Surmortalité liée à la digoxine : méfions-nous des statistiques !

Vincent Bargoin

23 avril 2013

Birmingham, Etats-Unis - Si les derniers résultats sur la digoxine publiés dans l'European Heart Journal n'amèneront sans doute aucune conclusion définitive sur la digoxine, ils confirment en tout cas ce que tout un chacun sait déjà des statistiques : il faut s'en méfier. Ces résultats sont plutôt rassurants, puisqu'ils infirment l'existence d'une surmortalité des patients en FA sous digoxine [1]. Il reste que si cette surmortalité demandait à être démentie, c'est bien parce qu'elle avait été suggérée par d'autres résultats.

L'étude AFFIRM

Tout part de l'étude AFFIRM (Atrial Fibrillation Follow-up Investigation of Rhythm Management) publiée en 2004, et qui comparait une stratégie de contrôle du rythme à une stratégie de contrôle de la fréquence chez quelques 4000 patients en FA persistante ou paroxysmale.

Dès la publication de cette étude, la notion d'une surmortalité était présente : dans l'article de Circulation, les auteurs mentionnaient en effet une surmortalité de 42% sous digoxine.

Apparemment, personne ne s'en est beaucoup ému, et il a fallu attendre 2012 pour voir une étude supplémentaire publiée sur cette question. Etude au demeurant inquiétante, elle, puisqu'une augmentation de 41% du risque de mortalité toutes causes y était effectivement confirmée, ainsi qu'une augmentation de 35% du risque de mortalité cardiovasculaire, et de 61% du risque de mortalité par arythmie [2].

Cette élévation du risque est-elle réelle ou non ? Selon les derniers résultats, la réponse est non.

Ces résultats ont été obtenus par la comparaison de deux groupes de 878 patients recevant ou non de la digoxine. Ces patients ont été appariés par scores de propension. Après 3,5 ans de suivi, il n'y avait aucun écart entre groupes, ni pour ce qui concerne la mortalité, ni pour ce qui concerne les hospitalisations, ni encore pour les arythmies non fatales.

Heurts et malheurs de l'analyse statistique

Alors, pourquoi ce hiatus avec les résultats antérieurs ?

L'explication la plus vraisemblable est que les changements de traitements n'ont pas été correctement pris en compte. Initialement, sur les 4060 patients d'AFFIRM, dans le groupe contrôle de la fréquence, 51% des patients étaient sous digoxine, 49% sous bêta-bloquant, et 41% sous anticalcique.

Mais les changements de traitements ont sans doute été nombreux au cours des 3,5 ans de suivi, dans les 213 centres nord-américains ayant participé à AFFIRM. La preuve en est que l'amiodarone, initialement prise par 39% des patients du groupe contrôle du rythme, était finalement prescrite à 60% de l'ensemble des patients en fin de suivi.

Dans les analyses concluant à une surmortalité sous digoxine, le risque associé au traitement a été traité comme une variable dépendant du temps sous traitement. Le problème est que les changements de traitements ont été considérés comme s'effectuant de manière aléatoire. Or, ils ne l'étaient pas. Et ici encore, la preuve en est que les insuffisants cardiaques étaient pratiquement trois fois plus nombreux en fin d'étude parmi les patients sous digoxine.

En d'autres termes, si surmortalité il y avait parmi ces patients, elle était beaucoup plus vraisemblablement liée à l'insuffisance cardiaque qu'au traitement.

Reste qu'une surmortalité n'est toujours pas exclue…

Cela étant, il n'est pas certain que la nouvelle analyse permette de lever les soupçons qui ont fini par peser sur la digoxine après la publication de 2012.

Lors du dernier congrès de l'American College of Cardiology, le Dr James Freeman (Standford Universisty, Etats-Unis) a en effet présenté des résultats d'un suivi de plus de 23.000 patients en FA (non insuffisants cardiaques), assurés par le groupe californien Kaiser Permanente, et dont 13% ont été mis sous digoxine. Après 0,8 ans de suivi, le RR de décès toutes causes confondues, était de 2,06 en défaveur de la digoxine, ceci sans sur risque d'hospitalisation, ce qui suggère malgré tout un risque de mortalité par arythmie.

Pour le moment, ces résultats, eux, n'ont pas été contredits.

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