Paris, France — Si le livre de Philippe Even (directeur de l'Institut Necker) et de Bernard Debré (médecin et député UMP de Paris) : le Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux a suscité peu de réaction des autorités de santé, les médecins se mobilisent désormais massivement contre ce « jugement exécutoire » qu'ils estiment « dangereux » [1].
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Livre Even-Debré |
De leur côté, les Prs Jean-François Bergmann (interniste, Hôpital Lariboisière), François Chast (pharmacien des hôpitaux, Hôtel Dieu), et André Grimaldi (diabétologue) ont lancé un appel, relayé par le Journal du Dimanche , pour la rédaction urgente d'un répertoire officiel ou d'un livre blanc qui recenserait les médicaments vraiment nécessaires mais cette fois avec une méthodologie rigoureuse. Ils appellent également à revoir la politique du prix du médicament et à réformer la pharmacovigilance.
Heartwire a interviewé le Pr Grimaldi.
Heartwire : Comment avez-vous réagi à la lecture du « Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux » (Le Cherche Midi) de Philippe Even et Bernard Debré?
André Grimaldi : Appeler ce livre « Guide des 4000 médicaments » est un abus de langage. C'est un pamphlet, pas un guide. Comment peut-on prétendre écrire tout seul un livre sur 4000 médicaments, même si on bénéficie de la relecture d'un ami urologue? Une somme de travail impressionnante, un texte polémique, par moment brillant, mais pas un guide. Nous avons relevé beaucoup d'erreurs médicales mais aussi des propos excessifs et des critiques ad nominem.
Avec une vingtaine de collègues thérapeutes, pharmaciens oncologues, néphrologues, hématologues, cardiologues pneumologues, gastroentérologues,…nous avons décidé de réagir sur le fond et d'écrire un texte sur les médicaments inutiles et les procédures opaques de détermination des prix des médicaments, en donnant un certain nombre d'exemples. Ce texte va être publié dans la Revue du Praticien pour les professionnels de santé. En parallèle, nous avons publié un appel court dans le Journal du Dimanche sur la nécessité de réformer la politique du médicament et d'écrire un livre blanc critique aidant à la prescription et accessible aux patients mais respectant une méthodologie rigoureuse avec des spécialistes dans chaque domaine, une relecture et éventuellement une expression des points de désaccord entre experts.
Enfin, un article est prévu dans le journal Le Monde qui est une réponse de diabétologues pointant de lourdes erreurs sur le diabète.
A mon avis, il n'est pas possible de ne pas réagir alors que 200 000 exemplaires du livre ont été vendus. Cela montre que les français sont inquiets, qu'ils ont le sentiment que la politique du médicament est opaque et ce sentiment est légitime. Il faut y répondre avec un argumentaire précis car ce livre dit aussi beaucoup de choses justes. Ce serait une erreur de le traiter par le mépris mais, encore une fois, il contient des affirmations erronées et même parfois scandaleuses.
Dans les grandes lignes, qui a-t-il de juste dans le livre de Philippe Even et Bernard Debré, selon vous ?
A.G. : Quand Philippe Even dit qu'il faut faire le ménage, il a raison.
Le livre indique, par exemple, que les génériques sont deux fois plus chers en France qu'en Angleterre (15 centimes en moyenne en France contre 7 centimes au Royaume Uni) ; cela nous coûte un milliard d'euros. C'est exact et c'est incompréhensible.
Les auteurs pointent aussi le fait que la Direction Générale de la Santé a interdit l'utilisation de l'Avastin® (Roche) pour soigner la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA). Alors que le Lucentis® (Novartis) est autorisé en France dans cette indication et pour la même efficacité. Or, la différence de coût est d'un facteur 20 : 800 euros par injection mensuelle de Lucentis® et 30 à 50 euros par injection d'Avastin®. Pourquoi ?
Autre exemple, en diabétologie, pour les sulfamides hypoglycémiants, les prix vont du simple à plus du double pour une efficacité identique. C'est encore une fois inexplicable.
Le livre révèle donc l'opacité du Comité économique des produits de santé (CEPS) qui détermine les prix en prenant en compte l'amélioration du service médical rendu (ASMR) mais comme un critère parmi d'autres. Dans l'affaire du Médiator® (Servier), par exemple, la Haute Autorité de Santé a indiqué que le médicament n'avait pas d'efficacité par deux fois, mais cela n'a pas empêché qu'il soit remboursé à 100% pour les diabétiques par le CEPS… D'ailleurs, tout ce qui est dit dans le livre sur les laboratoires Servier est parfaitement juste.
Enfin, concernant le montant des rétro-versements des laboratoires à la sécurité sociale lorsque le volume des ventes dépasse les prévisions, il est absolument opaque. Etrangement, certains médicaments ont vu leurs prescriptions dépasser largement leur AMM sans qu'il ne se passe rien. A titre d'exemple, l'ésoméprazole (Inexium®, AstraZeneca) est utilisé hors AMM en association avec l'aspirine en cardiologie, et ce, alors que l'oméprazole est beaucoup moins cher.
Et qu'y a-t-il de faux ?
A.G. : Un des points qui m'a le plus frappé est qu'il est écrit que le cholestérol n'est pas un facteur de risque cardiovasculaire. C'est ahurissant. Les auteurs considèrent donc que les statines ne doivent pas être prescrites en prévention primaire même chez les personnes à risque. Ils affirment qu'en Angleterre, les statines ne sont pas remboursées. C'est faux. Les statines sont remboursées en Angleterre sur ordonnance et elles sont, en plus, disponibles en vente libre. Leur propos sur les statines, va conduire des gens à arrêter leur traitement en augmentant leur risque d'accident coronarien.
Dans l'étude STENO, il a été montré que chez des diabétiques à risque vasculaire, la morbimortalité est divisée par deux grâce à l'adjonction d'un IEC, d'aspirine et d'une statine, et non pas grâce au traitement du diabète (HbA1c =7,7% en fin d'étude). Si les diabétiques ont diminué de manière importante leur mortalité cardiovasculaire, c'est d'abord grâce aux statines. Il y a une incompréhension totale de cette question par les auteurs qui affirment au contraire que le bénéfice est dû essentiellement à l'amélioration de la glycémie.
Autre point, concernant le diabète, ils font l'apologie des médicaments anciens du diabète en ventant leur efficacité. Les sulfamides sont, en effet, très efficaces puisqu'ils peuvent induire des comas hypoglycémiques, mais au fil des années, leur efficacité diminue si bien qu'après 10 ans, il n'y a plus qu'un quart des patients qui peuvent être traités par une monothérapie.
La metformine, est présentée comme un médicament fantastique qui diminue la mortalité, ce qui n'est absolument pas prouvé. Ils oublient que la metformine a été interdite aux Etats-Unis jusqu'en 1993 en raison du risque d'acidose lactique. Il faut du temps pour apprécier le rapport bénéfice/ risque d'un médicament.
En revanche, je pense, comme eux, qu'il y un abus à vouloir remplacer les médicaments anciens du diabète par des médicaments nouveaux, beaucoup plus chers et dont on ne connaît pas la sécurité à long terme. Il vaudrait mieux utiliser ces nouveaux traitements, en dehors d'indications particulières, en trithérapie c'est à dire plus tard dans la stratégie d'escalade thérapeutique en attendant les résultats des études de morbi-mortalité (5 à 6 ans après la commercialisation).
Vous avez parlé de propos scandaleux…
A.G. : En effet, certains propos sont choquants :
- Concernant les diabétiques, il est écrit : « Il faut refuser de traiter les diabétiques qui refusent le régime. ». Comment peut-on encore dire des bêtises pareilles.
- Pire, sur les obèses : on lit p 397 : « L'obésité molle, huileuse et luisante qui coule et ruisselle dans les rues où les quintaux de tous âges déambulent en se dandinant » et page 401 : « il n'y a qu'un traitement efficace, le régime hyper sévère poursuivi des années et l'exercice physique. Il n'y a pas d'obèses en Somalie, au Soudan et en Ethiopie. Page 405 : « Les patients ont si peu d'énergie et de volonté, qu'il faudrait leur arracher la nourriture avec les dents. Faudra-t-il la taxer comme l'alcool et le tabac ? ».
C'est dégradant pour les auteurs, mais, le vrai danger du livre est qu'il risque d'amener les patients à arrêter leur traitement et notamment les statines.
Dans votre appel, qu'entendez-vous exactement par revoir la politique des médicaments ?
En quelques points :
- Il faudrait que le CEPS qui dépend de l'Etat et qui détermine le prix des médicaments et la Commission de transparence de la Haute Autorité de Santé qui évalue le SMR (service médical rendu) et l'ASMR (amélioration du service médical rendu) soient une seule et même institution comme c'est le cas dans d'autres pays comme le Royaume-Uni.
- Il faudrait que les autorités de régulation fassent une évaluation médico-économique des médicaments pour ne pas laisser un boulevard à l'industrie. Le coût des traitements doit être pris en compte dans les recommandations.
- Il peut y avoir des accords avec les industriels sur les volumes de vente mais les rétro-versements ne peuvent pas être secrets, comme c'est le cas actuellement.
- Lorsque le médicament a des indications limitées, que ses indications sont élargies et que son volume de vente augmente, le prix devrait baisser, ce qui n'est pas le cas pour beaucoup de médicaments.
- La place des nouveaux médicaments dans la stratégie thérapeutique doit être décidée en fonction des besoins de santé publique et non pas en fonction des plans de développement de l'industrie qui sont calculés en fonction des marchés et de leur rentabilité. Lorsque des nouveaux médicaments s'ajoutent à des médicaments déjà efficaces et bien tolérés, ils doivent rentrer en complément mais pas en substitution. Il faut les utiliser pour des indications particulières, ciblées, ou dans les situations d'échec thérapeutique et attendre les données de morbi-mortalité et de sécurité sur le long terme pour élargir éventuellement les indications. Par exemple, dans le diabète, un analogue du GLP1 a obtenu une indication en bithérapie et non en situation d'échec thérapeutique alors que nous ne connaissons pas la sécurité au long cours.
- La multiplication des marques de génériques et leur prix élevé en France sont problématiques. Encore, une fois, je ne comprends pas comment les négociations aboutissent à des prix deux fois plus élevés en France qu'au Royaume Uni. Comment peut-on le justifier ?
- Certains médicaments sont remboursés à 15%, à 35 %...Soit, ils sont efficaces et ils sont remboursés à 100%, éventuellement dans une indication limitée, soit ils ne sont pas efficaces et ils ne devraient pas être remboursés. La logique semble, là encore, économique. S'il y a des compromis pour des raisons économiques, il faut qu'ils soient transparents. Le manque de transparence créé une extrême suspicion de la part des français qui se demandent désormais si le médicament est remboursé pour leur santé, pour la défense de l'emploi, pour les rétro-versements ou en raison des amitiés politiques du PDG du laboratoire. Le prescripteur, lui aussi, se demande s'il est manipulé.
- Nous avons besoin d'un document qui ait à la fois une liberté de critique et une rigueur méthodologique : un livre blanc.
Vous avez aussi parlé d'une réforme de la pharmacovigilance ?
En effet, le Pr Jean-François Bergman (interniste, Hôpital Lariboisière) a beaucoup insisté sur ce point. Cette proposition de réforme s'inspire de l'étude qui a permis de mettre en lumière les effets secondaires graves du Mediator® et dont la méthode a été ensuite appliquée à la pioglitazone et à la glargine. La Sécurité sociale dispose de toutes les ordonnances et le PMSI rassemble des données hospitalières importantes. Tous nos médicaments devraient donc être évalués en post-marketing en comparant les ordonnances et les événements hospitaliers. Grâce à cette méthode, nous avons mis en évidence un risque de cancer de la vessie augmenté (faiblement mais indiscutablement) chez l'homme avec la pioglitazone. Bien sûr, il y a des limites, car les ordonnances n'indiquent pas, par exemple, si la personne fume, alors que c'est le premier facteur de risque du cancer de la vessie, ce qui oblige à recourir à des ajustements. Mais, si la démonstration n'est pas absolue, elle est un indicateur puissant qui permet de mettre en évidence un risque même faible. Autre exemple récent, l'étude la Sécurité sociale publiée en septembre dans Diabetes Care qui, par une méthode similaire, a montré que l'utilisation de la glargine n'était pas associée à un sur-risque de cancer.
Vous parlez de la création d'un répertoire national officiel recensant les 1000 médicaments qui suffiraient à soigner les français ? Pourquoi 1000 ?
C'est un ordre d'idée. L'OMS dit qu'il existe 200 médicaments vraiment utiles. Et lorsqu'on réfléchit au nombre de doublons, de génériques, et de médicaments dits à efficacité faible, un quart des médicaments sur 4000 semble une proportion raisonnable, mais ce n'est pas un chiffre scientifique.
Le Pr Grimaldi n'a pas de conflit d'intérêt en rapport avec le contenu de cette interview. Il a reçu des honoraires de l'industrie pharmaceutique pour des conférences ou des réunions de conseils. Il a participé aux congrès de diabétologie français, européens, américains, mondiaux grâce au financement de l'industrie pharmaceutique. L'informatisation de son service a été financée par un don de Sanofi Aventis. |
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Citer cet article: Livre Even/Debré : le Pr Grimaldi met les pendules à l'heure - Medscape - 17 oct 2012.
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