Benzodiazépines et Alzheimer: les prises prolongées en ligne de mire
Bien que le lien de causalité ne soit pas encore établi, les études successives tendent à confirmer que les prises prolongées et importantes de benzodiazépines exposent un peu plus au risque de survenue de démences 20 septembre 2012Paris, France - Bien que le lien de causalité ne soit pas encore établi, les études successives tendent à confirmer que « les prises prolongées et importantes de benzodiazépines exposent un peu plus au risque de survenue de démences » a estimé le Dr Bertrand Claudel, psychiatre au service de psychiatrie adulte, à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) lors d'une session des Entretiens de Bichat 2012, consacrée au sujet [1].
Dans l'état actuel des recherches, il ne peut être affirmé que les anxiolytiques provoquent la maladie d'Alzheimer. Aux patients préoccupés, « il est nécessaire de rappeler que le risque concerne les prises continues de plus de six mois », a affirmé le Dr Claudel.
Dans son édition d'octobre, le magazine Sciences et Avenir a été le premier à rapporter les résultats d'une analyse de l'équipe du Pr Bernard Bégaud de l'Inserm, en présentant une couverture alarmiste ayant pour titre « Valium®, Lexomil®, Temesta®, Xanax®... ces médicaments qui favorisent Alzheimer ». Plusieurs média ont ensuite relayé l'information, provoquant une polémique et de fortes inquiétudes. Devant l'ampleur des réactions, le Pr Bégaud avait pointé l'absence de lien de causalité et rappelé que les résultats n'étaient pas encore publiés, a souligné le Dr Claudel.
Cette étude épidémiologique rétrospective menée auprès de quelque 3 700 personnes âgées de plus de 65 ans, indique qu'une majoration du risque de la maladie d'Alzheimer de 20% à 50% est observée chez ceux qui ont consommé des benzodiazépines de manière prolongée dans les 15 années précédentes, les premiers symptômes apparaissant cinq à huit ans après les premières prises.
Une « mise au point » sur cette question
Lors des Entretiens de Bichat, le Pr Claudel a proposé « une mise au point » sur cette question.
« C'est la première fois au cours d'une analyse de publications que je change d'avis », a-t-il affirmé. Sept études antérieures à 2005 présentent des effets contradictoires. « Trois retrouvent un risque accru chez les utilisateurs à termes, deux retrouvent une altération de la cognition et deux rapportent un effet protecteur ».
Cependant, deux études plus récentes apportent selon lui « un éclairage intéressant ». La « plus puissante » est celle d'une équipe taïwanaise, publiée en 2009 [2], une étude prospective sur quatre ans de 780 patients âgés de 45 ans et plus, avec une moyenne d'âge de 75 ans. L'étude conclut à « une association entre l'usage à long terme des benzodiazépines et un risque accru de démence ».
Deux conditions ont été associées à l'étude, « des doses importantes et des usages de plus de six mois », rapporte le Pr Claudel. Le risque disparait après un an d'arrêt pour des posologies faibles, mais si les patients ont utilisé des posologies fortes, « le risque perdure, même après trois ans ». Dans leur étude, les auteurs recommandent « d'éviter l'utilisation des benzodiazépines chez les personnes âgées ».
La même équipe a étudié un an plus tard dans quelles mesures l'arrêt des benzodiazépines diminuait le risque de démence. « Les auteurs retrouvent effectivement que ce risque diminue à mesure que la durée d'interruption augmente ».
Une autre étude prospective, menée par une équipe britannique de l'université de Cardiff et publiée en ligne en octobre 2011 [3], a suivi sur 22 ans une cohorte de 1 134 hommes. Parmi eux, 9,1% prenaient des benzodiazépines régulièrement pendant une ou plusieurs périodes. Ce groupe présentait une incidence de démence 3,5 fois plus élevée que le reste de la cohorte, les patients exposés au cours des premières phases de l'évaluation présentant le plus grand risque, rapporte le psychiatre.
« Ces deux dernières études confirment donc les résultats de l'équipe Inserm de Bordeaux », affirme-t-il. « La puissance et le nombre de ces études n'est cependant pas encore suffisant pour affirmer le risque accru de la maladie d'Alzheimer. De nouvelles études prospectives mais aussi animales doivent être menées pour établir un lien de causalité ».
Quoi qu'il en soit, « il convient de respecter les durées de prescription instaurée par son médecin: pas plus de deux semaines pour un somnifère et pas plus de trois mois pour un anxiolytique », a-t-il rappelé.
Il est également important, selon lui, d'expliquer au patient « qu'un risque accru de 20% à 50% ne signifie pas que l'on a 20% à 50% de risques de développer une démence, mais correspondrait, pour une prévalence de la maladie d'Alzheimer estimé à 17,8% à l'âge de 75 ans, à une hausse comprise entre 21,4% et 26,7% en cas de prise prolongée d'anxiolytiques ».
Dans son état des lieux sur la consommation de benzodiazépines en France, publié en janvier 2012 [4], l'Agence national de sécurité des médicaments (ANSM, ex Afssaps) indique que chaque année, un Français sur cinq consomme au moins une benzodiazépine ou une molécule apparentée. Une consommation qui augmente avec l'âge. Près de 60% des patients sont des femmes.
Citer cet article: Benzodiazépines et Alzheimer: les prises prolongées en ligne de mire - Medscape - 20 sept 2012.
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