Paris, France - Le dossier que le Parisien du 3 octobre consacre au Médiator® aura fait beaucoup de bruit, mais peut-être pas entièrement pour rien [1].
Au-delà des effets de manche, deux choses comptent : quantitativement, les chiffres, et qualitativement, la question toujours très difficile de la charge de la preuve.
S'agissant des chiffres, l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux (Oniam) a mis les choses au point.
S'agissant de la charge de la preuve, il faut être conscient que pour protéger l'ensemble de la procédure, les experts doivent juger sévèrement les demandes.
Des chiffres partiels, dont l'interprétation est forcément partiale
Bref rappel des faits : « Scandale du Médiator®. Les chiffres qui sèment le doute », lit-on en « Une » du Parisien du 3 octobre. Pour apprendre que 86% des demandes d'indemnisations déposées auprès de l'Oniam, ont été rejetées. La conclusion suit, triviale : « l'antidiabétique des laboratoires Servier n'est peut-être pas à l'origine des quelques 500 décès qu'on lui impute ».
Deux points à relever au passage. L'appellation : qualifié d'antidiabétique, le benfluorex est incriminé ici pour son utilisation détournée comme coupe-faim. Le chiffre : la dernière étude publiée sur la question, en février 2012, n'impute pas 500, mais 1300 décès au Médiator® [2].
Les chiffres, donc, précisés le 3 octobre au soir dans un communiqué de l'Oniam, sont les suivants.
Au total, 7467 dossiers de demande d'indemnisation ont été déposés auprès de cet organisme. A ce jour, 1114 ont été examinés. Parmi eux, 20 demandes ont été définitivement acceptées, et 563 autres ont été rejetés, dont 555 pour « absence de causalité prouvée », et 8 pour « preuve de prescription non faite ». Parmi les dossiers qui ont été « ouverts », il en reste donc 531 en cours d'examen.
Ce qu'on constate, c'est que parmi les décisions définitivement rendues, la proportion des demandes acceptées est effectivement très minoritaire. De là à conclure, comme le suggère le Parisien, que cette proportion sera constante dans les 531 dossiers encore débattus, et au-delà, dans la totalité des 7467 dossiers déposés, il y a un pas franchi sans doute un peu rapidement.
En fait, deux présentations du problème sont possibles. Soit les décisions positives sont peu nombreuses par rapport aux refus. Soit, parmi le bon millier de dossiers ouverts, seulement la moitié ont pu être rapidement récusés. L'éclairage n'est évidemment pas le même.
Des dossiers inattaquables pour ne pas fragiliser tout l'édifice
Les dossiers ont commencé à être examinés en novembre 2011. Et les cas qui ont pu être tranchés, dans un sens ou dans l'autre, sont sans doute les plus évidents.
S'agissant des cas litigieux, et pour commencer, des 531 dossiers toujours en examen, le paramètre décisif est la charge de la preuve : à qui le doute doit-il profiter ?
Sur ce point, le Dr Irène Frachon (CHU de Brest), interrogée par heartwire, apporte un éclairage intéressant : elle pointe un phénomène dont il est important d'avoir conscience, et qui, beaucoup le déplorerons, biaisera mécaniquement les conclusions en défaveur des patients.
Concrètement, les indemnisations acceptées par l'Oniam sont réglées par les pouvoirs publics, qui se retournent ensuite contre Servier pour remboursement. Le laboratoire garde néanmoins latitude d'accepter la demande publique, ou au contraire de la contester devant les tribunaux. Avec le risque, en pareil cas, que l'acceptation par l'Oniam soit finalement jugée infondée, avec ce que cela impliquerait de réactions en chaine sur les autres dossiers.
En d'autres termes, les experts sont bien sûr soumis aux pressions contradictoires des pouvoirs publics et de Servier. Mais l'Oniam ne peut pas prendre le risque d'accepter des dossiers un tant soit peu fragiles : il pourrait en effet s'ensuivre des années de procès, et au final, une procédure globalement décrédibilisée.
En d'autres termes encore, pour ne pas risquer de fragiliser toute l'affaire, les pouvoirs publics eux-mêmes, à leur corps défendant, doivent appliquer des critères d'une sévérité avantageant Servier.
Le communiqué diffusé par Marisol Touraine le 3 octobre, semble d'ailleurs s'inscrire typiquement dans ce contexte [3].
La Ministre de la santé rappelle sa « vigilance » quant au « processus d'indemnisation des victimes », manière, peut-être, d'équilibrer les imperfections connues de ce processus.
Le communiqué rappelle par ailleurs d'emblée que « le drame du Mediator® a fait de très nombreuses victimes », et que « deux procès sont en cours contre les laboratoires Servier, qui utilisent actuellement tous les moyens juridiques à leur disposition pour en ralentir l'issue ».
Les stratégies, et l'impasse à éviter, sont clairement indiquées.
Au demeurant, le communiqué signale également une rencontre de la Ministre avec Roger Beauvois, président du collège d'experts, lors de laquelle a été évoqué « le cadre juridique prévu par la loi du 29 juillet 2011 qui impose au collège d'experts de constater l'existence d'un rapport de cause à effet incontestable entre la prise du Mediator® et la pathologie développée par le patient ».
Il faut donc des dossiers absolument inattaquables : ici encore, la stratégie de Servier, et le seul moyen de parer cette stratégie, sont désignés.
Il est donc finalement bien certain que les acceptations se limiteront aux cas qui ne risqueront pas d'ouvrir une brèche dans l'ensemble du dispositif, et que quelles que soient les décisions encore à rendre, elles n'auront pas valeur de bilan épidémiologique des méfaits du Médiator® comme le suggère le Parisien dans sa « Une ».
L'évolutivité des valvulopathies de grade 1 en question
Est-il possible de faire mieux, pour les près de 7000 dossiers encore en attente ? « Pour le moment, l'examen est très hétérogène », relève le Dr Frachon. « Deux dossiers analogues pourront l'un être refusé un jour, et l'autre accepté le lendemain ». En fait, il semble que les experts n'aient pas « réussi à se mettre d'accord sur une grille d'imputabilité. Il existe vraiment deux écoles ».
Les cas qui font débat, et qui risquent d'être examinés sévèrement pour ne pas ouvrir la voie à la stratégie de Servier, sont naturellement les patients présentant une valvulopathie de grade 1.
En fait, il existe des données, y compris chez ces patients. Elles proviennent de l'étude REFLEX (Recherche sur l'évolution des fuites valvulaires et benfluorex) coordonnée par Mahmoud Zureik (INSERM), Christophe Tribouilloy (CHU d'Amiens) présidant le comité scientifique. Il s'agit du suivi d'un millier de patients, qui ont pris du benfluorex entre 2006 et 2009, et qui présentent des images de valvulopathies de grade 1 ou plus. L'objectif est d'évaluer l'évolutivité de ces fuites, que l'on connait encore très mal, expliquait le Pr Tribouilloy à heartwire en février dernier.
Ces données ne sont pas encore publiées. « Mais les experts du collège de l'Oniam ont ces chiffres », relève le Dr Frachon. « Toutefois, ils ne les prennent pas en compte dans les examens des dossiers ».
Le communiqué de Marisol Touraine rappelle pourtant qu'à l'occasion d'une rencontre avec le Dr Frachon, fin août, « la ministre […] s'est accordée avec madame Frachon sur la nécessité de mettre à la disposition des experts les études médicales les plus actualisées sur le lien de causalité entre la prise du benfluorex (principe actif du Mediator®) et le développement de valvulopathies mineures. »
Dans la partie en cours, où les pouvoirs publics promettent d'indemniser au mieux les patients, mais doivent prendre garde de ne pas fragiliser tout l'édifice, ces données représentent naturellement un enjeu majeur.
Actualités Heartwire © 2012
Citer cet article: Après l'article du Parisien sur le Médiator : beaucoup de bruit pour rien ? - Medscape - 4 oct 2012.
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