Aalborg, Danemark - Des données rassurantes sur le dabigatran (Pradaxa®) « dans la vraie vie » viennent d'être publiées dans le Journal de l'American College of Cardiology[1]. L'analyse porte sur près de 14 000 patients danois, porteurs d'une FA non valvulaire, et traités par AVK ou dabigatran après l'autorisation de ce dernier.
En substance, les incidences des AVC et embolies systémiques, et des saignements majeurs étaient similaires sous dabigatran (quelle que soit la dose) et sous AVK. S'agissant de la mortalité, des saignements intracrâniens, des embolies pulmonaires et des infarctus (IDM), l'avantage va au dabigatran.
On sait que dans un certain nombre de pays, les autorités sanitaires ont attiré l'attention sur les risques de saignements encourus avec les NACOs. On se souvient par ailleurs du sur-risque (non significatif) d'IDM observé dans RELY.
« Un excès de saignements ou d'IDM parmi les patients traités par dabigatran n'étaient pas évident […] dans ce grand registre post-AMM », concluent les auteurs.
De bons résultats, donc, qu'il faut considérer avec satisfaction, mais aussi avec recul, eu égard, premièrement à un suivi de moins d'un an, ce qui, pour un traitement à vie, correspond presque à une phase d'instauration, et deuxièmement, à un score CHADS moyen de 1,16, qui correspond à une catégorie de patients dont beaucoup sont traités par aspirine seulement, même si une analyse rétrospective de RELY a relancé le débat sur l'anticoagulation du faible risque.
Le seul point certain, en fait, est que le registre danois, rapidement publié, se positionne comme un registre à suivre dans la vis post-AMM du dabigatran.
Une population de FA moins à risque que dans RELY
L'analyse a porté sur 4978 patients porteurs d'une FA non valvulaire, sans autre indication d'une anticoagulation, et traités par dabigatran depuis août 2011 (date de l'autorisation au Danemark), et 8936 patients traités par AVK. Les données sur ces patients étaient répertoriées dans l'Etat civil danois, le Registre national des patients, et le Registre national danois des prescriptions, trois bases de données nationales, « bien validées » soulignent les auteurs.
On note qu'il s'agissait de patients jamais traités par anticoagulant auparavant, et que les deux doses de dabigatran sont représentées (2x110 mg/ j : n=2739 ; et 2x150 mg/j : n=2239).
Les auteurs soulignent que cette population est grosso modo similaire à celle de RELY pour ce qui concerne l'âge (70,8 ans vs 71,8 ans dans RELY), la proportion de patientes (43,5% vs 36,4% dans RELY), et la proportion de sujets en prévention secondaire (16,1% vs 20% dans RELY), mais qu'il s'agit d'une population dont le risque est inférieur (CHADS2 moyen = 1,16 vs 2,13 dans RELY) et qui comporte moins de comorbidités (insuffisance cardiaque, antécédent d'IDM, diabète, HTA).
Les appariements ont été effectués par scores de propension, en distinguant les deux doses de dabigatran : les patients traités par 110 mg ont été appariés à un sous-groupe de patients traités par AVK, les patients traités par 150 mg ont été appariés à un autre sous-groupe de patients sous AVK.
Le suivi moyen a été de 10,5 mois. Le premier critère primaire associait les AVC et les épisodes d'embolie systémique. Son incidence est globalement équivalente dans les deux groupes.
Dans le détail, les résultats sont les suivants.
Risques d'AVC et d'embolie systémique dans les deux groupes de patients sous dabigatran (110 et 150 mg) par rapport aux deux groupes appariés de patients sous AVK Dabigatran 110 mg / AVK apparié |
Dabigatran 150 mg / AVK apparié |
|
AVC |
0,73 [0,53-1,00] |
1,18 [0,85-1,64] |
Embolisme systémique |
0,60 [0,19-1,60] |
1,00 [0,26-3,35] |
Dabigatran 110 mg / AVK apparié |
Dabigatran 150 mg / AVK apparié |
|
Mortalité toutes causes |
0,79 [0,65-0,95] |
0,57 [0,40-0,80] |
IDM |
0,30 [0,18-0,49] |
0,40 [0,21-0,70] |
Embolie pulmonaire |
0,33 [0,12-0,74] |
0,24 [0,06-0,72] |
Hospitalisation toutes causes |
0,53 [0,49-0,57] |
0,86 [0,79-0,93] |
Saignement majeur |
0,82 [0,59-1,12] |
0,77 [0,51-1,13] |
Saignement intracrânien |
0,24 [0,08-0,56] |
0,08 [0,01-0,40] |
Saignement GI |
0,60 [0,37-0,93] |
1,12 [0,67-1,83] |
Pas de renversement de tendance entre 10 et 14 mois
Conscients de la limitation que représente un suivi de 10 mois, les auteurs ont réalisé une analyse distincte sur le sous-groupe des patients suivis durant un an ou plus (32% des patients). Le dépassement n'est toutefois pas considérable, puisque les patients suivis plus d'un an, l'ont été 13,9 mois en moyenne.
Dans ce sous-groupe, on retrouve les mêmes résultats que dans l'ensemble de la cohorte pour les critères primaires.
On relève par ailleurs une mortalité inférieure parmi les patients traités par dabigatran à 150 mg (RR vs AVK : 0,58 ; [0,35-0,92]), mais non parmi les patients traités par 110 mg, une incidence des IDM également inférieure, mais cette fois, parmi les seuls patients traités par 110 mg de dabigatran (RR : 0,50 ; [0,26-0,89]), et des écarts non significatifs pour les saignements majeurs et GI (pour 110 et 150 mg).
Il n'y a de bon médicament que correctement prescrit
Outre la brièveté du suivi et le faible risque des patients, l'étude comporte les limites de principes inhérentes aux registres, et d'autre plus spécifiques, comme l'absence d'information sur le temps passé à l'INR cible des patients sous AVK.
On peut supposer que les danois font bien les choses. Mais paradoxalement, on peut aussi trouver dans cette bonne prise en charge, une autre limitation de l'étude.
Le problème tient en trois chiffres. Parmi les patients traités par 150 mg de dabigatran, ou 110 mg de dabigatran, ou encore par AVK, les proportions de sujets atteints d'une insuffisance rénale modérée à sévère, sont de 1,2%, 2% et 5,1% respectivement.
En d'autres termes, l'anticoagulation a été prescrite de manière adéquate. Au demeurant, les auteurs ajoutent que « peu de patients recevaient un traitement concomitant susceptible d'interagir avec le dabigatran ».
Les chiffres publiés reflètent donc peut-être l'efficacité du dabigatran dans la vraie vie, mais ils reflètent surtout l'efficacité du dabigatran convenablement prescrit dans la vraie vie.
« Dans notre cohorte, la compliance remarquable avec les recommandations danoises n'est pas une coïncidence », indiquent les auteurs. « A la différence d'autres pays, la Société Danoise de Cardiologie a pour une politique de transposer très rapidement les recommandations de l'European Society of Cardiology en recommandations nationales, et par conséquent, le niveau des connaissances sur l'utilisation du dabigatran et les différentes conditions de sécurité, est important depuis le début ».
On peut se demander quels sont ces « autres pays » - tout le monde va bien sûr se sentir visé. Il reste que la remarque sur la nécessité de préparer l'arrivée des NACOs est fondée.
L'étude a été menée sans soutien de l'industrie. Le Pr Lip déclare des activités de consultant pour Bayer, Astellas, Merck, AstraZeneca, Sanofi, BMS/Pfizer et Boehringer-Ingelheim, et des activités d'orateur pour Bayer, BMS/Pfizer, Boehringer-Ingelheim et Sanofi. Les Prs Larsen et Rasmussen declarant des activités d'orateur pour Bayer, BMS/Pfizer et Boehringer-Ingelheim. |
Actualités Heartwire © 2013
Citer cet article: Dabigatran dans la vraie vie : données d'un registre danois de FA non valvulaires - Medscape - 11 avr 2013.
Commenter