La malbouffe tue trois fois plus que la malnutrition dans le monde

Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

2 janvier 2013

La malbouffe tue trois fois plus que la malnutrition dans le monde

Le Lancet publie un diagnostic de la santé de la population mondiale. Bilan remarquable en matière d'espérance de vie mais on assiste à une explosion des facteurs de risque.
2 janvier 2013

Londres, Royaume-Uni - Le Lancet publie un numéro entièrement consacré aux travaux des équipes du Global Burden of Disease, groupe international qui vise à chiffrer l'espérance de vie, l'impact des maladies et les principaux facteurs de risque sanitaires dans le monde [1].

Pas moins de sept papiers sont publiés, donc de très nombreux chiffres, en principe destinés à alimenter une planification économique et sanitaire à l'échelle de grandes régions du monde.

Un certain nombre de tendances se dégagent. L'espérance de vie a considérablement augmenté, tandis que la mortalité infantile s'est effondrée, probablement au-delà de ce que prévoyaient les statistiques les plus optimistes.

L'Afrique sub-saharienne reste une préoccupation majeure : les grandes infections (VIH, paludisme, rougeole…) n'y sont toujours pas enrayées, tandis que commencent à pointer des pathologies chroniques qui se globalisent - maladies cardiovasculaires, bien sûr, mais aussi troubles psychiatriques, toxicomanies,...

S'agissant des maladies cardiovasculaires et du diabète, l'alimentation excessive et de mauvaise qualité constitue maintenant un problème qui, à l'échelle de la planète, dépasse largement la sous-nutrition : plus de 3 millions de décès sont attribuables chaque année à un IMC excessif, soit plus de trois fois plus que ce qui est attribuable à la sous-nutrition.

Enfin, plusieurs des éditorialistes invités à s'exprimer dans le Lancet soulignent que l'allongement de l'espérance de vie implique la multiplication des handicaps de tous ordres (maladies chroniques, troubles musculo-squelettiques, psychiatriques, Alzheimer, etc) qui jusqu'aux années 90 n'étaient pas pris en compte dans des bilans sanitaires limités aux maladies mortelles, mais qui vont maintenant peser lourdement sur les économies.

On vit 20% plus longtemps qu'il y a 30 ans


Globalement, l'espérance de vie augmente. A l'échelle planétaire, en 2010, elle était de 67,5 ans chez les hommes, et de 73,3 ans chez les femmes, soit des augmentations de plus de 19% dans les deux sexes depuis 1970. Parallèlement, la mortalité des enfants de moins de 5 ans a chuté de 60%, passant de 16,4 millions de décès à 6,8 millions en 2010.

Chez les femmes, le record est détenu par les japonaises, avec une espérance de vie à la naissance de près de 86 ans. Dans la catégorie messieurs, la palme est détenue par les islandais, avec 80 ans. A l'autre extrémité, on trouve Haïti, où l'espérance de vie est de 43,6 ans chez les femmes, et de… 32,5 ans chez les hommes - chiffres incroyablement bas, qui doivent cependant beaucoup au tremblement de terre de de janvier 2010.

En tendance, ce sont les Maldives qui affichent la pente la plus spectaculaire, avec + 54,4% d'espérance de vie chez les hommes, et + 57,6% chez les femmes depuis 1970. Mais des pays comme le Bangladesh, le Bhoutan le Pérou ou l'Iran affichent également des gains nets d'espérance de vie supérieurs à 20 ans.

Reste l'Afrique sub-saharienne. De 1970 à 2010, l'espérance de vie a décru de 1,3 an pour les hommes, et de 0,9 ans pour les femmes. C'est au Lesotho que l'évolution est la plus défavorable : baisses de 4,6 ans de l'espérance de vie chez les hommes, et de 6,4 ans chez les femmes.

Plus proches de nous, on note également la Biélorussie et l'Ukraine, deux autres pays qui n'ont pas suivi la tendance générale en matière d'espérance de vie, avec cette fois l'alcool au banc des accusés.

Recul inégal des maladies transmissibles, décès cardiovasculaires en augmentation


En ce qui concerne les causes de décès, les maladies transmissibles, maternelles, néonatales et par malnutrition, ont reculé de 17% entre 1990 et 2010 (de 15,9 à 13,2 millions de décès). Les reculs les plus importants sont ceux des diarrhées, des infections respiratoires basses, et des complications de la prématurité, ainsi que de la rougeole et du tétanos.

On note toutefois que malgré les vaccins, les diarrhées à rotavirus et la rougeole continuent de tuer chaque année plus de 1 million d'enfants de moins de 5 ans.

On remarque aussi qu'en Afrique sub-saharienne, les affections transmissibles, maternelles et néonatales représentent encore la moitié des décès. En cause le Sida, bien sûr, avec 1,5 million de décès en 2010, contre 0,3 millions en 1990 (et un pic à 1,7 millions en 2006), mais aussi, encore et toujours, le paludisme : 1,17 millions de personnes en sont décédées en 2010, soit une augmentation de près de 20% depuis 1990.

A cela s'ajoutent des décès cardiovasculaires et par AVC, qui semblent augmenter, de même que des problèmes psychiatriques, et la toxicomanie qui va avec.

« Les nations africaines n'ont pas encore commencé à se confronter aux conséquences d'une explosion de maladies mentales et de dépression, et à l'énorme fardeau de l'abus de substances qui s'enracine dans cette situation », souligne le Dr Felix Masiye (Université de Zambie) en commentant ces résultats dans le Lancet.

S'agissant des maladies non transmissibles, cancers, maladies cardiovasculaires et diabète, elles sont aujourd'hui responsables de deux décès prématurés sur trois dans le monde. Par rapport à 1990, le fardeau a proportionnellement régressé - les maladies non transmissibles provoquaient alors un décès sur deux. En effectif, toutefois, les cancers ont provoqué 38% de décès de plus en 2010 qu'en 1990 (8 millions vs 5,8 millions).

Quant aux maladies cardiovasculaires (y inclus les AVC), elles progressent, tant en proportion qu'en valeur absolue, puisqu'elles sont aujourd'hui responsables d'un décès sur quatre, contre un décès sur cinq en 1990 (12,9 vs 9,9 millions de décès respectivement).

Les facteurs de risque : HTA, tabac, alcool, IMC


Une conclusion pratique importante des résultats publiés, est que, dans le fardeau sanitaire global, les facteurs de risque en cause sont pour finir relativement peu nombreux : en considérant 300 affections majeures, 50 facteurs seraient à eux seuls responsables de 78% de ce fardeau, et 50% de celui-ci reposerait sur 18 facteurs de risque.

L'évolution de ces facteurs est toutefois loin d'être homogène, tant pour ce qui concerne les facteurs eux-mêmes, que du point de vue géographique. « Globalement, nous assistons à une augmentation des facteurs de risque de maladies chroniques de l'adulte, comme le cancer, les maladies cardiovasculaires et le diabète, et une diminution des facteurs de risque de maladie infectieuse chez l'enfant », résume le Pr Majid Ezzati (Imperial College, Londres). « Ce schéma global masque toutefois de navrantes différences entre régions. Les risques associés à la pauvreté ont diminué dans la plupart des régions, comme l'Asie et l'Amérique latine, mais ils restent le premier enjeu en Afrique sub-saharienne ».

Le tiercé tueur: HTA, tabac, alcool


Le classement brut est le suivant.

Premier tueur : l'HTA, avec 9 millions de décès à son actif. Il faut dire que l'excès de sel arrive en tête des mauvaises habitudes alimentaires, avec l'insuffisance des fruits et légumes. Second, le tabac (6,3 millions de morts). Troisième, l'alcool (4,9 millions de morts).

Ce tiercé global peut toutefois varier selon les régions. En Europe de l'Ouest et en Amérique du Nord, le tabac occupe la première place. En Europe de l'Est, et dans la plupart des pays latino-américains, il est détrôné par l'alcool, qui opère par ailleurs une pénétration inquiétante en Afrique sub-saharienne, laquelle a d'autres chat à fouetter que d'écouler la production des alcooliers.

Une mention spéciale, aussi, pour le surpoids et l'obésité, qui constitue le facteur de risque qui connait la plus forte croissance. Classé à la 10ème place en 1990, il passe à la 6ème en 2010, et se rend responsable de plus de 3 millions de décès par an. Par comparaison, moins de 1 million de décès sont imputés à la sous-nutrition. En Océanie, et dans certains pays d'Amérique latine, l'obésité est même déjà passée au premier rang des facteurs de risque.

Au total, donc, les constats sont là, tandis que le recul d'un certain nombre de fléaux (maladies infectieuses, mortalité infantile …) montre que de vrais succès sont possibles.

Alors, y a plus qu'à ? Ce serait trop simple. Entre les facteurs de risque d'hier et d'aujourd'hui, on oublie souvent de rappeler une différence fondamentale (insurmontable ?). Faire reculer les premiers (vaccins, construction d'adductions d'eau, de centres de soins primaires, etc…) a fait fonctionner la machine économique, et augmenté les profits. Faire reculer les seconds, auxquels on fait face aujourd'hui, impliquerait au contraire in fine de ralentir la machine économique, et de diminuer les profits. Autant dire que l'affaire est tout sauf jouée.

La Global Burden of Diseases study

Le projet Global Burden of Disease, remonte à 1990, date de son lancement par la Banque Mondiale. Après une première collecte de données, le projet semble être un peu passé aux oubliettes, avant d'être relancé en 2007 par des équipes essentiellement anglo-saxonnes (Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie).

« La nouvelle Global Burden of Diseases, Injuries, and Risk Factors Study (dite GBD 2010 Study), a démarré au printemps 2007, et constitue la première tentative, après l'étude originale GDB 1990, pour conduire une évaluation systématique des données sur l'ensemble des maladies et des accidents » dans le monde, explique le GDB sur son site.

Le projet est aujourd'hui financé par la Fondation Bill & Melinda Gates. Il regroupe 302 institutions de 50 pays, coordonnés par l'Institute for Health Metrics and Evaluation (Washington). Ces équipes travaillent en collaboration avec l'OMS.


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