Tirs croisés sur les boissons sucrées dans le New England

Adélaïde Robert-Géraudel

17 octobre 2012

Boston, Etats-Unis et Amsterdam, Pays-Bas- Les preuves s'accumulent pour montrer que les boissons sucrées sont bel et bien impliquées dans l'épidémie d'obésité. Trois études publiées simultanément dans le New England Journal of Medicine établissent leur influence.

Toutes laissent également entendre qu'à l'inverse, les boissons light, à savoir artificiellement sucrées, n'auraient pas l'impact négatif qu'on leur prête.

Un soda sucré par jour + un terrain génétique propice = un sur-risque d'obésité

C'est sur un terrain génétique propice que les boissons sucrées ont le plus d'influence sur l'obésité.

Qibin Qi (Harvard School of Public Health, Boston) et ses collègues ont ainsi observé dans deux cohortes (et vérifié dans une troisième) qu'un score de prédisposition génétique à l'obésité était fortement associé à l'indice de masse corporelle (IMC) chez les plus gros consommateurs de boissons sucrées [1].

Le score de prédisposition génétique a été calculé à partir de 32 loci génétiques associés à l'IMC.

Trois cohortes ont été utilisées : une cohorte de 6934 femmes (NHS), une de 4423 hommes (HPFS) et une troisième cohorte, de 21740 femmes (WGHS). Ces cohortes ne comprenaient que des personnes d'origine européenne : les résultats ne peuvent donc être étendus aux personnes d'autres origines.

Les plus gros consommateurs de boissons sucrées se retrouvaient parmi les participants les plus jeunes et tendaient à présenter en parallèle une moindre consommation d'alcool, une moindre activité physique, une moindre consommation de boissons light et une plus forte prise calorique totale.

La consommation de boissons sucrées était associée à l'IMC dans les trois cohortes de manière statistiquement significative. En revanche, l'interaction n'était pas significative avec la consommation de boissons light.

En outre, plus la consommation de boissons sucrées était élevée dans ces cohortes et plus le risque de devenir obèse augmentait avec le score de prédisposition génétique.

Inversement, l'association entre la hausse de l'IMC et le score de prédisposition génétique était d'autant plus forte dans la plus haute catégorie de consommation de boissons sucrées (au moins une boisson sucrée par jour).

« Ces données suggèrent que les personnes consommant de plus fortes quantités de boissons sucrées sont peut-être plus sensibles aux effets génétiques sur l'adiposité. Vu sous un autre angle, les personnes ayant la plus forte prédisposition génétique à l'obésité semblent plus sensibles aux effets délétères des boissons sucrées sur l'IMC », concluent les auteurs.

 
Les personnes ayant la plus forte prédisposition génétique à l'obésité semblent plus sensibles aux effets délétères des boissons sucrées sur l'IMC - Qibin Qi et al.
 

Reste à savoir pourquoi. Or pour l'instant, les mécanismes par lesquels les sodas sucrés peuvent modifier l'effet génétique restent largement inconnus car les fonctions biologiques des loci des gènes associés à l'IMC restent à caractériser.

Résultats poolés à partir des trois cohortes


Nombre de boissons sucrées consommées
Risque relatif d'obésité incidente pour chaque hausse de 10 allèles à risque (IC 95%)
< 1/mois
1,35 (1,18-1,54)
1-4/mois
1,59 (1,33-1,91)
2-6/semaine
1,56 (1,26-1,92)
= 1/jour
3,35 (2,22-5,05)

Cette étude souligne ainsi « le besoin de tester des interventions réduisant les apports en boissons sucrées pour réduire le risque d'obésité et de maladies associées », concluent les auteurs.

C'est chose faite dans les deux essais randomisés publiés conjointement, menés auprès d'enfants en surpoids ou non.

L'étude suggère également, comme l'écrit Sonia Caprio (Yale School of Medicine, New Haven) dans un éditorial [2] accompagnant les trois articles que ce type d'interventions pourrait être d'autant plus efficace chez les personnes présentant un score de prédisposition génétique élevé.

Moins de sodas = moins de prise de poids

Diminuer la prise de boissons sucrées en les remplaçant par des boissons light, permet-il d'avoir un effet sur le poids ? Oui, si l'on en croit l'étude DRINK menée par Janne de Ruyter (VU University Amsterdam, Pays-Bas) et ses collègues [3].

Leur équipe a distribué, de manière randomisée et en double-aveugle, des canettes de 25 cl contenant soit un soda sucré (26 g de sucrose soit 104 kcal), soit un soda light (34 mg de sucralose et 12 mg d'acésulfame-potassium), à 641 enfants âgés de 4 à 11 ans et sans surpoids.

Les auteurs précisent que la quantité de kilocalories apportée par les sodas distribués dans cette étude est trois fois inférieure à celle apportée par les boissons sucrées consommées par les enfants aux Etats-Unis.

Les sodas (non gazéifiés) étaient distribués via les établissements scolaires. Chaque enfant recevait un pack hebdomadaire avec les canettes pour la semaine et le week-end. Les enfants d'un même établissement recevaient tous les mêmes canettes.

Après 18 mois de suivi, 26% des enfants avaient cessé d'adhérer à l'intervention et ne consommaient plus les canettes distribuées - la plupart parce qu'ils n'en aimaient pas le goût.

Le score z d'IMC, à savoir le nombre de déviations standard (SD) par lequel l'IMC différait de la moyenne nationale pour les enfants de même âge et de même sexe, a augmenté de 0,02 SD chez les enfants ayant consommés le soda light contre 0,15 SD chez ceux ayant consommé le soda sucré, soit une différence significative de -0,13 (IC 95%, - 0,21 - -0,05) sur l'ensemble de la cohorte. Cette différence apparaît dans les six premiers mois.

Le poids a quant à lui respectivement augmenté de 6,35 kg et 7,37 kg, soit un écart de -1,02 kg (IC 95% t -1,54- -0,41). De même, l'épaisseur du pli cutané, le rapport taille/tour de taille, la masse grasse ont moins augmenté dans le groupe ayant consommé des sodas light. Enfin, les enfants ayant consommé les boissons sucrées ont davantage grandi (+0,36 cm).

D'après les auteurs, la différence en termes de poids entre les deux groupes est due, pour environ 500g, à la masse grasse et pour 300g à la masse maigre, tandis que le reste serait dû à la différence de taille.

Les auteurs proposent comme explication à la moindre prise de graisse corporelle dans le groupe « sodas light » le fait que la moindre consommation de liquides sucrés n'est pas remarquée par le système de satiété, et n'est donc pas compensée par une hausse de la consommation d'autres aliments sucrés.

Ils suggèrent aussi que la moindre consommation de liquides sucrés pourrait diminuer le pic d'insuline et donc la faim.

Une chose leur semble sûre : la moindre prise de poids n'est pas liée aux édulcorants qui, rappellent-ils, ne diminuent pas la prise calorique. Ainsi, de l'eau ou d'autres boissons non caloriques auraient eu le même effet.

Un effet plus modeste chez les enfants obèses

Limiter la prise de boissons sucrées a-t-elle aussi un effet chez des enfants en surpoids ou obèses ? Oui mais dans une moindre mesure, indiquent les résultats de Cara Ebbeling (Boston Children's Hospital, Boston) et ses collègues [4].

Leur étude, randomisée, a été menée auprès de 224 enfants obèses ou en surpoids.

Pendant un an, un groupe expérimental a bénéficié d'une intervention visant à diminuer la consommation de boissons sucrées, contrairement au groupe contrôle.

Celle-ci a consisté d'une part à distribuer des boissons non sucrées tous les 15 jours (eau et boissons light), et d'autre part à réaliser un soutien téléphonique auprès des parents (30 minutes par mois), trois entretiens de 20 minutes avec les participants, et à envoyer des instructions par mail.

A la fin de l'année d'intervention, les groupes ont été suivis une année supplémentaire.

Au début de l'étude, la consommation de boissons sucrées était identique entre les groupes : 61 cl/jour (1,7 unités de 12 oz, soit 36 cl). Au bout d'un an, elle atteignait presque 0 dans le groupe expérimental. Elle est en outre restée inférieure à celle du groupe contrôle au cours de la deuxième année.

A un an, la différence d'IMC était de 0,57 kg/m² (p=0,045) et la différence de poids de -1,9 kg (p=0,04). Ces différences étaient très significatives dans un sous-groupe préspécifié : les enfants d'origine hispanique où la différence d'IMC atteignait -1,79 (p=0,007) à un an et -2,35 (p=0,01) à deux ans, et la différence de poids - 6,4 kg (p=0,003) et -8,8 kg (p=0,005). En revanche, elles ne l'étaient pas dans les autres groupes.

Au vu de leurs résultats, les auteurs ont réanalysé les données d'une étude observationnelle réalisée sur 19 mois, et ont pu confirmer le lien entre la consommation de boissons sucrées, les modifications de l'IMC mais aussi l'impact de l'origine hispanique.

Au terme des deux ans d'étude, la différence d'IMC, qui était le critère primaire retenu, n'était cependant pas significativement différente entre les groupes. Il n'y avait pas non plus de différence en termes de graisse corporelle.

Les auteurs estiment que la perte d'effet à un an est soit liée à une hausse de la prise énergétique dans le groupe expérimental, avec une reprise de la consommation de boissons sucrées à la fin de l'intervention, soit à une baisse de la prise de ces boissons dans le groupe contrôle, liée à l'effort mené dans les écoles pour éliminer ce type de boissons.

 
Ces trois études donnent un élan fort pour développer des recommandations et prendre des décisions politiques afin de limiter la consommation de boissons sucrées, en particulier celles proposées à bas coût et en portions excessives - Sonia Caprio (New Haven)
 

Ensemble, ces trois études apportent « un élan fort pour développer des recommandations et prendre des décisions politiques afin de limiter la consommation de boissons sucrées, en particulier celles proposées à bas coût et en portions excessives », estime Sonia Caprio dans l'éditorial.

Mais, précise-t-elle, « d'autres stratégies destinées à atteindre ou maintenir un poids normal -comme augmenter l'activité physique- seront importantes pour endiguer l'épidémie d'obésité et ses effets ».

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