Le cangrelor supérieur au clopidogrel dans CHAMPION-PHOENIX 

Aude Lecrubier

10 mars 2013

San Fransisco, Etats-Unis — REACTUALISE avec les commentaires du Pr François Schiele. D'après l'essai randomisé de phase 3 CHAMPION-PHOENIX, l'antiplaquettaire cangrelor (The Medicine Compagny) se révèle supérieur au clopidogrel en prévention des évènements ischémiques au décours d'une angioplastie coronaire (-22%), ceci sans augmenter de façon significative les saignements sévères selon les critères GUSTO. Cependant, comme les critères ACUITY indiquent le contraire, cet aspect reste à surveiller.

Les résultats ont été présentés lors du congrès de l'American College of Cardiology 2013 par le Dr Deepak Bhatt (Harvard Medical School, Boston, Etats-Unis), et publiés le même jour en ligne par le New England Journal of Medicine [1,2].

Le cangrelor est un antagoniste des récepteurs P2Y12 injectable. Son action est quasi-immédiate et rapidement réversible (demi-vie de 3 à 5 minutes), ce qui l'oppose aux antagonistes oraux comme le clopidogrel, le prasugrel ou le ticagrelor, à action différée, plus variable et plus longue. En théorie, disposer d'un antagoniste d'action rapide comme le cangrelor pourrait être un atout en traitement d'urgence ou péri-opératoire. Jusqu'à présent, toutefois, les résultats des essais du cangrelor ont été plutôt décevants.

Auparavant, deux essais randomisés de phase 3 CHAMPION-PCI et CHAMPION PLATFORM avaient évalué le cangrelor chez des patients nécessitant une angioplastie. Leurs résultats n'ont pas été à la hauteur des espoirs suscités [3,4].

Les deux essais ont été arrêtés prématurément en 2009 après que des analyses intermédiaires aient montré une absence de supériorité du cangrelor par rapport au clopidogrel sur le critère primaire d'efficacité. En revanche, des tendances intéressantes ont été observées pour les critères secondaires, notamment en termes de réduction de thromboses de stent, sans augmentation des saignements sévères. « Ce qui suggérait que ce traitement avait peut-être, tout de même, une place », explique pour heartwire le Pr Gabriel Steg (Hôpital Bichat, Paris), co-auteur de l'étude.

« Une définition inappropriée des infarctus expliquait la négativité sur le critère principal. Champion-Phoenix met donc un point final à cette discussion : le cangrelor est plus efficace que le clopidogrel chez les patients soumis à PCI. Les résultats de Champion-Phoenix sont conformes à ce qu'on attendait : réduction du critère principal, principalement expliqué par la réduction des infarctus, réduction des thromboses de stent et efficacité comparable dans tous les sous-groupes. Seule déception, l'absence de confirmation d'un effet sur la mortalité, suggéré par les résultats des deux études précédentes », commente le Pr François Schiele (CHU de Besançon, France) pour heartwire.

Recommandations et pratiques actuelles

Les recommandations préconisent une bithérapie antiplaquettaire (aspirine et antagoniste des récepteurs P2Y12) pour minimiser les complications péri-opératoires de l'angioplastie. Sur le terrain, le clopidogrel est plutôt administré aux patients avec un angor stable, alors que ceux souffrant d'un syndrome coronarien aigu tirent un meilleur bénéfice de molécules plus puissantes comme le prasugrel ou le ticagrelor. L'ensemble de ces traitements oraux présentent l'inconvénient de n'être efficaces qu'une à plusieurs heures après leur administration, et potentiellement le défaut de rester actives pendant plusieurs jours.


Résultats positifs en prévention des événements ischémiques

Dans CHAMPION-PHOENIX, essai international multicentrique, 11 145 patients subissant une angioplastie pour angor instable (56,1% des participants), syndrome coronarien aigu sans élévation ST (25,7%) ou infarctus du myocarde avec élévation ST (18,2%), ont été randomisés pour recevoir, en double aveugle :

  • soit un bolus puis une perfusion de cangrelor (pendant 2 heures ou toute la durée de la procédure),

  • soit une dose de charge de 600 mg (74,4% des patients) ou de 300 mg (25,6% des patients) de clopidogrel avant l'angioplastie.

A la fin de la perfusion, les patients ont reçu 600 mg de clopidogrel (groupe cangrelor) ou un placebo (groupe clopidogrel).

L'âge moyen des patients était de 64 ans et 28% des participants étaient des femmes. Le délai moyen entre l'hospitalisation et le début de l'intervention était de 4,4 heures. Globalement, 55,6% des patients ont reçu des stents actifs et 42,4% des stents nus.

Le principal résultat de CHAMPION-PHOENIX est que le cangrelor est supérieur au clopidogrel en prévention des événements ischémiques en péri-opératoire. En effet, deux jours après la randomisation, le critère primaire d'efficacité qui associe décès toutes causes, IDM, revascularisation guidée par l'ischémie, et thrombose de stent dans les 48 heures suivant la randomisation, est plus faible dans le groupe des patients qui reçoivent le cangrelor (4,7% vs 5,9%, RR= 0,78 ; IC 95% [0,66-0, 93] ; p=0,005).

Concernant les saignements, d'après les critères GUSTO utilisés comme critère primaire de sécurité, les saignements sévères ne diffèrent pas significativement d'un groupe à un autre (0,16% vs 0,11%, RR=1,5 ; IC 95% [0,53-4,22] ; p=0,44).

En revanche, selon les critères ACUITY, les saignements sévères sont plus importants dans le groupe recevant l'antiplaquettaire à action rapide.

Complications hémorragiques dans CHAMPION PHOENIX en fonction des différents critères, cangrelor vs clopidogrel


Complications hémorragiques
RR (IC 95%)
P
Critères GUSTO
Sévères
1,50 (0,53-4,22)
0,44
Sévères à modérés
1,63 (0,92-2,90)
0,09
Critères TIMI
Sévères
1,00 (0,29-3,45)
>0,999
Faibles
3,00 (0,81-11,10)
0,08
Critères ACUITY
Sévères
1,72 (1,39-2,13)
<0,001
Faibles
1,42 (1,26-1,61)
<0,001

Le taux de thrombose de stent à 48 heures (critère secondaire) est moindre dans le groupe cangrelor (0,8% vs 1,4%, RR=0,62 ; IC 95% [0,43-0,90] ; p=0,01). On note qu'une réduction du nombre de thromboses de stent avec le cangrelor avait déjà été mise en évidence dans les études CHAMPION-PLATFORM et CHAMPION-PCI.

Cependant, dans un éditorial accompagnant l'article du NEJM, les Drs Richard A Lange et L. David Hillis (University of Texas Health Sciences Center, San Antonio, Etats-Unis), notent que les taux de thromboses de stent prouvées ne diffèrent pas de façon significative entre les deux groupes.

Concernant les effets secondaires associés aux traitements, leurs taux sont similaires dans les deux groupes (20,2% vs 19,1% ; p=0,13). Mais, une dyspnée transitoire survient plus fréquemment dans le groupe cangrelor que dans le groupe clopidogrel (1,2% vs.0,3% ; p<0,001). Un phénomène également observé lors des essais CHAMPION-PCI et CHAMPION-PLATFORM.

Des résultats homogènes pour la plupart des sous-groupes de patients

Le bénéfice associé au cangrelor est observé dans les différents sous-groupes de patients. Il est similaire chez les patients qui souffrent d'un angor instable, d'un syndrome coronarien aigu sans élévation ST ou d'un infarctus du myocarde avec élévation ST. De même, aucune différence significative n'est perçue entre les patients des Etats-Unis et ceux des autres pays (p=0,26).

Il n'apparait pas, non plus, de différence notable entre les patients qui reçoivent une dose de charge de cangrelor juste avant l'angioplastie ou pendant la procédure. L'effet est par ailleurs similaire lorsqu'on le rapporte aux patients recevant 600 ou 300 mg de dose de charge de clopidogrel.

Les auteurs signalent enfin que la durée moyenne de la perfusion de cangrelor ou de placebo est de 129 minutes (120 à 146 minutes), et que les résultats sur le critère primaire sont, eux aussi, similaires que les patients aient une durée de perfusion inférieure ou supérieure à cette moyenne.

Une définition de l'IDM péri-opératoire plus stricte mais toujours critiquée

Alors que les bons résultats sur le critère composite primaire sont essentiellement dus à la baisse des taux d'infarctus du myocarde péri-opératoires et des thromboses de stent, les éditorialistes indiquent que « des détails importants sur ces critères ne sont pas renseignés ».

Concernant les infarctus du myocarde péri-opératoires, il est souvent difficile de distinguer un IDM qui survient avant la randomisation, d'un IDM qui survient après, surtout lorsque le délai entre l'hospitalisation et l'angioplastie est court.

Deepak L Bhatt et coll. précisent que contrairement aux précédents essais CHAMPION, la définition de l'infarctus péri-opératoire s'est appuyée sur une évaluation minutieuse des biomarqueurs au départ. « La plus grande différence avec les essais précédents est que dans l'essai CHAMPION-PHOENIX la définition de l'infarctus du myocarde péri-opératoire est plus stricte », note pour sa part le Pr Steg.

Mais, les éditorialistes soulignent que d'après les recommandations actuelles, le diagnostic d'IDM péri-opératoire ne peut être posé que si, d'une part, les taux de biomarqueurs sont élévés avant l'angioplastie et si, d'autre part, ils ne sont pas stables dans au moins deux échantillons recueillis à 6 heures d'intervalle. Or, ils font remarquer que « puisque le délai entre l'hospitalisation et l'angioplastie est en moyenne de 4,4 heures, il est peu probable que la plupart des patients aient eu 2 mesures ou plus des biomarqueurs avant l'angioplastie ».

Ils ajoutent que les mesures de la créatinine kinase MB (spécifique du myocarde) n'ont pas été centralisées et que «  la fiabilité de ces données peut être compromise par l'hétérogénéité des tests pratiqués ».

Quelle place pour le cangrelor ?

Pour les Drs Lange et Hillis, l'essai CHAMPION-PHOENIX ne permet pas de répondre définitivement à la question.

En dehors des critiques sur les flous entourant l'IDM péri-opératoire et les thromboses de stents, les éditorialistes signalent plusieurs autres limites et appellent à mener de nouveaux travaux.

Alors que les auteurs de CHAMPION-PHOENIX indiquent que les résultats sont équivalents dans les différents sous-groupes de patients, les éditorialistes critiquent le fait qu'un quart des patients du groupe clopidogrel n'a reçu qu'une dose de charge de 300 mg de clopidogrel, ce qui est inférieur au 600 mg pour atteindre une inhibition antiplaquettaire et prévenir les accidents ischémiques péri-opératoires. Ils ajoutent que 37% des patients du groupe clopidogrel ont reçu le traitement pendant ou après la procédure. Ils estiment donc que « l'effet a été sous-optimal au moment de l'angioplastie ».

Enfin, ils notent que « les études comparant le cangrelor au ticagrelor et au prasugrel font défaut », alors que dans beaucoup de centres, les patients souffrant d'un syndrome coronarien aigu (44% des patients de CHAMPION-PHOENIX) reçoivent désormais ces molécules qui ont, dans ce cas, montré leur supériorité sur le clopidogrel.

 
Les études comparant le cangrelor au ticagrelor et au prasugrel font défaut - Drs Richard A Lange et L. David Hillis (San Antonio, Etats-Unis)
 

Ils concluent : « Face à ces limites, il semble que bien que certains patients ayant recours à l'angioplastie pourraient bénéficier d'un antagoniste des récepteurs P2Y12 injectable, comme le cangrelor, son utilisation en routine pour l'ensemble des patients qui ont recours à l'angioplastie n'est pas, aujourd'hui, justifiée ».

Pour le Pr Schiele, « la famille des inhibiteurs des récepteurs P2Y12 s'agrandit encore avec une molécule intraveineuse d'action rapide et réversible. Et, si la disponibilité future du cangrelor risque de compliquer encore plus le choix dans l'arsenal antiplaquettaire, ses atouts sont certainement une bonne nouvelle pour les patients ».

The Medicine Company projette de demander l'agrément du cangrelor aux Etats-Unis et en Europe sur la base des études CHAMPION-PHOENIX et BRIDGE.

L'essai a été financé par The Medicine Compagny.
Le Dr Deepak Bhatt déclare des honoraires de l'American College of Cardiology, du Duke Clinical Research Institute, des publications Slack, et de WebMD, ainsi que des financements de recherche par Amarin, AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, Eisai, Ethicon, Medtronic, Sanofi, et the Medicines Company.
Le Pr Gabriel Steg déclare des travaux de recherche clinique pour l'INSERM U698, NYU School of Medicine, Sanofi, Servier ; des interventions comme orateur ou consultant pour Amarin, AstraZeneca, Bayer, Boehringer- Ingelheim, Bristol-Myers-Squibb, Daiichi-Sankyo, GSK, Lilly, Medtronic, Otsuka, Pfizer, Roche, sanofi, Servier, Takeda, The Medicines Company, Vivus ; la détention d'actions Aterovax.
Les liens d'intérêts des autres auteurs sont disponibles sur le site du NEJM www.nejm.org.
Le Pr Schiele n'a pas de liens d'intérêts direct avec le sujet mais participe et a participé à différents boards pour : The Medicine Compagny, Sanofi, Lilly, Daiichi Sankyo, AstraZeneca.

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