Les diabétologues en guerre contre le marquage CE des dispositifs médicaux

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

16 octobre 2012

L'EASD appelle à rénover le système du marquage CE des dispositifs médicaux

L'Association européenne des diabétologues (EASD) fustige le marquage CE comme système de certification des dispositifs médicaux et se fait force de propositions.
17 octobre 2012

Berlin, Allemagne - Lors de l'édition annuelle du congrès de l' European Association for the Study of Diabetes (EASD), le Président de l'association, le Pr Andrew Boulton (Université de Manchester, Royaume-Uni) a exprimé de vives inquiétudes quant au processus d'homologation des dispositifs médicaux (DM) en Europe [1]. Et ce, dans un contexte où les appareils deviennent de plus en plus sophistiqués, les scandales de plus en plus nombreux (prothèses de hanche, implants mammaires…) et où les voix commencent à s'élever.

Dans l'édition du 3 mars 2012, le British Medical Journal écrit : « après une série de problèmes, l'homologation des DM nécessite un « remaniement radical » et ajoute que : « l'homologation des DM semble venir des années 1950 plutôt que du 21ème siècle ».

Et, dans la même revue, le 4 août, on peut lire : « les dispositifs médicaux ont seulement besoin d'un marquage CE, ce qui les place au même rang que […] les grille-pains. »

En réponse, la Commission Européenne a publié, le 26 septembre, de nouvelles propositions pour renforcer le niveau de sécurité, mais les diabétologues les jugent clairement insuffisantes [2].

« Après les scandales de ce début d'année, la Commission Européenne a manqué l'opportunité de renforcer sa législation. Ils ont fait les premiers mètres, mais il reste des kilomètres à parcourir », a commenté le Pr Boulton pour Medscape.fr.

Les diabétologues inquiets des conséquences de possibles dysfonctionnements


Les dispositifs médicaux jouent un rôle de plus en plus important en diabétologie, en particulier pour améliorer la qualité de vie des patients. Les glucomètres et les pompes à insuline sont devenus des standards de soin. Les capteurs sous-cutanés sont de plus en plus utilisés pour atteindre des objectifs glycémiques optimum et il semble que, dans un futur proche, la délivrance d'insuline puisse être ajustée automatiquement (pancréas artificiels). « Clairement, tout dysfonctionnement ou problème [de ces appareils] peut avoir des conséquences tragiques chez les patients diabétiques », a souligné le Pr Boulton.

Un système d'homologation des dispositifs peu rigoureux


Le système d'homologation des dispositifs médicaux est beaucoup moins rigoureux que les autorisations de mise sur le marché des médicaments en Europe et que le processus d'homologation des dispositifs médicaux de la Food&Drug Administration (FDA) aux Etats-Unis. La conduite d'études ou d'essais indépendants n'est pas obligatoire pour qu'un dispositif médical soit commercialisé. De plus, après la mise sur le marché, aucune étude de suivi sur le long terme n'est requise.

Pour mettre un dispositif médical sur le marché, les fabricants européens doivent obtenir un marquage CE délivré par l'un des organismes notifiés : en général des institutions indépendantes sous l'égide des états où ils sont situés. Pour obtenir un marquage CE, un fabricant de glucomètre peut choisir de déposer sa demande auprès de n'importe lesquels de ces organismes qu'il va rémunérer pour son expertise. L'organisme s'assure ensuite que le dispositif répond aux spécifications requises et donne un marquage CE qui permet au fabricant de commercialiser l'appareil à travers toute l'Europe sans plus de contrôle.

Or, le niveau d'exigence de ces organismes notifiés semble varier largement d'un pays à l'autre. L'EASD pointe plusieurs limites du système :

- les fabricants peuvent cibler l'organisme notifié qui autorisera le plus probablement leur dispositif ;

- les organismes notifiés sont en concurrence, ce qui peut être source d'abus par certains organismes moins rigoureux qui cherchent à conserver leur marché ;

- il existe des variations substantielles en termes de prix à l'intérieur et entre les pays de l'Union Européenne.

Les propositions de l'EASD : une norme ISO et des registres


L'EASD et d'autres sociétés savantes, notamment la Société Européenne de Cardiologie, ont lancé un appel pour que l'évaluation des dispositifs médicaux soit centralisée par une agence sous le contrôle de l'Agence Européenne du Médicament (EMA). Mais, il semble que selon « des indications de la Commission Européenne, la création d'une telle agence ne soit pas envisageable », indique le communiqué de presse de l'EASD.

Au final, le Pr Boulton préconise que «  l'évaluation soit au moins contrôlée par des laboratoires centraux indépendants avec une expertise spécifique ». il souhaite également, que « les fabricants de pompes à insuline, de capteurs de la glycémie, et, dans le futur, de pancréas artificiels (glucomètre plus pompe à insuline) soient obligés de rentrer leurs données dans des registres nationaux de patients traités avec ces dispositifs afin d'avoir une évaluation indépendante de qualité. »

Aussi, pour l'EASD, la meilleure solution serait que tous les dispositifs de mesure de la glycémie soient assujettis à la norme internationale ISO.

L'EASD réfléchit, de son côté, à la mise en place d'un marquage EASD, gage de qualité, qui s'appuierait sur des critères inspirés des standards ISO et qui permettrait aux Etats de décider ou non de rembourser les dispositifs.

L'EASD ouvrirait des installations en Europe pour mener à bien ces expertises et proposerait une randomisation des dispositifs autorisés dans les années suivant la mise sur le marché pour s'assurer qu'ils sont conformes aux exigences. Enfin, chaque dispositif (dans le cas des glucomètres) serait coté indépendamment pour que les effets indésirables puissent être enregistrés dans des registres et les problèmes détectés aussi vite que possible.

Les propositions de la Commission Européenne, 26 septembre 2012

- Le champ d'application de la législation de l'Union est étendu, aux implants à finalité esthétique, par exemple, et clarifié, en ce qui concerne les logiciels médicaux, par exemple. La sécurité et les performances de ces produits seront ainsi correctement évaluées avant leur commercialisation sur le marché européen.

- La surveillance des organismes d'évaluation indépendants par les autorités nationales est renforcée.

- Les pouvoirs conférés aux organismes d'évaluation sont renforcés, tout comme les obligations qui leur incombent, pour garantir que les fabricants feront l'objet d'évaluations rigoureuses et de contrôles réguliers, notamment par des visites d'usine inopinées et des essais par sondage.

- Les droits et les responsabilités des fabricants, des importateurs et des distributeurs sont clarifiés, y compris en ce qui concerne les services diagnostics et la vente en ligne.

- La base de données sur les dispositifs médicaux est développée, et contient des informations exhaustives et accessibles au public sur les produits disponibles sur le marché de l'Union. Les patients, les professionnels de la santé et le grand public pourront consulter les principales données concernant les dispositifs médicaux disponibles en Europe, et prendre ainsi des décisions en connaissance de cause.

- La traçabilité des dispositifs tout au long de la chaîne d'approvisionnement est améliorée, ce qui permettra de réagir rapidement et efficacement à tout problème de sécurité. L'introduction d'un système d'identification unique des dispositifs permettra d'en améliorer la sécurité après leur commercialisation, de contribuer à réduire le nombre d'erreurs médicales et de lutter contre la contrefaçon.

- Les exigences relatives aux preuves cliniques sont renforcées pour garantir la sécurité des patients et des consommateurs.

- Les règles applicables sont adaptées aux progrès technologiques et scientifiques, à l'instar des prescriptions en matière de sécurité et de performances applicables aux nouvelles technologies de la santé, telles que les logiciels et les nanomatériaux.

- La coordination entre les autorités nationales de surveillance est améliorée pour garantir que seuls des dispositifs sûrs sont disponibles sur le marché européen.

- Les lignes directrices internationales sont prises en compte pour faciliter les échanges internationaux.



Le Pr Boulton a déclaré qu'il n'avait pas de liens d'intérêts en rapport avec le sujet.

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