Les perturbateurs endocriniens mis en cause dans l'obésité et le diabète

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

29 juin 2012

Les perturbateurs endocriniens participeraient aux épidémies d'obésité et de diabète

Suite à un récent rapport du Réseau Environnement Santé, Gilles Nalbone, fait le point sur l'association entre perturbateurs endocriniens, obésité et diabète.
26 juin 2012

Nice, France—Si l'impact des perturbateurs endocriniens sur la reproduction est de mieux en mieux appréhendé, leur retentissement sur les maladies métaboliques l'est moins. Lors d'une table ronde du 6ème congrès de Médecine Générale, Gilles Nalbone directeur de recherche émérite à l'INSERM et membre du Réseau Environnement Santé (RES) est revenu sur le lien entre environnement chimique, obésité et diabète [1].

Cette association est détaillée dans un rapport récent du RES qui dresse un panorama de nombreux travaux scientifiques sur le sujet [2].

Une autre cause de l'épidémie d'obésité et d'insulino-résistance ?

En France, selon l'étude ObEpi (2009), la proportion de personnes obèses a doublé entre 1997 et 2009 pour atteindre 14,5% des adultes. En parallèle, l'incidence du diabète a presque doublé entre 2000 et 2008 ; la maladie touche désormais près de 1,8 millions de personnes.

Les causes reconnues de l'obésité et de l'insulino-résistance sont l'excès de l'apport calorique, la sédentarité accrue, les facteurs socio-démographiques, et les prédispositions génétiques.

Mais, selon le RES et Gilles Nalbone, la pollution chimique et les perturbateurs endocriniens, aux propriétés hormono-mimétiques, constituent un facteur de risque supplémentaire.

« Il faut développer un paradigme nouveau qui intègre désormais le rôle des perturbateurs endocriniens. Combinés aux autres paramètres existants, ils se potentialisent à travers les effets épigénétiques et le terrain génétique et conduisent aux dérèglements métaboliques que sont le diabète et l'obésité ainsi qu'à l'inflammation vasculaire et à l'athérosclérose. Les auteurs parlent de polluants obésogènes et diabétogènes », souligne l'orateur.

Le perturbateurs endocriniens ont différentes cibles d'action dans le métabolisme glucido-lipidique: le foie, le muscle squelettique, le pancréas et le tissus adipeux.

« Le tissus adipeux va se comporter comme une véritable éponge aux polluants. Il est lui-même sous contrôle endocrine et sécrète de nombreux médiateurs actifs. A ce titre, il est susceptible d'être aussi la cible des perturbateurs endocriniens », explique Gilles Nalbone.

Les grandes familles de substances obésogènes et diabétogènes

Mécanismes de perturbation endocrinienne

Produits pharmaceutiques

-Distilbène (interdit en 77)

Composés organiques non persistants

-Bisphénol A (BPA) (plastiques)

-Phtalates (plastiques)

Polluants organiques persistants

-PCB (isolants)

-Dioxines (dérivés de combustion)

-Polybromés (ignifugeants)

-Perfluorés (anti-adhésifs)

Pesticides

-Certains Organophosphorés (OP)

-Atrazine

Organométalliques

-Organoétains

Autres mécanismes (stress oxydant principalement)

Métaux

-Cadmium

-Mercure et organomercuriels

-Nickel

-Arsenic

Pollution de l'air

-Particules fines PM2.5


Les preuves d'un effet sur le métabolisme glucido-lipidique

« Des données expérimentales de plus en plus nombreuses mettent en évidence une perturbation du métabolisme glucido-lipidique sous l'effet des perturbateurs endocriniens, notamment aux niveaux d'imprégnation correspondant à ceux de la population humaine », indique le rapport du RES. 

Le BPA, les phtalates et les composés organoétains à faibles doses augmentent l'insulino-résistance [3,4]. En outre, à ces mêmes doses, ils sont associés à une obésité chez les animaux exposés in utero ou pendant la lactation [5,6,7,8]. Une étude réalisée par une biologiste du National Institute of Environmental Health Sciences (NIEHS), Suzanne Fenton, montre que des souris exposées pendant la période prénatale à l'acide perfluorooctanoïque ( PFOA) sont plus susceptibles de devenir obèses à l'âge adulte [9].

Dans une autre étude, Kirchner S et coll. ont exposé des souris gestantes à du tributyletain puis ils ont isolé des cellules souches du tissus adipeux de leur descendance. La culture de ces cellules souches a montré que le tributylétain favorisait la différenciation des cellules souches en adipocytes. Au niveau épigénétique, les auteurs ont également constaté une hypométhylation des gènes de l'adipogénèse [10].

En parallèle, de nombreuses données in vitro et in vivo suggèrent que les Polluants Organiques Persistants (POPs) comme le DDT et le PCB se concentrent dans le tissu adipeux à partir duquel ils peuvent indirectement moduler la sécrétion de l'insuline et interférer avec l'adipogénèse [11,12,13,14]

Enfin, les métaux comme le cadmium, le mercure ou l'arsenic et les particules fines atmosphériques (PM2,5) semblent perturber le métabolisme glucido-lipidique via un mécanisme principalement de stress oxydant [15,16,17,18].

Les études épidémiologiques réalisées dans le cadre de grands programmes nationaux, notamment les enquêtes NHANES aux Etats Unis, ont aussi permis de mettre en évidence, un excès de diabète au niveau d'imprégnation de la population générale pour les polluants dont les PCB, le BPA, les phtalates, le cadmium et les particules fines (PM2,5). Dans les pays les plus touchés par la pollution de l'eau par l'arsenic, le lien entre pollution de l'eau et diabète est avéré. Aux Etats-Unis, un excès de diabète de 50 à 94% a été également trouvé sur une population de plus de 33 000 agriculteurs exposés sur le long terme à certains pesticides organochlorés ou organophosphorés [19].

Le RES appelle à une prise de conscience généralisée

Devant ce faisceau de preuves du risque obésogène et diabétogène des perturbateurs endocriniens, le Réseau Environnement Santé demande:

1) que « la pollution chimique par les PE soit, dans les délais les plus brefs, examinée de façon commune dans les plans nationaux PNSE, PNNS, Plan Obésité et Plan Alimentation, qui, à ce jour, ne la prennent pas en considération. »

2) l'élaboration d'une action réglementaire urgente sur les PE à l'échelle nationale, européenne, et internationale.

3) des recommandations de la part de la Haute Autorité de Santé complémentaires des mesures hygiéno-diététiques.

« C'est toute la société qui doit se mobiliser sur les enjeux des perturbateurs endocriniens, professionnels de santé, agences sanitaires, formation médicale, organismes de santé, industriels, instances politiques et société civile », indique le rapport du RES.

« Ce que nous demandons à l'industrie, c'est de mettre en place très rapidement des solutions de substitution aux produits qui sont toxiques pour l'environnement. Il faut trouver des produits qui ne soient pas problématiques. En attendant, il faut revenir au bons sens. Au lieu d'utiliser des produits qui contiennent du bisphénol A, par exemple, il faut revenir à des matériaux inertes comme le verre, la céramique, ou la fonte pour faire chauffer les aliments », a conclu l'orateur.

Créé en 2009, le Réseau Environnement Santé (RES) regroupe des scientifiques, des professionnels de santé, des ONG et des associations de malades. Face à l'explosion des maladies chroniques comme le cancer, le diabète ou encore l'asthme, il agit pour faire reconnaître la relation entre santé et impact environnemental. Le projet ECOD a été réalisé avec le soutien de la Fédération Nationale de la Mutualité Française.

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