La FDA en échec face aux « majors » du tabac

Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

13 mai 2013

La FDA en échec face aux « majors » du tabac

Après les premiers succès du Tobacco Control Act, la politique anti-tabac américaine semble marquer le pas, avec le rejet des photos dissuasives sur les paquets de cigarette, au nom de la liberté d'expression.
13 mai 2013

Rockville, Etats-Unis - Le Lancet inaugure une série d'articles consacrés au tabac par une analyse de la politique américaine en la matière, et notamment du Family Smoking Prevention and Tobacco Control Act, voté en juin 2009. Le papier, signé par Corinne G Husten (Center for Tobacco Products, Food and Drug Administration, Rockville, Etats-Unis) et Lawrence R Deyton (George Washington University School of Medicine and Health Sciences, Washington, Etats-Unis), décrit un verre d'eau à moitié vide ou à moitié plein, c'est selon [1].

Conformément à cette loi, la FDA est aujourd'hui en charge de la régulation des produits du tabac, de la régulation de la publicité et de la promotion de ces produits, et de la distribution et des ventes. La FDA est également en charge du renforcement du Tobacco Control Act, de l'acquisition de données scientifiques adéquates, et de l'éducation du public sur les dangers du tabagisme.

Les "majors" du tabac, interlocuteurs légitimes ?


Le problème est que, traditionnellement aux Etats-Unis, la loi elle-même garantit les contre-pouvoirs - en l'espèce, les compagnies de tabac, qui n'ont rien d'enfants de chœur. Comme le note Joanna E Cohen (Institute for Global Tobacco Control, Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health, Baltimore, Etats-Unis), dans un commentaire également publié par le Lancet, « bien que le Tobacco control Act puisse potentiellement sauver de nombreuses vies, on peut s'étonner de ce qu'il reconnaisse aux compagnies de tabac un statut d'interlocuteurs légitimes » [2].

« Dans un contexte de régulation, cette option peut se comprendre », poursuit-elle. Mais « les compagnies du tabac ont été jugées par les cours américaines comme ayant violé les lois civiles contre le racket, et trompé la population sur les risques sanitaires de leurs produits. Alors que les compagnies du tabac ont un statut d'interlocuteur, selon le Tobacco Control Act, les actions des « majors » suggèrent qu'elles ne contribuent pas à l'esprit du Tobacco Control Act », conclut Johanna E Cohen avec un certain sens de la litote.

Pas de photos dissuasives sur les paquets de cigarettes


Cette réflexion s'inscrit dans un contexte historique particulier. Après une guérilla juridique à épisodes multiples engagée contre la FDA par les compagnies du tabac, celles-ci viennent de marquer un point en obtenant l'annulation en appel d'un projet de labellisation des paquets de cigarettes par des photos les plus dissuasives possibles. Motif : eu égard au sacro-saint principe de la liberté d'expression, cette labellisation serait non constitutionnelle.

Un appel de l'appel supposerait de remonter jusqu'à la Cour Suprême. Or, dans un article un peu alambiqué publié dans le Huffington Post , Howard K. Koh, du U.S. Department of Health and Human Services, a signalé le 19 mars dernier que la FDA n'entreprendrait pas la démarche. Selon l'article, qui s'étend longuement sur tout ce qui a déjà été fait, ainsi que sur l'engagement du Président Obama contre le tabac, « la FDA a annoncé entreprendre des recherches pour justifier le bien-fondé d'une nouvelle labellisation, cohérente avec le Family Smoking Prevention and Tobacco Control Act ».

Les effets pervers de l'evidence based …


Même si elle ne figure pas explicitement dans l'article du fonctionnaire américain, l'explication de texte est parfaitement claire. On peut se douter que la FDA a pris, elle aussi, les conseils de quelques bons juristes, et que si elle renonce à porter l'affaire devant la Cour Suprême, c'est que la cause y serait perdue d'avance.

Pourtant, début 2013, une étude menée à Harvard, a été publiée, montrant l'efficacité des photos dissuasives, ajoutées au texte sur les paquets de cigarettes - efficacité d'ailleurs plus marquée chez les populations les plus vulnérables [3].

Mais apparemment, ces données restent insuffisantes. On accumule donc des résultats pour montrer qu'une photo ad hoc peut malgré tout pousser quelques fumeurs au dégout, et cela prendra le temps que cela prendra.

« Comme Husten et Deyton le soulignent à juste titre, c'est dans un contexte où les stratégies de santé publique basées sur des preuves seront développées à leur maximum, que la FDA sera la plus efficace pour réduire la morbi-mortalité liée au tabac », note Johanna E. Cohen dans ses commentaires.

Rappelons qu'en Europe, où l'on a moins cette tradition d'extrémisme juridique, huit pays ont imposé des photos explicites sur les paquets de cigarettes : la France, la Belgique, l'Espagne, la Grande-Bretagne, la Roumanie, la Hongrie, la Lettonie, et Malte. Les choses avancent donc parfois plus vite de ce côté-ci de l'Atlantique, mais en ordre dispersé.

La situation en Europe


Dernier aspect, enfin, qui semble inquiéter les auteurs américains. Quelques 80% des 6 millions de morts causés chaque année par le tabac, surviennent dans des pays à revenus bas ou intermédiaire. Certes, la plupart de ces pays sont loin d'avoir des politiques anti-tabac aussi élaborées que l'Europe ou les Etats-Unis, aussi insuffisantes ces politiques soient-elles. Malgré tout, la grande majorité d'entre eux adhèrent à la Convention-cadre de l'OMS sur le contrôle du tabac (175 pays au total), convention qui remonte à 2003, et que les Etats-Unis n'ont toujours pas signée [4].

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