Paris, France - Le cholestérol est-il vraiment mauvais pour le cœur et les artères ? Le dogme du « lower is better » est-il toujours d'actualité ? Les statines ont-elles un intérêt ? Deux ouvrages à sortir très prochainement, l'un signé du Pr Philippe Even [1], l'autre du Dr Michel de Lorgeril[2] répondent clairement par la négative.
Une position à contre-courant des données scientifiques habituellement admises (les statines réduisent la morbi-mortalité en luttant contre les effets délétères du cholestérol) propre à alimenter une nouvelle fois la controverse sur l'honnêteté de l'industrie pharmaceutique, la probité du corps médical et semant un peu plus la confusion dans les esprits des patients. Devant le battage médiatique à venir, la Haute autorité de santé (HAS) a, une fois n'est pas coutume, pris les devants en publiant un communiqué sur l'intérêt des statines en prévention secondaire [3].
De leur côté, associations de patients, sociétés savantes médicales et associations de lutte contre les maladies cardiovasculaires et neurovasculaires s'inquiètent de l'arrêt intempestif par les patients de leur traitement par statines ou par gliptines traduisant un manque de confiance évident envers les médicaments et leurs prescripteurs [4]. En tant que cardiologue, une spécialité largement mise en cause dans l'ouvrage du Pr Even, le Pr Gabriel Steg a, lui aussi, souhaité réagir sur notre site et s'insurger contre les thèses qu'il qualifie de « conspirationnistes » avancées dans ces ouvrages.
« L'industrie pharmaceutique a trompé son monde…vive le cholestérol »
D'une façon générale, les ouvrages du Dr de Lorgeril - en fait, la réédition actualisée et augmentée d'un précédent ouvrage - et du Pr Even - co-auteur du provocateur « Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux » - font le même constat : le cholestérol n'est pas l'ennemi public numéro 1 pour la santé que l'on nous décrit- et développent la même thèse : l'industrie pharmaceutique, pour des raisons de marketing et avec la complicité du monde médical, a trompé son monde sur les statines, qui sont en réalité des médicaments non seulement inutiles mais délétères.
Bien sûr, ce message peu nuancé (c'est le moins qu'on puisse dire), largement relayé par les médias dans le cadre d'une communication bien orchestrée, n'est pas propice à restaurer la confiance des patients, déjà bien ébranlée par les affaires du Médiator et des pilules de dernière génération, ni peut-être celle des médecins, déjà échaudés par le Vioxx et au fait des pratiques parfois peu déontologiques de l'industrie pharmaceutique (ce serait être naïf que de nier ou passer sous silence les excès du passé en la matière).
« Intérêt indiscutable des statines en prévention secondaire » affirme la HAS
Difficile pour les institutions publiques de rester de marbre face à de tels propos. La HAS (d'ailleurs mise en cause dans l'un des ouvrages) a été la première à dégainer sous prétexte d'enrayer la défiance grandissante des patients envers le système de santé. Pour elle, pas de doute, l'hypercholestérolémie « augmente le risque de survenue de maladie cardio-vasculaire. A plus forte raison si elle est associée à un autre facteur de risque, diabète, hypertension artérielle, tabagisme, … et quand elle est présente chez des malades qui ont déjà fait un accident cardiaque ou vasculaire. La prendre en charge s'avère donc indispensable pour certains malades » affirme-t-elle dans un communiqué.
Très clairement, la HAS n'a pas la même lecture des essais que les deux auteurs sus-cités puisque sa propre « analyse critique » de 91 études ayant inclus 170 000 patients montre que « les statines ont une place dans la prise en charge de certains patients car elles sont associées à une baisse de la mortalité totale d'environ 10% et du risque de survenue d'un accident cardio-vasculaire (infarctus du myocarde notamment) ».
Trop d'usage en prévention primaire ?
Si leur utilisation en prévention secondaire est « indiscutable », la HAS reconnait cependant un mésusage, sous forme d'une utilisation abusive au vu des effets secondaires, en prévention primaire : « les statines sont à réserver aux personnes qui sont à haut risque c'est-à-dire qui cumulent plusieurs facteurs de risque tels qu'un diabète, une HTA, un tabagisme... » ré-affirme-t-elle.
La HAS ne nie pas d'ailleurs la nécessité d'un rééquilibrage en déplorant : « un recours abusif aux statines en prévention primaire chez des personnes qui ne sont pas à haut risque, en même temps qu'un défaut de prescription de statines chez des patients qui le justifieraient ».
Tout en critiquant l'attitude irresponsable de l'auteur du livre visé (le Pr Even, NDLR), la HAS rappelle que les patients ne doivent pas interrompre leur traitement sans en parler à leur médecin.
Inquiétudes des patients, exaspération des médecins
C'est pourtant ce que certains ont déjà commencé à faire si l'on en croit la réaction énervée de plusieurs associations de patients, sociétés savantes médicales et associations de lutte contre les maladies cardiovasculaires et neurovasculaires*. Celles-ci ont exprimé, dans un communiqué, leur plus vive inquiétude devant la réaction de nombreux patients qui ont décidé d'interrompre leur traitement pour excès de cholestérol (statines) ou diabète (gliptines ou analogues). Au passage, elles dénoncent, en des termes policés, les thèses des deux auteurs. « De nombreux scientifiques ont souligné le côté provocateur et très imprécis de ces livres, par des auteurs dont les champs de compétence médicale sont à la fois limités et discutables dans ce domaine d'expertise. Beaucoup d'arguments avancés ne sont pas documentés ou simplement inexacts » écrivent-elles, non sans une certaine ambiguïté.
Pas d'ambiguité, ni de langue de bois de la part du Pr Gabriel Steg (hôpital Bichat), qui dans une vidéo en ligne sur ce site, dénonce la théorie conspirationniste des détracteurs des statines. « Ce serait risible si ça n'était pas triste » dit-il. Pour ce cardiologue, pas de doute : d'une part, « le cholestérol est un facteur de risque cardiovasculaire », d'autre part, il y a « des données extraordinairement solides sur le rôle du cholestérol dans les maladies cardiovasculaires et les bénéfices à abaisser le cholestérol en particulier par les statines ». Même assurance quand il parle de « démonstration éclatante » de la réduction des maladies cardiovasculaires et de la mortalité cardiovasculaire de 10 à 15 % avec des statines en prévention secondaire chez des patients à haut risque, tout en admettant un débat légitime sur la question des statines en prévention primaire. Enfin, en ce qui concerne la question du coût de ces molécules, avancée par les détracteurs des statines, le Pr Steg la réfute : « les statines sont un traitement peu coûteux, toutes sauf une sont génériquées ». A l'heure où l'accent est mis sur la prévention, ces molécules ont donc toute leur place.
Les ouvrages sortent très prochainement, l'un à la fin de la semaine, l'autre au début du mois prochain. Chacun pourra donc en faire sa propre « lecture critique » et juger des arguments des uns et des autres puisqu'il faudra tenir un discours cohérent à ses patients.
Le Pr Gabriel Steg a déclaré les liens d'intérêt suivant : Research grant (to INSERM U698): NYU School of Medicine, Sanofi, Servier Speaking or consulting: Amarin, AstraZeneca, Bayer, Boehringer- Ingelheim, Bristol-Myers-Squibb, Daiichi-Sankyo, GSK, Lilly, Medtronic, Otsuka, Pfizer, Roche, sanofi, Servier, Takeda, The Medicines Company, Vivus Stockholding: Aterovax En précisant n'avoir jamais participé à une étude sur les statines. |
*Alliance du Coeur, Association Française des Diabétiques, Collège National des Cardiologues des Hôpitaux, Collège National des Cardiologues Français, Conseil National Professionnel de Cardiologie, Fédération Française de Cardiologie, France AVC, Nouvelle Société Française d'Athérosclérose, Société Française de Cardiologie, Société Française NeuroVasculaire, Société Francophone du Diabète, Syndicat National des Spécialistes des Maladies du Coeur et des Vaisseaux, Union nationale de Formation et d'évaluation en médecine CardioVasculaire.
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Citer cet article: Livres Even et de Lorgeril anti-statines : faut-il en rire ou pleurer ? - Medscape - 20 févr 2013.
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