L'étude ISICA montre que l'insuline n'augmente pas le risque de cancer du sein
L'étude cas-témoins internationale ISICA dédiée à l'évaluation du risque de cancer du sein associé à l'utilisation des différentes insulines se veut rassurante, notamment pour la glargine. 4 octobre 2012Berlin, Allemagne -La session « Diabète et Cancer » du congrès annuel de l'EASD a été l'occasion pour le Pr Lucien Abenhaim (Paris, France) de présenter, en avant-première, les résultats de l'étude cas-témoins International Study of Insulin & Cancer (ISICA) dont il est l'un des auteurs : il en ressort une absence d'association entre l'insulinothérapie et la survenue du cancer du sein, notamment avec la glargine [1].
« Nous avons étudié l'utilisation des différentes insulines, en fonction ou non de la durée de l'exposition et des doses administrées et nous ne voyons pas d'augmentation du risque de cancer du sein », a commenté pur Medscape.fr la directrice de l'étude Lamiae Grimaldi-Bensouda, (pharmacienne, Vice-présidente scientifique de LA-SER Research, Pr associé au CNAL/Pasteur).
L'étude a été lancée après que 3 registres, publiés le 26 juin 2009 dans la revue Diabetologia, aient montré un risque plus élevé de cancer et notamment de cancer du sein avec l'analogue de l'insuline glargine (Lantus®, Sanofi-Aventis) [2,][][3][,][4]. Le rationnel physiopathologique étant que l'insuline stimule les facteurs de croissance (IGF1…) et qu'elle pourrait donc initier ou stimuler la croissance tumorale.
ISICA a inclus 775 patients diabétiques atteints d'un cancer du sein et 3050 témoins diabétiques indemnes de cancer. Les cas et les témoins ont été appariés pour l'âge, la date du recrutement, le pays ou la région d'origine, le type de diabète et le type de prise en charge. Leurs caractéristiques en termes de sévérité du diabète, de poids et de complications cardiovasculaires étaient similaires.
Les insulines étudiées étaient la glargine, l'aspart et la lispro (les analogues) et l'insuline humaine.
L'exposition à ces différentes insulines a été évaluée sur les 8 années précédant le diagnostic de cancer et elle a été contrôlée pour toute utilisation d'insuline même avant cela. Environ 9% des patients de chaque groupe recevaient de l'insuline depuis plus de 8 ans.
La durée moyenne d'exposition à la glargine était de 3,2 ans.
Bien que cela n'ait pas été un objectif de l'étude, les chercheurs ont observé que la présence d'un diabète depuis plus de 10 ans était significativement associé au une augmentation du risque de cancer du sein (RR=1,31).
Pas de sur-risque quelle que soit l'insuline utilisée, la durée d'exposition et la dose
« Nous n'avons pas vu d'association entre aucune des insulines individuelles et le cancer du sein », a indiqué le Pr Abenhaim. L'utilisation des différents types d'insuline était similaire dans les deux groupes.
ISICA : Risque relatif du cancer du sein en fonction du type d'insuline et de la durée d'exposition Insuline (<8 années avant le diagnostic de cancer) |
Risque relatif de cancer du sein |
Glargine |
1,04 |
Lispro |
1,23 |
Aspart |
0,95 |
Insuline humaine |
0,81 |
Insuline depuis plus de 8 ans |
0,93 |
De même lorsque la glargine était comparée directement aux autres insulines : lispro, aspart ou insuline humaine, les risques relatifs étaient similaires, respectivement de 0,85 ; 1,1 et 1,29. (NS)
« Ce qui est vraiment important, c'est que cette étude est bien menée et qu'elle apporte une réponse claire à la question spécifique de l'augmentation du risque de cancer du sein avec la glargine » a commenté le Pr Jacques Bringer (Chef du service de diabétologie du CHU de Montpellier et doyen de la faculté de médecine de Montpellier) pour Medscape.fr
Concernant les résultats en fonction de la durée d'exposition, ils n'étaient pas statistiquement significatifs, non plus. En dessous de 4 ans d'utilisation, le risque relatif était de 1,15 et entre 4 et 7 ans, il était de 0,94.
Pourquoi un suivi sur 8 ans ?
« La glargine a été commercialisée en France depuis 2003, en Angleterre depuis 2002 et au Canada depuis 2004. Nous nous sommes donc focalisés sur ces 8 années de commercialisation. En outre, entre temps, l'étude de Suissa a montré que 5 ans était le seuil à partir duquel le cancer du sein augmentait de façon significative (RR=1,8)», a indiqué la directrice de l'étude.
En parallèle, pour éviter les biais, les auteurs ont cherché à savoir si les patients qui avaient reçu de l'insuline avant la période retenue des 8 ans avaient un risque différent des autres. Là encore, ils n'ont pas retenu de différence. Chez les patients qui recevaient de l'insuline depuis moins de 8 ans (144 cas et 410 témoins), le risque relatif avec la glargine était de 0,96 contre 0,94 chez les patients qui recevaient de la glargine depuis plus de 8 ans (55 cas et 136 témoins).
Enfin, la dose n'avaient pas non plus d'influence : au-delà ou en dessous de 27 UI, les risques relatifs étaient respectivement de 1,1 et de 1,02.
Les facteurs de risque habituels du cancer du sein retrouvés
Pour Lamiae Grimaldi-Bensouda, le fait que l'étude ait mis en évidence les facteurs de risques de cancer du sein habituels, montre « la solidité et la validité de l'étude.»
Les facteurs reproductifs, mais aussi, les antécédents personnels et familiaux de cancers du sein sont associés à un risque plus élevé de cancer du sein.
ISICA : Les critères reproductifs sont des facteurs de risque de cancer du sein. Facteurs reproductifs |
Risque relatif |
Traitement hormonal substitutif |
1,37 |
Plus de 2 enfants |
0,88 |
1eres règles avant 13 ans |
1,06 |
Ménopause |
2,65 |
Allaitement |
1,01 |
Contraception orale |
1,2 |
Les plus et les moins de l'étude
L'évaluation du risque de cancer du sein en fonction de l'administration ou non des insulines mais aussi en fonction de la durée de l'exposition est un plus qui permet de limiter le biais d'attribution (inhérent à l'absence de randomisation) qui peut masquer l'effet d'un médicament.
« Il est rassurant de voir que les données sur l'exposition cumulée n'ont pas d'impact sur les résultats même si la puissance pour évaluer son incidence est limitée », a souligné le Pr Helen Colhoun (Professor of Public Health at the University of Dundee, Ecosse, Royaume-Uni) qui a commenté les résultats de l'étude suite à la présentation du Pr Abenhaim.
En revanche, pour l'oratrice, « une limite majeure est que l'exposition au traitement s'appuie sur la mémoire des participants et des médecins, ce qui est probablement peu fiable surtout en termes de durée des traitements et de leur dosage. »
Une critique que réfute Lamiae Grimaldi-Bensouda : « En fait nous, nous sommes aussi allés chercher toutes les ordonnances des patients pendant les 7 dernières années en France et au Royaume Uni. Au Canada, nous avons eu directement accès aux bases de données des prescriptions. Nous avons fait la même analyse uniquement avec les données de prescription et nous obtenons exactement les mêmes résultats. »
En effet, lorsque l'analyse s'appuie uniquement sur les prescriptions médicales, aucun sur-risque de cancer du sein n'est observé (RR=1,13 chez les utilisateurs de glargine et proche de 1 pour les autres types d'insuline).
Autre limite, la durée moyenne d'exposition à la glargine de 3,2 ans est courte. Il faudra donc valider ces résultats sur le plus long terme.
Helen Colhoun appelle donc à réaliser de nouvelles études en analysant à la fois l'exposition ou non à la glargine et l'exposition cumulée dans le temps. Pour l'oratrice, l'étude est une preuve de plus mais ne permet pas de conclure définitivement sur l'absence de risque de la glargine sur le risque de cancer du sein.
L'étude va être soumise à publication au NEJM la semaine prochaine.
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L'étude a été financée par les laboratoires Sanofi et sponsorisée par La-Ser, une compagnie privée qui réalise des études et de la consultation notamment pour les compagnies pharmaceutiques mais qui dispose d'une charte d'éthique. Le Pr Lucien Abenhaim ( LA-SER, Professeur honoraire London School of Hygiene &Tropical Medicine, Paris, France). Lamiae Grimaldi-Bensouda (pharmacienne, experte en pharmacologie clinique et en épidémiologie coordinatrice de l'étude, Vice présidente scientifique de LA-SER recherche, Pr associé au CNAL/Pasteur) n'a pas de liens d'intérêts en rapport avec l'étude Le Pr Helen Colhoun a des liens d'intérêts avec Sanofi, Astra Zeneca, Boehringer, Pfizer, Eli-Lilly , Roche, Pfizer et Roche. Le Pr Jacques Bringer a des liens d'intérêts plus ou moins anciens avec BMS, Johnson&Johnson, Eli-Lilly, MSD, Novartis, Novo Nordisk et Sanofi. |
Citer cet article: ISICA : pas plus de cancers du sein chez les diabétiques sous insuline - Medscape - 4 oct 2012.
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