Le DSM-5 va-t-il accroitre les diagnostics « psy » ? Réponse du Pr Granger
Le guide diagnostic de la psychiatrie, le DSM-5 est sorti. Pour une fois, de nombreux psychanalystes et psychiatres neurobiologistes s'accordent : ils n'y trouvent pas leur compte. 24 mai 2013Paris, France—La nouvelle version du guide diagnostic de la psychiatrie, le DSM-5 est enfin sortie et les critiques persistent. Pour une fois, nombreux sont les psychanalystes et les psychiatres neurobiologistes qui s'accordent : ils n'y trouvent pas leur compte.
Medscape France a demandé son avis au Pr Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l'université Paris Descartes et responsable du service psychiatrie à l'hôpital Tarnier (Paris).
Point de vue du Pr Bernard Granger
Medscape : Que pensez-vous du nouveau DSM-5 ?
Pr Bernard Granger : Pour ma part, j'ai un avis nuancé. Globalement, le DSM permet depuis 1980 aux psychiatres du monde entier de parler la même langue. De ce point de vue, il est très utile.
En revanche, le DSM-5 avait pour objectif de « changer de paradigme » et de s'appuyer sur des bases scientifiques solides, notamment neurobiologiques, et il n'a pas réussi à atteindre cet objectif, tout simplement parce que cela est utopique.
En outre, les études de terrain pour tester la fiabilité des nouveaux troubles introduits par le DSM-5 n'ont pas pu être menées à terme.
Au final, le DSM-5 ne va pas changer grand-chose et il ne corrigera pas l'inflation des diagnostics et des traitements liés à son utilisation aux États- Unis. Les bases scientifiques des changements proposés sont peu solides et ces changements perpétuels finissent par être contre-productifs. Jamais une nouvelle édition du DSM n'avait été critiquée à ce point.
Les troubles mentaux n'obéissent pas à un déterminisme simple. Ils sont le fruit de facteurs sociaux, psychologiques et biologiques. Essayons de ne pas être trop dogmatique ou trop simplificateur.
Quelles sont les principales critiques à l'encontre du DSM-5 ?
D'un côté, le DSM, depuis le DSM-III jusqu'au DSM-5, est très critiqué par les psychanalystes parce que leur doctrine a perdu son influence. A l'opposé, les chercheurs en psychiatrie le critiquent parce qu'ils ne le jugent pas adapté aux recherches biologiques. Ils considèrent la classification du DSM-5 trop imprécise, et font valoir que les catégories diagnostiques regroupent des populations trop hétérogènes pour être utiles à la recherche neurobiologique. Le National Institute of Mental Health (NIMH) a d'ailleurs annoncé qu'il allait s'écarter des critères du DSM-5 et publier ses propres critères : les NIMH Research Domain Criteria (RDoC).
Pensez-vous que les nouveaux troubles qui figurent dans le DSM-5 comme l'hyperphagie boulimique, le trouble de dérégulation dit d'humeur explosive, ou le trouble d'accumulation compulsive « hoarding « puissent mener à des sur-traitements ? Pourquoi ?
Oui. La définition des troubles telle qu'elle figure dans le DSM répond à un modèle strictement médical : symptômes, diagnostic, traitement. A partir du moment où la maladie est bien identifiée, et même si ses frontières avec ce que l'on pourrait considérer comme des comportements normaux ou peu pathologiques est floue, la tendance est de la traiter. Le DSM est de plus beaucoup plus compatible avec une approche médicamenteuse que d'autres modèles nosologiques.
Mais, certains disent que ce n'est pas parce que tel ou tel trouble est décrit dans le DSM que les médecins vont forcément porter davantage de diagnostics et prescrire davantage de médicaments…
Ce n'est pas entièrement faux en théorie, sauf que c'est ce qu'on observe en pratique aux Etats-Unis. Au cours des vingt dernières années, Outre-Atlantique, le taux de troubles bipolaires chez l'enfant a été multiplié par 40, d'autisme par 20. Les diagnostics de trouble de déficit de l'attention avec hyperactivité ont triplé, ceux de trouble bipolaire ont doublé. On ne peut pas nier que le DSM ait contribué à ce phénomène [2]]. Aux Etats-Unis, 20 % des adultes américains prennent un psychotrope, et un soldat actif sur huit est traité par un psychotrope [3].
En quoi la situation française diffère-telle de celle des Etats-Unis ?
En France, le DSM est surtout utilisé pour la recherche. La plupart des psychiatres ne s'y réfèrent pas plus qu'à d'autres modèles nosologiques. Une autre différence notable est qu'en France, il n'est pas nécessaire que le patient reçoive un diagnostic pour qu'il soit remboursé. Les prescriptions médicamenteuses y sont moins systématiques, notamment chez l'enfant et l'adolescent. A titre d'exemple, les psychotropes sont des molécules efficaces, que j'utilise tous les jours, mais il faut les prescrire à bon escient, avec retenue et discernement, sans empiler les traitements, et le plus souvent en association à une prise en charge psychologique structurée, elle aussi, choisie avec discernement.
Le Pr Granger n'a pas de liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique. |
Citer cet article: Le DSM-5 va-t-il accroitre les diagnostics « psy » ? - Medscape - 24 mai 2013.
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