Statines : beaucoup de patients font des interruptions de traitement
Une enquête rétrospective américaine constate que la moitié des patients sous statine arrêtent au moins un fois leur traitement. Difficile de savoir quel est l'impact réel des effets indésirables. 22 avril 2013Boston, Etats-Unis -Huabing Zhang (Pékin, Chine) et ses collègues, ont mené une étude sur les interruptions de traitement par statine chez des patients en prévention primaire ou secondaire, dans deux hôpitaux de Boston (E-U) [1].
Ce travail a été menée de manière rétrospective auprès 107 835 patients ayant reçu une prescription de statine entre 2000 et 2008, suivis au Brigham and Women's Hospital ou au Massachusettes General Hospital de Boston.
L'atorvastatine était la statine la plus prescrite, suivie de la simvastatine. Une faible proportion des patients (5%) prenaient en plus un fibrate.
17,4% d'effets indésirables rapportés dans la vraie vie
Un peu plus de la moitié (53,1%) des patients sous statine ont interrompu leur traitement au moins temporairement, et 17,4% ont déclaré un événement lié à la prise de statine.
Ces données confirment que, « dans la vraie », les effets indésirables comme les interruptions de traitement sont plus fréquents que dans les essais cliniques - où ils ne concernent que 5% à 10% des patients.
Les événements rapportés n'étaient correctement documentés que dans 30% des cas. Il s'agissait essentiellement de myalgie ou de myopathie (27% des événements rapportés ; 4,71% de la cohorte totale).
Les autres événements étaient des troubles généraux, des troubles musculo-squelettiques ou des tissus conjonctifs, des troubles gastro-intestinaux, hépato-biliaires ou du système nerveux.
Une rhabdomyolyse n'a été observée que chez 0,006% des patients, ce qui confirme qu'il s'agit d'un effet indésirable rare, soulignent les auteurs.
Par ailleurs, les troubles de la mémoire, ajoutés dans le RCP des statines à la demande de la FDA en 2012, n'ont touché que 0,06% des patients, poursuivent-ils.
Des dossiers très incomplets
Les motifs de l'arrêt du traitement n'étaient présents que dans 69,1% des dossiers et dans seulement 30% des dossiers de patients ayant déclaré un effet indésirable sous statine.
Parmi ces derniers, 59,2% ont interrompu leur traitement. La survenue d'un effet indésirable n'a été le motif indiqué dans le dossier que pour un peu moins de 4% des patients ayant arrêté le traitement. Mais les auteurs soulignent que cela ne veut pas dire que l'effet indésirable ne soit pas à l'origine de l'arrêt du traitement.
Chez les patients ayant déclaré un effet indésirable, la raison la plus fréquemment évoquée pour l'arrêt de la prise de statine était que le traitement n'était plus nécessaire (ce qui correspond au motif « par défaut » figurant dans le dossier électronique). Cette raison n'arrivait qu'en deuxième position chez les patients n'ayant pas déclaré d'effets indésirables.
Les autres motifs d'arrêt évoqués étaient d'ordre financier ou liés à la couverture d'assurance ou à un changement de statine.
Au total, les auteurs estiment que, chez les patients ayant arrêté le traitement, et dont le dossier mentionne un effet indésirable, 87% des arrêts sont imputables à cet effet.
Prescrire la même statine après un effet indésirable est souvent possible
L'interruption de traitement, et en particulier l'arrêt prolongé, ont été plus fréquents chez les patients pour lesquels un événement lié au traitement avait été déclaré.
Pour autant, plus de la moitié (59,14%) des patients ayant interrompu leur traitement suite à un effet indésirable ont été remis sous statine dans l'année suivant l'arrêt de traitement. Et parmi eux, 90% ont pris leur traitement.
Dans un peu plus de 40% des cas, la même statine qu'avant événement a été prescrite et la moitié des patients prenaient ainsi le même traitement qu'auparavant dans l'année suivant l'événement (un tiers à la même dose ou à une dose supérieure).
Parmi ceux auxquels une nouvelle statine a été prescrite après un événement mis sur le compte du traitement, seuls 13,2% ont déclaré un nouvel événement, et parmi eux seuls 9,9% ont présenté une myalgie ou une myopathie suffisamment sévère pour interrompre le traitement. Aucun cas de rhabdomyolyse n'a été observé.
Dans un éditorial accompagnant l'article, Scott M. Grundy (Dallas, Etats-Unis) estime ainsi que ces données montrent qu'il est « improbable que la plupart de ceux qui ont arrêté (le traitement) avaient une véritable intolérance aux statines ».
Le spécialiste pense ainsi que beaucoup de patients mettent sur le compte des statines des douleurs communes (comme le fait d'avoir mal de temps à autres aux muscles ou aux articulations) et que, même lorsque le problème rapporté n'est clairement pas en lien avec ce type de médicament, il est très difficile de les en convaincre.
Le taux de créatine kinase et l'allergie influencent la re-prescription
Les patients auxquels une statine a été re-prescrite malgré la survenue d'un effet indésirable n'ont pas été choisis au hasard, soulignent les auteurs.
Parmi les 560 patients ayant présenté une possible réaction allergique à une statine (23,4%), aucun ne s'est vu prescrire de nouveau une statine après arrêt du traitement.
Par ailleurs, ceux qui présentaient une élévation du taux de créatinine kinase étaient également moins susceptibles de se voir re-prescrire une statine.
Chez les patients ayant un taux de créatine kinase qui ne dépassait pas trois fois la limite supérieure de la normale, 26,6% ont arrêté le traitement pendant au moins un an après la survenue d'un effet indésirable.
Cette proportion s'élevait à 40,3% quand le taux grimpait entre trois à dix fois la limite supérieure de la normale. Parmi eux, plus de 90% ont arrêté les statines sans se voir prescrire un nouveau traitement au cours de l'étude. Mais lorsqu'une statine a été de nouveau prescrite, seuls 8,2% ont arrêté le traitement à long terme.
« Une élévation modérée du taux de créatine kinase n'est pas prédictive de la tolérance à long terme d'un traitement par statine », commentent les auteurs.
Il vaut mieux re-proposer une statine qu'arrêter complètement le traitement
« Nos résultats confirment l'hypothèse selon laquelle la plupart des événements associés aux statines rapportés dans les essais observationnels pourraient ne pas être dus à ces médicaments et que certains événements pourraient être soit suffisamment modérés pour être tolérés soit ne pas se reproduire avec d'autres statines », concluent les auteurs.
Les auteurs rappellent que l'arrêt d'une statine chez des patients à haut risque est associé à un sur-risque d'événements cardiovasculaires et que leur étude va dans le sens des recommandations actuelles - lesquelles suggèrent d'éviter d'interrompre le traitement.
Scott Grundy souligne quant à lui que « cette étude met en relief la question de l'observance …qui ne va pas de soi. Or elle représente un enjeu crucial et sans doute plus difficile à atteindre dans le contexte de prévention primaire. D'où l'importance de développer des stratégies visant à promouvoir l'adhésion au long cours à ce type de traitement.»
Citer cet article: Statines : beaucoup de patients font des interruptions de traitement - Medscape - 22 avr 2013.
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