de suivi sous pravastatine). Ce risque est statistiquement comparable sous fluvastatine et lovastatine, mais augmenté avec l'atorvastatine (31/1000), la rosuvastatine (34/1000) et à un moindre degré sous simvastatine (26/1000).

Ces résultats sont identiques en prévention primaire et secondaire (respectivement 48,3% et 51,7% de la cohorte), avec un risque proportionnel à la durée du traitement, plus important pour des doses majeures ou moyennes par rapport aux faibles prises (en particulier pour rosuvastatine).

A prendre avec prudence car biais non négligeables


Ces données sont toutefois à prendre avec réserve car il ne s'agit pas d'un travail prospectif et l'étude souffre d'importantes limites. En raison du mode de recueil des données, les expérimentateurs ne disposaient pas de renseignements aussi importants que le poids des patients, leur origine ethnique, leurs antécédents familiaux, leurs taux initial de glycémie, triglycérides, cholestérol, autant d'éléments indispensables à prendre en compte dans la stratification des risques. Il est donc impossible d'affirmer que les groupes traités par différentes statines étaient strictement comparables.

Un autre biais réside dans le fait que l'inclusion s'étale sur 13 ans. Les habitudes de prescriptions étaient forcément différentes selon que le patient était inclus au début ou à la fin de l'étude. Les observations faites chez les premiers (les plus âgés de la cohorte et donc plus à risque) ont pu pénaliser les statines les plus anciennes par rapport aux molécules plus récentes.

 
« Le choix de la molécule permet de diminuer de 10% à 20% le risque d'apparition d'un diabète » Pr Aleesa A Carter (Toronto General Hospital)
 

Faisant abstraction de ces réserves, le Pr Aleesa A Carter estime pourtant en guise de conclusion : « Notre travail révèle que toutes les statines ne sont pas équivalentes : le choix de la molécule permet de diminuer de 10% à 20% le risque d'apparition d'un diabète ».

Les guidelines confortées


Le Dr Dennis Ko (Sunnybrook Health Sciences Center,Toronto) fait écho à cette étude en publiant un autre travail de cohorte, utilisant lui aussi les données d'archives des services de santé de l'Etat d'Ontario. Il conclut que la prescription de statines à fortes doses chez les patients coronariens n'est responsable que de très peu de cas de nouveau diabète, et permet, en revanche, de diminuer de façon très notable les rechutes d'accident cardiaque.

Son équipe a comparé rétrospectivement le devenir de 17 000 patients âgés au moins de 65 ans et hospitalisés pour nécrose myocardique entre 2004 et 2010. Les sujets furent répartis en deux groupes selon qu'ils avaient bénéficié d'un traitement « intensif » ou « standard ».

Le premier (52% de l'échantillon) était caractérisé par une prescription journalière de plus de 40 mg d'atorvastatine, de plus de 20 mg de rosuvastatine ou encore de plus de 60 mg ou de simvastatine.

Le second (48%) comportait les sujets qui à l'inverse s'étaient vu prescrire soit des doses inférieures d'atorvastatine (<40mg), de rosuvastatine (<20 mg) ou de simvastatine (<60 mg) soit encore de la fluvastatine, de la lovastatine ou de la pravastatine (toutes doses confondues pour ces dernières).

Cinq ans après l'hospitalisation initiale pour accident cardiaque, un diabète est apparu chez 13,6% des patients sous fortes doses contre 13,0% avec le traitement standard (différence non significative au plan statistique).

Cependant, le premier groupe connait moins de décès et d'hospitalisations pour problème cardiaque (44,8% vs 46,5%; p=0,04). La diminution du nombre de récidive cardiaque est également statistiquement différente (22,2% vs 23,5%; p=0,04), mais pas le critère isolé de mortalité.

 
«La prescription de fortes doses de statine devrait donc être la règle après un accident cardiaque. Malheureusement seul un patient sur deux en bénéficie » Dr Dennis Ko (Sunnybrook Health Sciences Center,Toronto)
 

Le Dr Ko estime au final que «  la prescription de fortes doses de statine devrait donc être la règle après un accident cardiaque. Malheureusement seul un patient sur deux en bénéficie ».

Mais ici encore l'interprétation des données incite à la prudence : le taux de cholestérol initial et des facteurs de risque comme le tabac, l'obésité, le régime alimentaire n'étaient pas connus des investigateurs, donc non pris en compte dans la stratification du risque initial de chaque patient, pas plus que les raisons qui ont présidé, au cas par cas, au choix d'une posologie standard ou d'une forte dose de statine.

Difficile dans ces conditions de fonder avec certitude ses choix thérapeutiques sur de tels résultats.

L'étude du Dr Carter a été soutenue par une bourse du Ministère de la santé de l'Ontario et du Long-Term Care (MOHLTC) Drug Innovation Fund et de l'Institute for Clinical Evaluative Sciences (ICES), un établissement à but non lucratif financé par le MOHLTC de l'Ontario.
Tous les auteurs ont rempli un formulaire de déclaration de liens d'intérêt et l'un des auteurs, MMM, a déclaré avoir reçu des honoraires de Boehringer Ingelheim, Sanofi-Aventis, Lilly, Pfizer, Bristol-Myers Squibb, Merck and Bayer.
L'étude du Dr Ko a été soutenue financièrement par l'Institute for Clinical Evaluative Sciences (ICES). L'analyse de l'étude a été soutenue par une bourse du Canadian Institutes of Health Research (CIHR).
Aucun des auteurs n'a declaré de liens d'intérêt.

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