Marquage CE : la fausse prothèse de hanche du BMJ révèle un système défaillant
En tentant d'obtenir un marquage CE pour une fausse prothèse de hanche, le BMJ a pu observer les dysfonctionnements du système de certification européen. 7 octobre 2012Londres, Royaume-Uni -.La prothèse de hanche totale Changi, n'existe pas. Cette prothèse de hanche métal/métal de gros diamètre a été inventée par le British Medical Journal et le Daily Telegraph pour tester le système européen d'homologation des dispositifs médicaux (DM) à risque. Les résultats de l'enquête publiés dans le BMJ font froid dans le dos [1].
Au terme de la supercherie, qui a duré 10 mois, les enquêteurs concluent que certains des organismes notifiés (ON) habilités à attribuer un marquage CE aux dispositifs médicaux, sont plus intéressés par leurs intérêts financiers que par la sécurité des patients.
Les journalistes rapportent, entre autre, les propos d'un des employés de l'organisme notifié de République Tchèque ITC, Tomas Zavisez, qui admet qu'il est : « du côté des fabricants et de leur produits, pas du côté des patients. »
Parmi les dysfonctionnements observés :
la compétition entre organismes sur le coût et la rapidité de l'obtention du marquage CE ;
l'acceptation par les ON de faibles niveaux de preuves concernant l'efficacité et la sécurité des dispositifs médicaux à haut risque ;
les conseils donnés par les ON sur la façon d'obtenir l'homologation ;
des garanties de succès annoncées par les ON avant même d'avoir évalué le dispositif.
« Dès les premiers contacts, il est rapidement devenu clair que les organismes notifiés étaient en compétition sur les prix, la vitesse et le taux d'obtention du marquage CE », indique Deborah Cohen du BMJ.
Rappelons que dans l'édition du 3 mars 2012, le BMJ écrivait déjà: « après une série de problèmes, l'homologation des DM nécessite un « remaniement radical » et « l'homologation des DM semble venir des années 1950 plutôt que du 21ème siècle ».
Et quelques mois plus tard : « les dispositifs médicaux ont seulement besoin d'un marquage CE, ce qui les place au même rang que […] les grille-pains. »
L'investigation du BMJ et du Daily Telegraph
L'évaluation pour obtenir un marquage CE se déroule en deux étapes : une soumission du dossier technique et un audit qui comprend la visite de l'usine afin d'évaluer les procédés de fabrication. Les enquêteurs des deux journaux anglais ont passé la première.
De par la loi, les fabricants des dispositifs médicaux ne peuvent être évalués que par un seul organisme notifié à la fois. Mais cela n'empêche pas les compagnies d'approcher plusieurs d'entre eux avant de décider lequel sera le plus enclin à leur fournir un marquage CE, indique le BMJ.
Les enquêteurs ont donc réalisé une brochure de la fausse prothèse Changi et ont approché 14 organismes notifiés certifiés pour évaluer les dispositifs médicaux à haut risque dans 4 pays de l'Union Européenne et la Turquie. Ils ont également visité la branche Sud-coréenne d'un ON tchèque.
Après les premiers entretiens, les journalistes ont fait une demande de marquage CE en mentionnant bien que la prothèse cobalt/chrome relargait des quantités d'ions cobalt et chromium toxiques pour l'organisme et qu'elle était de diamètre important. Le modèle présenté était similaire à trois prothèses de hanche controversées qui ont été rappelées par leurs fabricants et/ou font l'objet de poursuites aux Etats-Unis.
Sur les 14 organismes contactés par les journaux, seuls 4 ont semblé préoccupés par le fait qu'il s'agissait d'une prothèse de hanche (dispositif médical à haut risque) et ils ont tous accepté d'évaluer la prothèse.
Dans un deuxième temps, les inventeurs de la fausse prothèse ont décidé de soumettre leur demande complète à EVPU, un organisme notifié basé en Slovaquie qui a expliqué « qu'il était prêt à franchir les lignes et à donner des conseils lorsque nous soumettrions notre demande ». Il a, par ailleurs, assuré que le processus était « très très rapide ».
Une fois le contrat signé et le paiement encaissé, EVPU a envoyé ses commentaires par courrier électronique et signalé que des parties du dossier étaient manquantes, notamment sur les procédés de fabrication et l'évaluation des risques. En revanche, les pages détaillant les caractéristiques intrinsèques du produit ont reçu un « OK ». Etonnés, les enquêteurs ont appelé l'ON qui leur a confirmé qu'il ne voyait pas de problème avec la prothèse elle-même. .
Recommandations floues = danger
« Cette investigation a trouvé de grandes variations sur le type de preuves demandées en pré-marketing, sur la surveillance post-marketing et sur la façon dont les usines sont évaluées », note Deborah Cohen du BMJ.
Alors que les prothèses de hanche, comme les prothèses mammaires, et les défibrillateurs cardiaques appartiennent à la catégorie des dispositifs médicaux les plus à risque (catégorie III), les données pré-marketing requises sont laissées à la discrétion des organismes notifiés et diffèrent largement de l'un à l'autre. D'après les enquêteurs, certains organismes notifiés sont prêts à oblitérer les tests de biocompatibilité qui coûtent chers et qui prennent du temps. En outre, bien que les recommandations européennes préconisent la réalisation d'études cliniques pré-marketing pour ces dispositifs de classe III, seul un faible nombre d'organismes notifiés ont insisté sur ce type d'investigation.
Le BMJ cite l'Association of British Healthcare Industries (ABHI, le regroupement de l'industrie des dispositifs médicaux en Grande Bretagne) qui a aussi critiqué ce manque de standardisation. Le regroupement d'industriel a récemment fait savoir qu'il regrettait que la Commission Européenne n'indique pas plus clairement quand les investigations cliniques sont nécessaires mais aussi dans quelle mesure les fabricants peuvent s'appuyer sur des données de la littérature existantes lorsqu'ils considèrent que leur dispositif est équivalent à un dispositif existant. L'ABHI a également souligné que certains organismes notifiés n'avaient pas le degré d'expertise suffisant pour évaluer ces dispositifs sur le plan de l'efficacité et de la sécurité.
Concernant la surveillance post-marketing, l'EVPU a accepté la stratégie des enquêteurs du BMJ et du Daily Telegraph qui consistait simplement à insérer les coordonnées d'un employé de la compagnie fictive Changi en cas de problème. Deborah Cohen rappelle qu'en mai 2011, outre-Atlantique, la Food & Drug Administration (FDA) a requis de tous les fabricants de prothèses de hanche métal/métal qu'ils évaluent les concentrations d'ions cobalts et chromium dans l'organisme des patients au moins 8 ans après l'implantation…
Des demandes rarement retoquées par des organismes en compétition
Si un dispositif n'obtient pas de marquage CE par un des organismes, il peut aller en voir un autre.
« Ils [les fabricants] ne corrigent pas leur système, ils cherchent seulement un organisme qui [répondra positivement à leur demande] », a indiqué Michal Bauer employé par l'ON Szutest (République Tchèque).
Globalement, rares sont les demandes qui n'aboutissent pas à un marquage CE au bout du compte. Car selon Anna Szabo du NO SGS (Hongrie) « les clients n'échouent jamais vraiment. »
Etant donné la forte probabilité d'obtention d'un marquage CE, les organismes notifiés sont donc principalement en compétition sur le prix et la rapidité d'obtention de la certification.
Lors de l'investigation, les journalistes ont noté que le prix de l'évaluation technique allait de 2750 euros à 50 000 euros selon les organismes notifiés. Certains demandant 50% en amont et récoltant le reste à la fin de l'évaluation. Un surcoût était aussi appliqué pour l'audit.
Bence Thurnay de l'ON TUV (Hongrie) a expliqué qu'il s'agissait plus d'une question de temps pour surmonter tous les obstacles réglementaires que d'une question d'échec de mise sur le marché. « Je dirais que [les fabricants] obtiennent toujours la certification, la question est le temps », indique-t-il.
Pour se différencier et contourner la loi européenne, certains organismes proposent également des activités de conseil par des filiales basées en Asie avec pour objectif de garantir le marquage CE, ou de donner des conseils marketing.
Vers un changement ?
Alors que la Commission Européenne a publié, le 26 septembre, de nouvelles propositions pour renforcer le niveau de sécurité [2]], des voix et notamment celle de l'European Association for the Study of Diabetes (EASD) se sont élevées pour dire qu'elles les jugeaient clairement insuffisantes [3].
« Après les scandales de ce début d'année, la Commission Européenne a manqué l'opportunité de renforcer sa législation. Ils ont fait les premiers mètres, mais il reste des kilomètres à parcourir », a commenté Pr Andrew Boulton, Président de l'Association des diabétologues européens (Université de Manchester, Royaume-Uni) pour Medscape.fr, lors du congrès annuel de l'Association qui s'est déroulé début octobre.
Aujourd'hui, le système d'homologation des dispositifs médicaux reste beaucoup moins rigoureux que les autorisations de mise sur le marché des médicaments en Europe et que le processus d'homologation des dispositifs médicaux de la FDA aux Etats-Unis.
Deborah Cohen a déclaré ne pas avoir de liens d'intérêts en rapport avec ce sujet. |
Citer cet article: Marquage CE : la fausse prothèse de hanche du BMJ révèle un système défaillant - Medscape - 7 nov 2012.
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