L'Anses juge l'étude de Séralini sur les OGM : ambitieuse, originale mais non conclusive
L'Anses a rendu son avis sur l'étude-choc de Séralini et coll. concernant le maïs transgénique et le Roundup : des résultats non conclusifs mais qui appellent à de nouveaux travaux. 24 octobre 2012Paris, France — Suite à la demande du gouvernement du 19 septembre, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a rendu hier son avis relatif à l'analyse de l'étude-choc de Séralini et coll. sur les effets à long terme du maïs transgénique et le Roundup. L'expertise menée par l'Agence conclut que les résultats du travail de recherche des Français ne permettent pas de remettre en cause les évaluations réglementaires précédentes sur le maïs NK603 (Monsanto) et le Roundup (Monsanto) [1].
En revanche, contrairement à de nombreuses institutions et académies, l'Anses ne rejette pas complètement l'étude.
« Dans le cadre de tels protocoles de recherche, l'étude de Séralini et coll. est une étude ambitieuse conduite en mobilisant de larges moyens. Cette étude est à souligner du fait de son originalité ; en effet, très peu de publications relatent des travaux portant à la fois sur les effets à long terme des OGM et l'herbicide pour lesquels ils sont tolérants.
Cette étude présente la particularité de tester parallèlement sur cette longue période et à plusieurs doses une plante génétiquement modifiée (PGM) et non traitée par un produit phytopharmaceutique ainsi que la formulation phytopharmaceutique complète seule (Roundup). A ce titre, il n'a pas été trouvé d'équivalent dans la littérature. Elle se caractérise également par le suivi d'un nombre important de paramètres sanguins et urinaires […] », indique l'Anses
Aussi, l'Anses souligne qu'elle n'a pu retrouver que deux autres études « vie entière » chez l'animal sur les PGM, l'étude de Malatesta et coll. [2] et celle de Sakamoto et coll[3].
Devant les diverses limites de ce petit nombre d'études, l'Anses recommande d'engager de nouveaux travaux sur ces questions avec des protocoles bien étudiés. Pour cela et d'une manière plus générale, elle appelle à la mobilisation de financements publics nationaux ou européens dédiés à la réalisation d'études et de recherches d'envergure visant à consolider les connaissances sur les risques sanitaires insuffisamment documentés, à l'image du dispositif mis en place aux Etats-Unis sous le nom de National Toxicology Program.
Critique de l'étude : l'Anses reproche aux auteurs plusieurs extrapolations
La nouvelle analyse de l'Anses a été réalisée par un groupe de 10 experts multidisciplinaires (GECU) qui a réévalué les données publiées mais aussi des données brutes complémentaires relatives à la mortalité et à l'apparition des tumeurs non régressives que Gilles Séralini a fourni pour cette nouvelle analyse. L'agence a, par ailleurs, auditionné Gilles-Eric Séralini et certains de ses co-auteurs (Spiroux de Vendômois, Defarge, Gress et Mesnage) mais aussi M. François Veillerette, Président de l'association « Générations futures », entendu afin d'apporter son éclairage sur les modalités d'évaluation des risques sanitaires des OGM et des produits pharmaceutiques. En parallèle, l'agence a participé à plusieurs réunions d'informations avec l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). La société Monsanto a également été sollicitée et a transmis des éléments d'information sous forme écrite le 17 octobre…
En conclusion, au-delà des critiques déjà émises sur le plan méthodologique par l'EFSA, le Bundesinstitut für Risikobewertung (BIR, Allemagne), le National Institute for Public Health and Environment (RIVM, Pays-Bas), le Danmarks Tekniske Universitet (DTU, Danemark), 6 académies françaises et la firme Monsanto, l'Anses considère que « la faiblesse centrale de l'étude réside dans le fait que les conclusions avancées par les auteurs sont insuffisamment soutenues par les données de cette publication. Celles-ci ne permettent pas d'établir scientifiquement un lien de cause à effet entre la consommation du maïs GM et/ou herbicide et les pathologies constatées, ni d'étayer les conclusions et les mécanismes d'action avancés par les auteurs. »
Pour mémoire, les auteurs décrivent, notamment pour les femelles, dans tous les groupes traités, une mortalité plus précoce et plus élevée et une apparition des tumeurs « globalement » plus précoces et plus importantes. Ils décrivent pour l'ensemble des mâles recevant les PGM des lésions hépatiques. « La critique majeure des résultats de l'étude tient à l'absence d'analyse statistique des données concernant ces affirmations. Les auteurs constatent simplement que les lots traités sont globalement plus affectés que le lot contrôle », indique l'Anses.
Grâce aux données supplémentaires fournies par les auteurs, l'Agence a pu réaliser cette analyse statistique. Résultats : aucun des tests n'est significatif après ajustement pour les facteurs confondants.
Enfin, les experts notent que la cohérence biologique entre l'exposition aux produits et les pathologies observées est faible. Concernant l'hypothèse d'un effet perturbateur endocrinien et donc d'un effet à faibles doses, avancée par les auteurs de l'étude, Jean-Pierre Cravedi, (Président du groupe d'expertise collective d'urgence (GECU), directeur de recherche, INRA, Toulouse) la réfute : « Là, nous avons des résultats qui ne suivent aucune logique. Nous ne pouvons pas relier ces résultats à un effet de type perturbateur endocrinien. Aussi, on a du mal à imaginer un mécanisme d'action perturbateur endocrinien de la plante GM.»
« Les hypothèses mécanistiques avancées par les auteurs ne sont pas étayées par des résultats et sont donc spéculatives », indique le GECU.
Et sur le choix des rats et le nombre d'animaux par groupe ?
Sur le plan méthodologique, un autre critique phare tient « au caractère unique et à la taille réduite des lots contrôles mâles et femelles qui réduisent significativement les possibilités d'interprétation de cette étude. L'auteur de l'étude a lui-même convenu au cours de son audition que ce point était regrettable », précise l'Anses.
« Si on veut refaire une étude sur des rats Sprague-Dawley sur deux ans, compte tenu de l'apparition spontanée de tumeurs chez cette souche de rats, il faudra prévoir des lots d'animaux beaucoup plus importants que si on avait utilisé des rats moins sensibles. On peut très bien mener des études de long terme sur cette souche de rats sensibles mais à ce moment-là, il faut prévoir un nombre de rats suffisant pour pouvoir interpréter les résultats et le nombre d'animaux suffisant serait autour de 80 à 100 par groupe. Ce qui implique une étude d'une dimension tout autre », explique Jean-Pierre Cravedi.
Les défaillances du processus d'homologation pointées du doigt par l'Anses
Depuis 2003, les OGM font l'objet d'un cadre réglementaire européen spécifique (règlement N°1829/2003) qui définit les modalités d'évaluation des risques des OGM pour l'alimentation et pour l'environnement. Cette évaluation est confiée à l'EFSA. L'EFSA offre, toutefois, aux Etats membres, la possibilité d'évaluer les données et de transmettre leurs commentaires.
En France, sur le plan alimentaire, le dossier est instruit par l'Anses qui vérifie la validité scientifique des données, leur conformité aux exigences réglementaires et évalue les risques sanitaires. L'avis de l'Anses permet d'orienter le vote français au cours de la procédure d'autorisation de la Commission européenne.
« Pour 55% des dossiers instruits sur des plantes génétiquement modifiées, l'Agence a estimé que les données fournies par les industriels n'étaient pas suffisantes pour permettre de conclure sur la sécurité sanitaire liée à la consommation de l'OGM et ces dossiers ont fait l'objet de demandes complémentaires à l'EFSA », indique l'Anses.
Concernant les OGM, l'agence souhaite renforcer les exigences auxquelles doivent répondre les industriels. Elle rappelle qu'elle a été la première en Europe à s'interroger sur le protocole de l'étude de toxicité sub-chronique par consommation de la plante génétiquement modifiée pendant 90 jours.
Dans un avis rendu en 2011, elle préconise notamment une augmentation du nombre d'animaux pour améliorer la puissance statistique des tests. Ce rapport fait état de « marges d'erreur inhérentes à la mise en œuvre des études de toxicité sub-chronique par administration de la plante via l'aliment, pendant 90 jours chez les rats, […] lors de l'évaluation des OGM avant mise sur le marché ». Selon, les auteurs : « la puissance est insuffisante dans respectivement 50 % et 80 % des tests ».
Le GECU souligne également que la capacité des méthodes d'évaluation actuelle à détecter d'éventuels effets des OGM sur le long terme fait débat, alors qu'on assiste à la complexification croissante (plusieurs gènes d'intérêts modifiés) des plantes génétiquement modifiées.
S'agissant des herbicides, l'Anses s'est investie pour que les lignes directrices européennes prennent mieux en compte les effets cumulés entre substances actives. Ces évolutions sont en cours d'introduction dans les référentiels d'évaluation européens. Reste que les effets cumulés entre substances actives et co-formulants ne sont toujours pas étudiés.
Enfin, la réglementation sur la mise sur le marché n'exige pas d'études à long terme pour la préparation commerciale. « Nous n'avons pas identifié d'études sur le long terme pour les préparations à base de glyphosate avec le co-formulant, qui rentre dans la formulation du Roundup », souligne Dominique Gombert, Directeur de l'évaluation des risques à l'Anses.
Un projet de règlement européen intégrant les préconisations de l'Anses est en cours de finalisation et a été soumis aux Etats membres au printemps 2012.
« Nous en saurons plus d'ici la fin de l'année », a commenté Gérard Lasfargues, directeur général adjoint scientifique de l'Anses.
Au-delà du renforcement en cours du cadre réglementaire , l'Anses recommande d'engager des études et recherches sur la question des effets à long terme des OGM associés aux préparations phytopharmaceutiques qui devraient être menées dans le cadre de financements publics et sur la base de protocoles précis.
Membres de l'ANSES : Gérard Lasfargues : consulter sa déclaration d'intérêt Dominique Gombert : consulter sa déclaration d'intérêt Groupe d'expertise GECU : Jean-Pierre Cravedi : consulter sa déclaration d'intérêt Michel Gautier : consulter sa déclaration d'intérêt Mariette Gerber : consulter sa déclaration d'intérêt Joël Guillemain : consulter sa déclaration d'intérêt Florian Guillou: consulter sa déclaration d'intérêt David Makowski: consulter sa déclaration d'intérêt Fabrice Nesslany: consulter sa déclaration d'intérêt Erwan Poupon: consulter sa déclaration d'intérêt Marie-Anne Robin: consulter sa déclaration d'intérêt Paule Vasseur: consulter sa déclaration d'intérêt Les déclarations publiques d'intérêt des agents et des experts de l'Anses sont celles qui figurent sur le site de l'Anses http://www.anses.fr (rubrique déontologie) |
Citer cet article: L'Anses juge l'étude de Séralini sur les OGM : ambitieuse, originale mais non conclusive - Medscape - 24 oct 2012.
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