Digoxine pour l'insuffisant cardiaque : le retour ?

Dr Walid Amara, Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

26 mars 2013

Digoxine pour l'insuffisant cardiaque : le retour ?

L'étude DIG constate que la digoxine réduit les hospitalisations à un mois chez des insuffisants cardiaques âgés. Une étude de 1997 à resituer dans le contexte actuel.
26 mars 2013

San Francisco, Etats-Unis - Digoxine, le retour ? Lors du congrès de l'American College of Cardiology 2013, des résultats d'une sous-étude de DIG ont été présentés par le Dr Ali Ahmed (Birmingham, Etats-Unis), qui montrent une réduction des hospitalisations à un mois chez des insuffisants cardiaques de plus de 65 ans traités par digoxine [1].

La molécule est ancienne, l'étude DIG aussi, puisqu'elle a initialement été publiée dans le New England Journal of Medicine en 1997 [2]. Les résultats présentés à San Francisco doivent néanmoins être interprétés dans un contexte qui, lui, est relativement nouveau : le contexte de l'étude SHIFT, qui a montré, avec l'ivabradine, une diminution de la morbi-mortalité des insuffisants cardiaques avec la réduction de leur fréquence cardiaque.

Les résultats annoncés par le Dr Ahmed relèvent-ils de ce mécanisme ? C'est naturellement très difficile à dire, d'autant plus que le suivi (1 mois) reste extrêmement court. Une publication récente incite néanmoins à s'intéresser à l'hypothèse. Il s'agit d'une réanalyse des résultats originaux de DIG, basée cette fois sur le critère primaire de SHIFT, qui associe les décès cardiovasculaires et les hospitalisations pour décompensation d'IC [3].

Selon ce critère, la digoxine abouti à des résultats du même ordre de grandeur que l'ivabradine, avec une baisse d'incidence de 15% du critère primaire, contre 18% pour l'ivabradine. Et pour l'une comme pour l'autre molécule, cet effet est essentiellement lié à une baisse des hospitalisations.

« Ceci soulève la question d'un abandon trop rapide de la digoxine par la communauté cardiologique », concluent les auteurs, qui prônent une réévaluation « de son rôle potentiel dans le traitement de l'insuffisance cardiaque ».

L'allusion aux recommandations européennes dans l'insuffisance cardiaque est limpide. Ces recommandations ont en effet relégué la digoxine au statut de traitement de dernier recours, notamment du fait de l'absence d'effet du traitement sur la mortalité - critère primaire initial de DIG, mais peut-être pas le plus pertinent.

50% des patients de DIG avaient plus de 65 ans


L'étude DIG incluait 6800 patients présentant une dysfonction ventriculaire gauche avec une FE < 45% en rythme sinusal et recevant pour la majorité d'entre eux des diurétiques et des IEC. L'analyse présentée par le Dr Ahmed concerne les 3405 patients âgés de plus de 65 ans, soit 50% du recrutement de l'étude.

L'âge moyen de ces patients était de 72 ans et la fraction d'éjection moyenne était de 29%. On note que 36% des patients étaient en classe III ou IV de la NYHA.

Initialement, l'étude n'avait pas retrouvé de différence entre la digoxine et le placebo sur la mortalité totale. Il avait toutefois été retrouvé sous digoxine une diminution significative des hospitalisations pour insuffisance cardiaque de 28% avec seulement une réduction de 8% (qui a atteint la significativité) des hospitalisations toutes causes.

« Nous avons retrouvé une diminution des hospitalisations de toutes causes sous traitement par digoxine à un mois », a indiqué le Dr Ahmed. En effet, le risque relatif était de 0,66 (5,4% vs. 8,1% ; IC95% [0,51-0,86] ; p=0,002).

On note, d'ailleurs que les courbes d'hospitalisation divergent dès 7 jours et que la différence se maintenait à 90 jours (HR=0,75 ; [0,63-0,88] ; p<0,001).

Les hospitalisations pour insuffisance cardiaque étaient également abaissées sous digoxine (1,7% vs. 4,2% ; HR=0,40 ; [0,26-0,62] ; p<0,001).

A noter toutefois l'absence de différence sur la mortalité totale (HR=0,55 ; [0,27-1,11] ; p=0,096).

Qui est prêt à payer pour réhabiliter la digoxine ?


Le Dr Ahmed a plaidé pour une utilisation de la digoxine en support chez les patients âgés présentant une insuffisance cardiaque à fonction systolique altérée.

Cette conclusion a été largement critiquée par les modérateurs de la session qui ont rappelé que l'étude DIG a été réalisée à une époque où les bêtabloquants et les antagonistes des récepteurs de l'aldostérone n'étaient pas utilisés.

Cette critique pourrait peut-être être un peu nuancée. Dans la FA, on sait que digoxine et bêtabloquants sont synergiques. Qu'en est-il chez un patient en rythme sinusal ?

La digoxine agit sur la fréquence cardiaque principalement par un effet vagolytique, effet qui n'existe ni avec les bêtabloquants, ni avec l'ivabradine. La question peut donc être posée de l'intérêt d'associer la digoxine aux bêtabloquants et à l'ivabradine chez des insuffisants cardiaques âgés, dont on connait les difficultés de traitement. Le problème est naturellement l'absence de résultats prospectifs récents pour explorer l'hypothèse. Mais qui, aujourd'hui, va financer une étude sur la digoxine ?

L'étude DIG est financée par le NHLBI.
Le Dr Ahmed n'a pas déclaré de conflit d'intérêt.

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