Une étude questionne le principe « zéro alcool » pendant la grossesse

Fran Lowry

Auteurs et déclarations

9 juillet 2012

Une consommation limitée d'alcool en début de grossesse serait sans risque

Une grande étude prospective danoise montre qu'une consommation limitée d'alcool en début de grossesse n'affecte pas le développement neuropsychologique des enfants à 5 ans.
6 juillet 2012

Aarhus, Danemark - Boire des quantités d'alcool faibles à modérées en début de grossesse n'entraîne pas d'effets secondaires neuropsychologiques chez les enfants à l'âge de 5 ans, conclut une étude publiée en ligne dans l'édition du 20 juin de l' International Journal of Obstetrics and Gynecology (BJOG) [1].

« En particulier, les enfants nés de mères qui ont consommé entre une et 8 unités d'alcool par semaine ont des scores d'intelligence, d'attention et des fonctions exécutives équivalents aux mères qui se sont abstenues de boire. Ceci s'applique aussi aux femmes qui ont bu au moins 5 verres épisodiquement au début de la grossesse, principalement avant de réaliser qu'elles étaient enceintes », a indiqué le Dr Ulrik Schiøler Kesmodel (Département de gynécologie obstétrique, Hôpital universitaire d'Aarhus, Aarhus, Danemark), auteur principal de l'étude à l'édition internationale de Medscape.

Peu d'études

D'après les auteurs, seules quelques études de petites tailles ont évalué l'impact d'une consommation hebdomadaire d'alcool faible et celui d'une consommation ponctuelle élevée (binge drinking) en début de grossesse sur le développement neuropsychologique des enfants.

Le Dr Kesmodel et coll. ont suivi environ 100 000 femmes et leurs enfants à partir de la cohorte Danish National Birth Cohort et ont recueilli des informations détaillées sur la consommation d'alcool au début de leur grossesse.

A 5 ans, 1628 enfants ont reçu des tests d'intelligence, d'attention et d'évaluation de leurs fonctions exécutives. L'intelligence de leurs mères a aussi été mesurée.

Le test utilisé pour mesurer l'intelligence est le Primary and Preschool Scales of Intelligence-Revised (WPPSI-R), le test d'évaluation de l'attention est le Test of Everyday Attention for Children at Five (TEACh-5), et celui des fonctions exécutives le Behavior Rating Inventory of Executive Functions (BRIEF). Enfin, un questionnaire en 86 points sur le comportement de l'enfant est complété à la fois par la mère et par les professionnels qui en ont la charge pendant la journée.

Les résultats ont été ajustés pour le nombre d'enfants, le statut tabagique prénatal, et l'indice de masse corporel de la mère avant la grossesse.

Pendant les 5 ans de suivi, les chercheurs ont pris en compte (variables d'ajustement) la durée des études des parents (ou de la mère seulement si celle du père n'était pas connue), le statut marital, le tabagisme après la naissance, l'état de santé de l'enfant, et la présence d'au moins deux des 7 situations suivantes :

-vit avec un seul des parents biologiques ;

-changement de la personne qui s'occupe principalement de l'enfant ;

-journées de garde de plus de 8 heures par jour avant l'âge de 3 ans ;

-14 jours ou plus, de séparation des parents ;

-irrégularité des petits déjeuners ;

-dépression maternelle ;

-consommation de plus de 14 boissons alcoolisées par semaine pour les femmes et de 21 boissons alcoolisées par semaine pour les hommes pendant le suivi ;

-tests d'audition ;

-tests de vision.

L'analyse multivariée montre une absence d'effets significatifs si la femme enceinte consomme entre 1 et 8 unités d'alcool par semaine en moyenne ou si elle consomme une grande quantité d'alcool, au moins 5 verres lors d'une occasion festive, par exemple, un nombre limité de fois au début de la grossesse.

En revanche, l'étude montre que les enfants nés de mères qui consomment au moins 9 verres par semaine ont un QI légèrement inférieur et un peu plus de problèmes d'attention que les enfants de mères abstinentes.

Pour le Dr Kesmodel, qui rappelle qu'auparavant des études ont montré que seulement 24% des femmes enceintes danoises pensent que les femmes enceintes doivent s'abstenir complètement de boire pendant la grossesse, ces résultats « ne vont peut-être pas contre le sens commun mais seulement contre les recommandations officielles.»

Il recommande aux professionnels de santé d'informer les patientes des recommandations officielles. Toutefois, il ajoute : « si une femme enceinte explique à son médecin qu'elle a été en état d'ivresse une ou deux fois au début de sa grossesse ou qu'elle lui dit qu'elle boit un ou deux verres par semaine, il pourrait être raisonnable de lui expliquer qu'on ne dispose pas de preuve formelle de la dangerosité de petites quantités d'alcool sur le développement neuropsychologique de l'enfant.»

En cas de consommation faible d'alcool, il suggère de plutôt porter son attention sur des facteurs qui ont prouvé leur dangerosité pour la mère et l'enfant comme le tabac et l'obésité. 

Selon le Dr John M. Thorp, rédacteur en chef adjoint du BJOG, ces travaux sont importants parce qu'ils étudient plusieurs types de consommations d'alcool chez les femmes en début de grossesse. Il souligne, cependant que la « boisson standard » varie considérablement d'un pays à l'autre.

Le meilleur conseil reste : pas d'alcool pendant la grossesse !

Ces résultats questionnent les recommandations internationales et françaises. D'après l'Institut National de Prévention et d'Education pour la Santé (INPES) et pour les autorités françaises : « En vertu du principe de précaution, il est recommandé aux femmes enceintes de s'abstenir de toute consommation d'alcool dès le début de leur grossesse et pendant toute sa durée. Cette recommandation vaut pour toutes les occasions de consommation, qu'elles soient quotidiennes ou ponctuelles, même festives. »

Dans un document de l'INPES de 2006, co-signé par le Ministère de la Santé et de la Solidarité , il est écrit : « …tout au long de la grossesse, l'alcool agit directement sur le cerveau du fœtus en développement. Dans ces conditions, quel que soit le moment de l'alcoolisation de la femme enceinte, le risque d'atteinte des fonctions cérébrales reste très élevé. En outre, une consommation d'alcool importante pendant les trois premiers mois peut produire des malformations irréversibles chez le bébé » et plus loin « une consommation quotidienne d'alcool, même très faible, ou des ivresses épisodiques pendant la grossesse sont susceptibles d'entraîner des complications durant la grossesse (retard de croissance du fœtus, accouchement prématuré) ainsi que des troubles psychiques ou du comportement chez l'enfant exposé, tels que les troubles d'apprentissages, de la mémorisation, de l'abstraction, de l'attention… »

Pour le Dr Thorp, il est nécessaire de mener de nouvelles recherches pour vraiment apprécier les effets à long terme de la consommation d'alcool pendant la grossesse chez les enfants mais, à ce jour, le meilleur conseil est de choisir de ne pas boire même si des petites quantités ne semblent pas dangereuses.

Quelle est l'incidence du syndrome d'alcoolisation fœtale en France ?

D'après l'Expertise collective de l'Inserm intitulée « Alcool, effets sur la santé » (2001), 700 à 3 000 enfants, sur les 750 000 naissances annuelles, seraient concernés par un syndrome d'alcoolisation fœtale (SAF) grave, avec une incidence observée plus élevée sur l'île de la Réunion, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Bretagne.


Cet article a été originalement publié sur Medscape.com le 3 juillet 2012; adapté et complété par Aude Lecrubier.

L'étude a été financée par les Centers for Disease Control and Prevention. Le Drs Kesmodel et Thorp n'ont pas déclaré de liens d'intérêt en rapport avec l'article

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....