Médiator : la proportion d'indemnisations n'est pas à la hauteur des données épidémiologiques

Aude Lecrubier

15 mars 2013

Paris, France - Un article publié dans La Presse Médicale, cosigné par les Drs Irène Frachon (pneumologue, CHU de Brest), Catherine Hill (épidémiologiste, Institut Gustave Roussy, Villejuif) et Philippe Nicot, (médecin généraliste à Panazol, expert à la Haute Autorité de Santé), dresse un bilan critique des expertises de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) sur les dommages causés par le benfluorex (Médiator®, Servier) [1].

Ce travail propose également de s'appuyer sur les données probabilistes, issues des études épidémiologiques, pour évaluer l'imputabilité au benfluorex lorsque les données morphologiques ne sont pas suffisamment informatives.

Depuis le 1er septembre 2011, pour permettre « le règlement amiable des litiges relatifs aux dommages causés par le benfluorex », l'Oniam a mis en œuvre un dispositif d'analyse des dossiers qui lui sont transmis par un comité d'experts indépendants.

En décembre 2012, le bilan officiel est le suivant : 7627 dossiers ont été déposés, 1378 ont été examinés, 797 ont donné lieu à un avis et 46 avis d'indemnisations à la charge des laboratoires Servier ont été prononcés : une proportion très importante de refus qui fait polémique.

« J'ai commencé à recevoir, en rafale, des avis d'experts des victimes et associations de victimes et il m'a semblé que ce que retenaient les experts en terme d'imputabilité du Médiator était extraordinairement bas », a commenté le Dr Frachon pour heartwire.

A la lecture des dossiers, la pneumologue a relevé deux types d'erreur d'interprétations. L'une portant sur les valvulopathies graves et l'autre sur les valvulopathies minimes à modérées. 

Le réflexe diagnostique « valvulopathies rhumatismales » doit être abandonné

« Pour ce qui est des valvulopathies graves, pendant de nombreuses années, les valvulopathies d'origine médicamenteuse ont été confondues avec des valvulopathies rhumatismales, et ça continue », note le Dr Frachon. 

Jusqu'en 2009, les valvulopathies dites restrictives évoluées étaient considérées, par défaut, comme étant des valvulopathies dites rhumatismales, supposées secondaires à un rhumatisme articulaire aigu (RAA) de l'enfance, passé inaperçu [2].

« En réalité, l'épidémiologie du RAA montre que cette maladie est devenue très rare en Europe à partir des années 50 [2]] jusqu'à presque disparaître dans les années 90 où une enquête ne recense alors plus que dix cas par an en France métropolitaine [3]. Il est donc raisonnable aujourd'hui de ne retenir comme valvulopathie rhumatismale que les valvulopathies apparues au décours d'un épisode avéré de RAA survenu en général dans l'enfance […] De plus, il est peu vraisemblable qu'une valvulopathie rhumatismale acquise dans l'enfance ou à l'adolescence reste sans symptôme pendant 40 à 50 ans, or l'âge moyen des patients demandant réparation est de 65 ans », notent les auteurs.

Pourquoi, cet amalgame ? « Morphologiquement, ces deux types de valvulopathies ne se ressemblent pas complètement mais elles ont des points communs qui ont semé la confusion. Notons, d'ailleurs, que des fusions commissurales et des calcifications caractéristiques des RAA peuvent aussi être observées dans certaines valvulopathies médicamenteuses », explique Irène Frachon.

 
En dépit des communications nombreuses que nous avons faites pour alerter sur le fait que lorsqu'il n'y a pas eu de rhumatisme articulaire aigu et que le patient a été exposé au Médiator®, la valvulopathie est à l'évidence due au Médiator®, cette erreur d'interprétation persiste - Dr Irène Frachon (Brest)
 

« En dépit des communications nombreuses que nous avons faites pour alerter sur le fait que lorsqu'il n'y a pas eu de rhumatisme articulaire aigu et que le patient a été exposé au Médiator®, la valvulopathie est à l'évidence due au Médiator®, cette erreur d'interprétation persiste. Je continue à recevoir des avis d'expertises qui concluent à des valvulopathies rhumatismales alors qu'il s'agit à l'évidence de valvulopathies médicamenteuses », souligne le Dr Frachon.

Peu de valvulopathies minimes à modérées sont retenues… à tort

En tout, 66 « rejets en l'état grade minime », selon les termes de l'Oniam, semblent correspondre à des valvulopathies imputables au benfluorex, mais jugées négligeables par les experts. Or, rappelle l'article de La Presse Médicale, en 2012 l'ancien ministre de la Santé Xavier Bertrand a souhaité « que la loi ne prévoie pas de seuil, et que toute personne atteinte d'un déficit fonctionnel qui serait imputable au Médiator® puisse être indemnisée ».

 
La loi ne prévoie pas de seuil, et que toute personne atteinte d'un déficit fonctionnel qui serait imputable au Médiator® puisse être indemnisée - Xavier Bertrand (alors Ministre de la Santé)
 

« Ce principe doit être respecté », indiquent P. Nicot et coll.

Aussi, pour les petites valvulopathies minimes à modérées, les signes morphologiques de iatrogénie n'existent pas ou sont très discrets. Sur la base des critères morphologiques, les experts ont donc souvent conclu à l'impossibilité d'imputer la cause de ces valvulopathies au Médiator®. Une proportion très élevée de ces petites valvulopathies n'a donc pas été retenue pour une indemnisation.

Pour tester la validité des conclusions de l'Oniam, P. Nicot, I Frachon et C. Hill ont cherché à savoir, pour chaque type de valvulopathies, s'il existait une concordance entre les avis du collège d'experts qui étaient principalement fondés sur des données morphologiques et les données probabilistes tirées des études épidémiologiques.

L'Evidence Based Epidemiology au secours de l'Evidence Based Medicine

A partir des données épidémiologiques disponibles [4], les auteurs ont calculé la fraction de risque attribuable au Mediator® pour les différents types de valvulopathies. Ils l'ont ensuite comparée à la proportion de cas imputables retenue par l'Oniam.

Le constat est saisissant : « La comparaison des proportions de dossiers considérés par le collège d'experts comme imputables au benfluorex avec les fractions attribuables calculées d'après l'étude de Tribouilloy et al. montre un écart très important en défaveur des victimes ».

 
La comparaison des proportions de dossiers considérés par le collège d'experts comme imputables au benfluorex avec les fractions attribuables calculées d'après l'étude de Tribouilloy et al. montre un écart très important en défaveur des victimes - Les auteurs
 

A partir de l'analyse de 84 dossiers transmis par les victimes et associations de victimes « probablement pas représentatifs, mais qui peuvent servir d'élément de discussion », 52 correspondaient à des valvulopathies non opérées.

Sur ces 52 dossiers, le collège d'experts n'a reconnu que dix sur 27 des doubles atteintes des valves aortique et mitrale, aucune des 13 insuffisances aortiques de grade1, et 12 sur 27 des insuffisances aortiques de grade supérieur à 1. Or, les parts attribuables au benfluorex calculées à partir des données épidémiologiques sont au minimum du double. « De fait, la reconnaissance [d'imputabilité par l'Oniam] porte au mieux sur la moitié des cas imputables », notent les auteurs.

Nombre de dossiers de valvulopathie non opérée avec imputabilité reconnue par le collège Oniam et comparaison au pourcentage attribuable selon l'étude de Tribouilloy et al. [4]


Insuffisance valvulaire prévalente
Grade
Pourcentage attribuable au benfluorex selon étude Tribouilloy et coll.
Proportion imputable d'après l'Oniam
Imputabilité Oniam comparée à pourcentage attribuable
Aortique et mitrale
tous
79%
37% (10/27)
47%
Aortique isolée ou associée à mitrale
tous
76%
30% (12/39)
40%
Idem
1
71%
0% (0/13)
0%
Idem
2+
92%
46% (12/26)
50%

« Au regard des risques relatifs calculés dans certaines situations, il serait aussi déraisonnable de nier un lien de causalité "direct et certain" entre certaines valvulopathies et le Médiator® qu'entre le tabac et un cancer épidermoïde pulmonaire découvert chez un fumeur … », souligne le Dr Frachon.

 
Au regard des risques relatifs calculés dans certaines situations, il serait aussi déraisonnable de nier un lien de causalité "direct et certain" entre certaines valvulopathies et le Médiator® qu'entre le tabac et un cancer épidermoïde pulmonaire découvert chez un fumeur - Dr Frachon
 

« Ces données probabilistes, tirées des études épidémiologiques, doivent faire partie des informations à prendre en compte pour démontrer ou infirmer un lien de causalité entre valvulopathie et exposition au benfluorex chez un sujet donné, notamment en cas de valvulopathie de bas grade ou lorsque des éléments morphologiques font défaut. Ces données scientifiques devraient servir de base à ces expertises », concluent les auteurs.

Autres remarques 

Parmi les autres critiques formulées par les auteurs de ce travail, on note en particulier :

  • que quatre postes d'experts (sur 9) sont toujours vacants au sein du collège d'expert et que le temps de traitement des dossiers est trop long ;

  • que la liste des pathologies non imputables qui ont conduit au rejet des 675 dossiers n'était pas indiquée par le collège d'experts dans le bilan ;

  • qu'il manquait aussi une liste détaillée des pathologies imputables (type et grade des valvulopathies), ainsi qu'une liste des causes de valvulopathies autres que l'exposition au benfluorex.


Philippe Nicot déclare ne pas avoir de conflit d'intérêt en relation avec cet article. Irène Frachon conseille bénévolement des patients exposés au Médiator® ou leurs représentants. Catherine Hill a des liens familiaux avec un avocat représentant des patients exposés au Médiator®.

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