Perturbateurs endocriniens : ce n'est pas la dose mais le timing qui compte

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

25 juillet 2012

Perturbateurs endocriniens : ce n'est pas la dose mais le timing qui compte

L'impact sanitaire des perturbateurs endocriniens est difficile à déterminer du fait de leurs propriétés toxicologiques particulières mais, la prudence est de mise.
25 juillet 2012

Nice, France - Lors d'une table ronde consacrée à la santé et l'environnement du 6ème Congrès de Médecine Générale France, le Dr Joël Spiroux (médecin généraliste, Evreux) et Gilles Nalbone (Directeur de recherche émérite de l'INSERM) sont revenus sur les caractéristiques très particulières des perturbateurs endocriniens ; des polluants qui ne sont pas toxiques au sens habituel du terme [1].

Les perturbateurs endocriniens (PE) également appelés xéno-oestrogènes, leurres hormonaux, ou dysrupteurs endocriniens sont des molécules ou agents chimiques composés, xénobiotiques ayant des propriétés hormono-mimétiques. Plus de 300 PE sont aujourd'hui dénombrés par l'Union Européenne. Ils agissent sur l'équilibre hormonal d'espèces vivantes animales ou végétales (bisphénol A, phtalates, PCB, dioxines, perfluorés, atrazine, mercure, arsenic, phyto-oestrogènes, particules fines…).

Leurs modes d'actions sont divers. Les PE agissent par blocage de l'action d'une hormone naturelle en saturant les récepteurs par exemple, ou par gêne ou blocage de la production, du transport ou du métabolisme des hormones ou des récepteurs.

D'abord étudiés chez l'animal, leurs effets commencent à être mieux connus chez l'homme.

Désormais, un faisceau de preuves montre les effets des PE sur la fonction sexuelle et reproductrice, la cancérogénèse et le métabolisme glucido-lipidique.

C'est le distilbène (DES), médicament utilisé depuis l'après-guerre jusqu'au début des années 70 comme oestrogène de synthèse qui a apporté la preuve que les impacts observés expérimentalement chez les animaux pouvaient l'être également chez l'homme (malformations génitales, cancers et troubles de la fertilité des personnes exposées pendant la grossesse de leur mère).

Plus tard, en 1992, l'endocrinologue et pédiatre Niels Skakkebaek (Copenhague) a publié dans le BMJ une analyse de 61 articles écris entre 1938 et 1990, concernant un total de 14 947 hommes fertiles ou en bonne santé. Le constat est édifiant : les spermatozoïdes humains sont de plus en plus anormaux, le nombre de cancers des testicules a triplé entre 1940 et 1980 au Danemark, le nombre de cryptorchidies et d'hypospadias a augmenté, et le nombre de spermatozoïdes a chuté de 50% en 50 ans. [2]

Il a ensuite émis l'hypothèse d'une association entre une exposition aux xéno-oestrogènes pendant la vie prénatale et la multiplication des anomalies reproductives à partir de données chez le rat.

Ce n'est pas la dose qui fait le poison


Il est maintenant bien démontré que les perturbateurs endocriniens ne suivent pas le principe classique de la toxicologie énoncé au 16ème siècle par le médecin-alchimiste Paracelse : « C'est la dose qui fait le poison ».

« Les PE agissent généralement plus fortement à faibles doses qu'à fortes doses donc, la dose ne fait pas le poison. Quand on vous dit pour les pesticides ou pour le bisphénol que vous êtes en dessous des doses qui sont édictées par les Agences sanitaires, cela ne veut absolument rien dire. Il est très difficile de prédire quel sera l'impact d'un perturbateur endocrinien en termes de risque sur l'organisme », a indiqué Gilles Nalbone.

Les PE agissent selon un nouveau paradigme synthétisé par l'Endocrine Society aux Etats-Unis en juin 2009 autour du principe « C'est la période qui fait le poison ».

Leurs effets sont variables, en fonction du moment de la vie auquel la personne est exposée. Les perturbations sont d'autant plus graves qu'elles se produisent tôt, chez le fœtus, l'embryon, et le jeune l'enfant avec des effets parfois irréversibles.

« Il existe des fenêtres de sensibilités au cours du développement de l'embryon et au cours de la vie qui restent encore à déterminer », a souligné Gilles Nalbone.

Aussi, les effets toxiques se manifestent après une longue période de latence, pendant l'enfance et à l'âge adulte, voire même sur les générations suivantes. En outre, l'effet peut être amplifié en cas d'exposition à plusieurs PE : effet combiné, ce qui correspond à la réalité des expositions humaines et complexifie encore le problème de l'identification précise d'un risque pour un produit donné.

Transmission des anomalies de génération en génération


L'exposition aux perturbateurs endocriniens induit des troubles métaboliques et développementaux potentiellement transmissibles à la descendance par le biais d'altérations épigénétiques. Ces modifications épigénétiques régulent l'expression des gènes sans changer le code génétique.

Il existe trois types de modifications épigénétiques :

  • la méthylation de l'ADN sur la cytosine ;

  • la modification chimique des histones : les molécules qui interviennent dans la compaction de l'ADN et donc sur la facilitation ou pas de la transcription des gènes ;

  • la production de micro-ARN qui vont moduler la traduction en protéine.

Le BPA a été un des premiers polluants environnementaux qui a été étudié pour ses capacités de modifications de la programmation épigénétique [3,4].

Le processus de transmission transgénérationnelle des altérations fonctionnelles induites par l'exposition in utero au bisphénol A (BPA) a été décrit pour le système reproducteur [5,6,7,8]] et le système neuroendocrinologique [9,10].

« C'est la conjugaison du moi, de l'environnement à travers sa toxicité directe, mais aussi des modifications de l'épigénome qui va conditionner notre état de santé et la survenue de pathologies », a souligné Gilles Nalbone.

La prudence s'impose


Il faudra probablement des décennies pour évaluer l'impact réel des PE mais, à ce jour, la vigilance est de mise, particulièrement pour les femmes enceintes et les très jeunes enfants.

Neuf conseils des danois pour les femmes enceintes et celles qui allaitent :
  • Utiliser le moins possible de produits cosmétiques, de lotions.

  • Choisir toujours des produits non parfumés et cessez d'utiliser du parfum.

  • Acheter de préférence des produits qui bénéficient d'un label écologique.

  • Ne pas se colorer les cheveux.

  • Ne pas utiliser de peinture ou de produits vendus par spray.

  • Laver après leur achat les objets destinés au bébé y compris les tissus (vêtements) et les jouets en tissu ou en plastique.

  • Eviter l'usage quotidien de lotions, savons pour le bébé.

  • N'acheter que des produits, jouets compris, sans parfum.

  • Ne donner au bébé que des objets conçus pour son âge car les jouets de plus de 3 ans peuvent contenir des phtalates.


« Au quotidien, au cabinet, il est possible d'afficher cette liste », indique le Dr Spiroux qui préconise également à tous de se méfier des plastiques et de manger bio. « Dans le vin, les pommes, les salades, les tomates…il y a énormément de résidus de pesticides. » Il insiste également sur l'importance de ne pas utiliser de pesticides dans les jardins, ou pour les animaux de compagnie. « J'attire votre attention sur l'insecticide Frontline et les antipuces que l'on met sur les animaux qui vont dormir avec les enfants dans les chambres.» 

Gilles Nalbone est directeur de recherche émérite à l'INSERM et membre du Réseau Environnement Santé (RES). Le Dr Spiroux est médecin généraliste. Il est membre du conseil scientifique du CRIGEN (Comité de Recherche et d'Information Indépendant sur le génie Génétique). Il a créé et présidé la première Commission Santé-Environnement. Il a organisé en 2005, le 1er congrès national sur les pathologies environnementales à Rouen.

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