Paris, France - Le risque thrombotique des pilules estroprogestatives agite la pharmacovigilance et les médias français depuis le début d'année. Certains allant jusqu'à évoquer un second "Médiator". Mais pour mémoire, le Médiator ne servait à ... rien ou presque alors que les pilules incriminées exercent une activité contraceptive non discutée. Attention de ne pas jeter les pilules avec l'eau du bain. Toutefois, le service médical rendu des pilules de 3eme-4eme génération est très discutable au regard des "anciennes" (1ere-2nde génération). Là est bien la question.
L'EMA, à la demande insistante de la France, a lancé une réévaluation du bénéfice risque des pilules de 3eme et 4eme génération (résultats attendus dans 6 mois). Et l'ANSM, sans attendre, vient de suspendre Diane® 35 et génériques, une association estroprogestative (non remboursée) réservée en France à l'acné mais largement utilisée hors AMM comme pilule contraceptive, de même qu'elle l'est dans de nombreux pays.
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Dr Jacqueline Conard |
Concernant les décisions de l'ANSM et le buzz médiatique, Jacqueline Conard répond : « rien de neuf sous le soleil en termes de risques thrombotiques veineux. En revanche, des informations complémentaires ont été rapportées récemment concernant le risque artériel dans une étude danoise ».
Ce qu'il faut savoir sur le risque veineux des pilules
Concernant le risque veineux des pilules, voici les messages clés du Dr Conard :
La contraception estroprogestative (EP) est associée à un sur-risque de thrombose veineuse globalement multiplié par quatre ;
Il est retrouvé pour toutes les contraceptions utilisant l'éthinyl-estradiol, que ce soit par voie orale ou non ;
Toutes les pilules commercialisées, sauf peut-être à un degré moindre celles utilisant un estrogène naturel sont donc concernées mais aussi les anneaux vaginaux et les patchs ;
En clinique, le risque maximum se situe dans les 6-12 premiers mois de prescription qui viennent parfois "révéler" des facteurs de risque génétiques, mais le risque persiste ensuite ;
En revanche, la contraception purement progestative par voie orale, implant ou stérilet n'est pas associée à une augmentation du risque veineux même chez des femmes ayant un sur-risque notamment un antécédent de thrombose veineuse ou une thrombophilie biologique ;
La contraception purement progestative par voie orale, implant ou stérilet n'est pas associée à une augmentation du risque veineux même lors d'ATCD ou thrombophilie ;
Le risque veineux associé aux EP augmente avec la dose d'ethinyl estradiol (E) (15 à 50 µg) mais il est aussi modulé par le type de progestatif (P) associé ;
Le risque veineux de la contraception EP augmente avec les générations, il est donc moindre avec les progestatifs de seconde génération - norgestrel, lévonorgestrel (pilule type Minidril® (30 µg E/ 0,15 mg levonorgestrel)) - qu'avec ceux de troisième génération - désogestrel, gestodane.(type Varnoline® (30 µg mg E/ 0,15 mg désogestrel ) ;
Les progestatifs autres ou de 4ème génération - à savoir la drospirénone (pilule type Jasmine® (30 µg E / 3 mg drospirénone), Jasminelle® ou Yaz® ( 20 µg E / 3 mg drospirénone ) et l'acétate de cyprotérone (Diane® 35 µg E/ 2 mg cyprotérone; AMM en France réservée à l'acné) ont un risque au moins similaire à celui des 3e génération, voire plus élevé ;
Le risque veineux va en augmentant, depuis les progestatifs de 2nde génération -norgestrel, lévonorgestrel - à ceux de 3ème génération - désogestrel, gestodène - et à la drospirénone et l'acétate de cyprotérone.
« Pour mémoire, les progestatifs de 3eme génération lancés dans les années 1980, 10 ans après la 2eme génération, étaient censés réduire le risque artériel. Ils présentaient en effet, notamment sur les lipides plasmatiques, un profil favorable. Mais dès fin 1995, trois études publiées simultanément dans le Lancet (Lancet, vol 346 (n°8990), 16 December 1995) viennent tirer la sonnette d'alarme. Elles mettent en évidence un sur-risque de thrombose veineuse - environ multiplié par 2 - associé aux progestatifs de 3ème génération (désogestrel, gestodène) versus 2eme génération (norgestrel, levonorgestrel), rappelle J Conard.
En Angleterre ces publications induisent une telle panique que nombre de femmes arrêteront leur contraception en cours de plaquette avec à la clé un surcroît d'IVG...
« Ce sur-risque lié aux progestatifs de 3eme génération a été confirmé ensuite. Encore l'an passé, dans une vaste cohorte danoise [3] .Et étendu aux nouveaux progestatifs : drospirénone et acétate de cyprotérrone (lancés eux pour leur activité antiandrogénique (poils, acné ) chez lesquels ce risque est au moins aussi élevé qu'avec les 3ème génération » souligne J Conard.
« Néanmoins, le risque reste dans l'absolu relativement faible en l'absence d'autres facteurs de risque ».
Là est donc la seconde question : quels sont les facteurs de risque devant contre-indiquer ou orienter le choix d'une contraception hormonale ?.
Risque veineux: mieux connaître et rechercher les facteurs de risque
Les facteurs de risque de complication veineuse sont :
l'âge > 35 ans,
l'obésité,
l'antécédent de thrombose,
les facteurs de risque biologiques.
l'immobilisation (chirurgie, plâtre) mais aussi l'immobilisation prolongée devant un bureau ou un ordinateur (révisions d'examens..) ou associée aux vols longs courriers. Ces notions doivent être aussi recherchées et pesées.
en revanche le tabac comme facteur de risque de thrombose veineuse reste discuté (résultats divergents, peut être un impact sur le risque d'embolie pulmonaire.)
« En pratique clinique, il est primordial de dépister les facteurs de risque de thrombose veineuse avant toute prescription contraceptive. Ce dépistage basé avant tout sur l'interrogatoire clinique - au besoin complété par une exploration de l'hémostase - doit rechercher systématiquement les antécédents personnels et familiaux de thrombose veineuse. Et en présence d'ATCD familial survenu avant 50 ans, une recherche de thrombophilie est recommandée chez une jeune fille en âge de procréer » recommande J Conard.
« Enfin, il faudrait mieux informer les femmes car lors d'accidents veineux, on retrouve fréquemment des facteurs de risque. Insister sur le fait que la pilule est un médicament, à ce titre associée parfois à des effets indésirables. Sans oublier de leur enseigner les signes d'appel (douleur au mollet) et les moyens de prévention notamment en voyage long courrier (hydratation, contention veineuse par chaussettes par exemple) » ajoute J Conard.
Risque artériel: rare mais plus imprévisible
Quid du risque artériel des pilules ?
« S'il est potentiellement grave, il est heureusement très réduit avant 35 ans mais aussi malheureusement plus difficile à dépister que le risque veineux car il ne varie pas selon la durée d'utilisation. Il y a probablement des facteurs de susceptibilité que l'on ne connait pas encore. »
Le risque artériel d'infarctus du myocarde (IDM) ou d'accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique lié aux estroprogestatifs est bien plus faible en valeur absolue que celui de thrombose veineuse. Mais vu la gravité potentielle des évènements - infarctus, AVC - il doit toujours rester présent à l'esprit des prescripteurs. C'est pourquoi interrogatoire, mesure PA et bilan biologique (cholestérol, glycémie, HGPO,) s'imposent avant toute prescription.
Le risque artériel est influencé par la dose en estrogène comme le confirme la vaste cohorte danoise [4]. Le sur-risque d'IDM et AVC thrombotique sous pilule EP variant de 0,9 à 1,7 pour les EP contenant 20 microg d'estrogène et de 1,3 à 2,3 pour les EP à 30-40 microg d'estrogène.
En revanche, le type de progestatif (2nde/3eme génération) ne semble pas influer le risque artériel. Il n'y a pas clairement de différence significative d'un type de progestatif à l'autre [4].
« Le risque artériel associé aux EP est bien plus difficile à cerner que le risque veineux » explique J Conard. « Bien sûr, l'HTA, le tabac majorent le risque d'AVC et d'IDM. Mais ces accidents thrombotiques artériels, heureusement très rares, surviennent aussi chez des jeunes femmes sans facteur de risque retrouvé. Il y a donc probablement des facteurs de risque ou de susceptibilité que l'on ne connait pas encore aujourd'hui ». conclut J Conard.
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*Vice- présidente du GITA-Thrombose
Le Dr Conard n'a pas de conflit d'intérêt à déclarer. |
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Citer cet article: « Affaire des pilules » : regard et conseils du Dr Jacqueline Conard - Medscape - 4 févr 2013.
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