Droits et obligations des médecins : les grands changements de la loi Bertrand

Adélaïde Robert-Géraudel

12 décembre 2012

Paris, France - Transparence des liens d'intérêts, prescriptions hors-AMM, publicité et promotion : voici certains sujets clés modifiés par la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, dite « loi Bertrand ».

Cette loi, votée à la suite du scandale Médiator®, aura nécessité la rédaction de 48 articles et d'un nombre faramineux de décrets et arrêtés parus ou à paraître.

Me Frédérique Claudot

Maître Frédérique Claudot, maître de conférence au service de médecine légale et de droit de la santé de la faculté de médecine de Nancy, et avocate au barreau de Nancy, en a présenté une synthèse lors des 18èmes assises du Collège National des Cardiologues Hospitaliers
(Paris, 22-23 novembre) [1].

Transparence des liens d'intérêt

Une déclaration publique d'intérêt est désormais obligatoire pour les membres des commissions siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ainsi que des agences et des organismes publics, et les dirigeants et personnels de direction et d'encadrement de ces institutions.

La publicité des séances d'évaluation est instaurée, ce qui n'est pas sans poser des problèmes de liberté individuelle et de liberté d'expression, a souligné la juriste.

Les dispositions anti-cadeaux mises en place par la loi DMOS, sont élargies aux étudiants des professions de santé et aux associations de professionnels de santé. Ceux-ci ont donc désormais eux aussi interdiction de recevoir des avantages consentis par des entreprises, sous quelque forme que ce soit.

Cependant, cette interdiction ne concerne que les entreprises commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. « Tout ce qui n'en relève pas, comme par exemple les produits cosmétiques utilisés en dermatologie, n'est pas visé », a souligné Me Claudot.

Les conflits d'intérêt des professionnels de santé avec des entreprises ou établissements doivent également être déclarés. A ce titre, la juriste incite tous les médecins amenés à s'exprimer lors d'une manifestation publique, à projeter par écrit leur déclaration de liens d'intérêt, même s'il est prévu qu'ils puissent le faire de manière orale. Elle conseille également d'insister pour que cela soit noté dans les articles de presse écrite ou diffusé sur Internet.

Des sanctions pénales sont instaurées en cas de non déclarations d'intérêts (30 000 euros pour les personnes), rappelle la juriste. En revanche, la loi ne précise pas le devenir du travail effectué par la personne sanctionnée…

Une prescription hors AMM « légalisée »

Un autre volet important, et novateur, de la loi Bertrand concerne la prescription hors AMM. Celle-ci est désormais inscrite dans le code de la santé publique et donc « légalisée » mais non sans un certain nombre de conditions et d'obligations pour le prescripteur.

Cette prescription peut se faire dans deux cadres :

  • Soit lorsque le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique du patient ;

  • Soit dans une indication ou une condition d'utilisation ayant fait l'objet, pour une durée maximale de trois ans, d'une Recommandation Temporaire d'Utilisation (RTU) - et dans ce cas la prescription pourra éventuellement être prise en charge par l'Assurance maladie.

Dans les deux cas, la prescription hors-AMM est conditionnée par l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée autorisée (par une AMM ou une ATU).

Des RTU dérogatoires ont été votées à l'Assemblée nationale le 27 novembre dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2013, afin de répondre à deux autres situations : remédier à un risque avéré pour la santé publique ou éviter des dépenses ayant un impact significatif pour l'assurance maladie.

Cette RTU à visée économique est une réponse au cas de l'anticancéreux Avastin® (bévacizumab, Roche) utilisé hors AMM dans la dégénérescence maculaire liée à l'âge, alors que son homologue Lucentis® (ranibizumab, Novartis) possède, lui, l'AMM mais coûte beaucoup plus cher.

Les obligations du prescripteur sont ensuite les suivantes.

  • Informer le patient : lui préciser que sa prescription n'est pas conforme à l'AMM, lui dire qu'il s'agit de la seule alternative, lui indiquer les bénéfices et risques attendus et les conditions de prise en charge de la spécialité prescrite.

  • Inscrire la mention hors AMM sur la prescription, et motiver cette décision dans le dossier médical.

A ce sujet, Me Claudot note que l'obligation de tenir un dossier médical existe désormais même pour la médecine libérale.

Si le prescripteur ne remplit pas ses obligations, il engage sa responsabilité tant civile que pénale…

Une visite médicale collective hospitalière à l'essai

Autre nouveauté de la loi Bertrand : la visite médicale collective hospitalière. Celle-ci ne concerne que les médicaments délivrés en ville puisqu'elle exclut les médicaments de réserve hospitalière, de prescription hospitalière ou de prescription initiale hospitalière ainsi que les dispositifs médicaux.

Cette restriction, critiquée, a finalement été réaffirmée lors du vote du PLFSS 2013 à l'Assemblée nationale le 27 novembre.

Une expérimentation sur deux ans était inscrite dans la loi Bertrand, mais elle n'a toujours pas commencé. L'évaluation du nouveau dispositif est annoncée pour fin 2014.

Enfin, la remise d'échantillons est elle aussi réglementée. Les échantillons gratuits ne peuvent être remis qu'aux personnes habilitées à prescrire ou à dispenser des médicaments dans le cadre des pharmacies à usage intérieur, sur demande.

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