Le bon usage des antiplaquettaires vu par la HAS et l'ANSM

Pascale Solère

4 juillet 2012

Saint Denis, France - La Haute Autorité de Santé (HAS) en collaboration avec la nouvelle Agence de Sécurité du Médicament (ANSM, ex-Afssaps) vient d'émettre des recommandations de bonne pratique d'utilisation des antiplaquettaires [1, 2].

Ce texte définit les conditions de prescription de l'aspirine, du clopidogrel, du prasugrel et du ticagrelor de manière très large, puisqu'il couvre l'ensemble du spectre, à l'exception de l'infarctus (IDM) à la phase aiguë. Ces recommandations visent en effet la prévention primaire et secondaire, chez le diabétique, le coronarien stable, en post-IDM, post-AVC/AIT, après revascularisation (coronaire, carotidienne, intracrânienne, veineuse..), dans le cadre des cardiopathies emboligènes (FA, FOP, prothèse valvulaire,..) et des autres maladies thrombotiques non athéromateuses (vascularites, syndrome des antiphospholipides, maladie de Vaquez,...), sans oublier les situations particulières (sujet âgé, insuffisance rénale chronique, grossesse, HIV) et la gestion du risque périopératoire en fonction des chirurgies pratiquées.

Pr Jean-Philippe Collet

Or « ce travail ambitieux pêche non seulement du côté argumentaire mais aussi en terme de messages clairs pour la pratique clinique », regrette le Pr Jean-Philippe Collet
(CHU de la Pitié Salpétrière, Paris), interrogé par heart wire.

 
Ces recommandations pêchent non seulement du côté argumentaire mais aussi en termes de messages clairs pour la pratique clinique - Pr Jean-Philippe Collet (Paris)
 

Ainsi côté argumentaire « on peut s'étonner de la recommandation préconisant l'aspirine en prévention primaire chez les sujets à haut risque », tandis que sur le plan pratique « il n'est nulle part fait mention de la règle 3-5-7 jours d'arrêt nécessaires respectivement pour l'aspirine, le clopidogrel ou ticagrelor et le prasugrel ».

Bref, au total « des recommandations françaises ni assez pointues ni assez pratiques ... - à des années-lumière donc de celles émises par le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) britannique. Elles sont en outre assorties d'un argumentaire médico-économique, et laissent in fine les cliniciens devant leurs responsabilités » commente le Pr Collet.

« Ces recommandations ne sauraient dispenser le professionnel de santé de faire preuve de discernement dans sa prise en charge du patient qui doit être celle qu'il estime la plus appropriée », est-il ainsi précisé en exergue.

L'aspirine indiquée en prévention primaire pour le risque élevé

En prévention primaire, les recommandations préconisent globalement l'aspirine (75-160 mg/j) lorsque le risque est élevé (supérieur à 5% à 10 ans).

Elles ouvrent en particulier la voie au traitement par aspirine des diabétiques en prévention primaire à risque élevé, voire médian. Et tendent à reconnaitre l'ischémie silencieuse comme facteur de risque majeur.

« En prévention primaire, une inhibition plaquettaire au long cours est envisageable si le risque cardiovasculaire est élevé (risque de décès supérieur à 5% à 10 ans). Et seule l'aspirine en monothérapie (75-160 mg/j) est recommandée sous réserve d'absence de risque hémorragique élevé (pas d'antécédent d'hémorragie intestinale, d'ulcère disgestif, de co-prescription d'AINS ou AVK) », est-il ainsi stipulé.

A contrario, dans le risque faible (risque à 10 ans inférieur à 2,5%), l'aspirine n'est pas recommandée (grade B).

Enfin, dans le risque intermédiaire (normoalbuminurie, pas de maladie coronaire silencieuse mais un facteur de risque), l'aspirine peut être envisagée et justifiée si le risque fatal est compris entre 2,5 et 10% à 10 ans (grade C).

Les diabétiques considérés à risque élevé (grade B) sont ceux présentant soit :

  • un risque fatal supérieur à 5% à 10 ans : équation de risque UKPDS/ dans le diabète de type 2, plus de 15 ans de maladie ou facteur aggravant dans le diabète de type 1 ;

  • un facteur aggravant : microalbuminurie, protéinurie, maladie coronaire silencieuse documentée ;

  • 2 facteurs de risque supplémentaires : plus de 50 ans/hommes, de 60 ans/femmes, plus de 10 ans de diabète 2, HTA, tabagisme, dyslipidémie, ATCD familiaux de maladie CV précoce.

« Pour rappel l'aspirine n'a aucune AMM en prévention primaire », souligne le Pr Collet. « On n'a en effet jamais mis en évidence de bénéfice en terme de mortalité cardiovasculaire, du moins à ce niveau de risque (5% à 10 ans). »

 
L'aspirine n'a aucune AMM en prévention primaire. On n'a en effet jamais mis en évidence de bénéfice en terme de mortalité cardiovasculaire, du moins à ce niveau de risque (5% à 10 ans) - Pr Collet
 

«  Il faudrait d'ailleurs plutôt viser un risque de l'ordre de 10% pour espérer un bénéfice », estime-t-il. « En effet, entre 5% et 10% de risque, l'effet préventif sur la survenue d'un infarctus non fatal est contrebalancé par le risque hémorragique. Et l'on sait bien que la prévention primaire par aspirine n'est pas efficace chez les hypertendus, les tabagiques ni chez les femmes chez lesquelles le bénéfice/risque est même défavorable. Seul l'âge (plus de 65 ans) peut constituer un argument. Du moins tant qu'on reste sur la mortalité cardiovasculaire, l'aspirine étant associée à une réduction de certains cancers à 5 ans de traitement. »

Les recommandations rappellent enfin qu'en prévention primaire, lors d'AOMI, d'anévrisme aortique ou de lésion des branches aortiques non symptomatiques, il n'y a pas d'indication au traitement antiplaquettaire. Une sténose carotidienne asymptomatique, de découverte fortuite, ne conduit pas à la prescription, sauf chez le patient à haut risque.

Prévention secondaire : monothérapie, ou bithérapie puis monothérapie

Dans les principaux messages de prévention secondaire, l'inhibition plaquettaire recommandée est :

  • la monothérapie par aspirine (75-325 mg/j) après AVC ou AIT chez le coronarien stable, y compris après pontage (grade A), et dans l'AOMI symptomatique (grade A) - Clopidogrel si CI (grade B);

  • la bithérapie (aspirine 75-160 mg/j et clopidogrel 75 mg/j) après infarctus myocardique (IDM) (avec ou sans stenting), ainsi que lors de stenting hors infarctus ;

  • une bithérapie aspirine et prasugrel (10 mg/j), ou aspirine et ticagrelor (180 mg/j) dans les suites d'un syndrome coronaire aigu.

Les recommandations précisent par ailleurs que :

  • en post-IDM : la durée de la bithérapie recommandée est de 1 an. Et le choix de l'antiplaquettaire (clopidogrel, prasugrel ou ticagrelor) dépend de celui utilisé au décours de la phase aiguë. En pratique prasugrel et ticagrelor en post-IDM sont donc réservés aux patients traités lors de l'IDM par ces antiplaquettaires.

  • en post-AVC ou AIT non cardioembolique (patients ne relevant pas des AVK) : trois antiplaquettaires sont recommandés : l'aspirine (50-325 mg/j) (grade A), l'aspirine (325 mg) et dipyridamole (200 mg LP x2/j) (grade A) et le clopidogrel (75 mg/j) (grade A). On a donc in fine le choix entre ces 3 alternatives.

Un pontage post-IDM impose par ailleurs un an de bithérapie aspirine/clopidogrel (grade A), tandis qu'après angioplastie, hors contexte d'IDM, la durée de bithérapie aspirine/clopidogrel recommandée est :

  • de 1 mois après angioplastie au ballon (grade B) ou pose de stent nu (grade A)

  • de 6 à 12 mois après pose de stent actif (grade A)

« La distinction entre stent nu et stent actif est ténue et repose finalement sur peu d'argument. Avec les nouvelles plateformes de stents actifs, les différences de thrombogénicité sont difficiles à mettre en évidence » observe le Pr Collet.

Des contradictions avec les messages des autres sociétés savantes

« Les recommandations de l'European Society of Cardiology sont régulièrement endossées par les sociétés savantes et en particulier la Société Française de Cardiologie »  note le Pr Collet. «Elles se basent sur une méthodologie rodée qui fait l'unanimité en Europe avec la volonté claire de prendre en compte toutes les contraintes pratiques liées à la prise en charge des patients. On se demande toujours pourquoi l'HAS ne se calque pas sur ce type de démarche. Difficile donc de s'y retrouver. »

En ce qui concerne les situations spécifiques, « on est surpris de la recommandation d'une monothérapie antiagrégante plaquettaire après TAVI quand l'American College of Chest Physicians (ACCP) vient de recommander [3] une bithérapie, et qu'environ les 2/3 des patients qui font des AVC post-TAVI ont fait de la fibrillation auriculaire », relève le Pr Collet.

Par ailleurs, s'agissant des situations de la pratique quotidienne, « ces recommandations manquent de messages simples et pratiques pour les médecins généralistes. Rien n'est dit notamment sur les modalités d'arrêt de traitement antiagrégant plaquettaire avant un acte invasif (règle des 3/5/7 j pour aspirine/ clopidogrel ou ticagrelor/prasugrel). »

« Rien non plus sur le mésusage. Et il n'est pas rappelé une seule fois que ni le prasugrel ni le ticagrelor ne peuvent être prescrits en monothérapie du fait de l'absence d'études. »

« Les sous-groupes tirant le plus gros bénéfice de ces nouveaux antiagrégants ne sont pas davantage mentionnés : le prasugrel est surtout intéressant dans l'angioplastie primaire du STEMI ou du diabétique ayant un SCA ST-, alors que le ticagrelor est plus particulièrement intéressant chez l'insuffisant rénal, le sujet âgé de plus de 75 ans de faible poids ou ayant des antécédents d'AIT », poursuit le Pr Collet.

« Aucune attention non plus n'est portée à la problématique de l'observance, et à l'impact du nombre de prises qui devrait faire privilégier si possible les prises uniques. Enfin, le message le plus important concerne les arrêts de traitement, avec la démonstration constante que c'est le dernier antiagrégant plaquettaire arrêté qui tue. Le registre français RECO (Registre des patients porteurs d'Endoprothèses Coronaires Opérés de chirurgie non cardiaque) sur le risque de thrombose de stent périopératoire, l'un des plus gros à ce jour, n'est pas cité ! »

Dernier aspect soulevé par le Pr Collet, « ce texte arrive juste avant les résultats de TRILOGY qui évalue le prasugrel dans la prise en charge médicale des syndromes coronaires aigus du sujet à risque avec une dose d'entretien réduite (5 mg) acceptée partout en Europe sauf en France ! Et cette étude pourrait modifier la prise en charge de ces patients laissés pour compte des études classiques sur les antiagrégants plaquettaires. »

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