Lésions de moelle : une équipe suisse obtient des résultats étonnants chez le rat

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

8 juin 2012

Lésion de moelle : double stimulation chimique et électrique pour retrouver la marche volontaire

Science a publié les travaux d'une équipe suisse ayant réussi à faire marcher de façon volontaire des rats souffrant de paralysie médullaire. Les explications de Quentin Barraud, co-auteur de l'article. 8 juin 2012

Lausanne, Suisse - Faire remarcher, voire courir des rats, rendus paraplégiques par une lésion de la moelle épinière, tels de vrais « athlètes » avec une « récupération de 100% des mouvements volontaires » : tel est le pari, désormais réussi, d'une équipe de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, placée sous la houlette d'un jeune chercheur français, Grégoire Courtine. Grâce à un cocktail chimique et à des stimulations électriques, le tout combiné à un entrainement robotique, des rongeurs - une centaine - lésés partiellement au niveau de la moelle épinière ont retrouvé l'usage de leurs pattes [1]. Ces résultats étonnants et prometteurs, publiés dans la revue Science datée du 1er juin, devraient déboucher sur des essais chez l'homme dans les 1 à 2 ans.

Un cocktail de stimulations pharmacologiques et électriques

L'équipe n'en est pas à son coup d'essai. « Tout a commencé il y a quatre ans, au laboratoire, explique Quentin Barraud, chercheur au laboratoire de Grégoire Courtine et co-signataire du papier, à Medscape. Nous avions, lors d'une précédente étude, montré que l'on pouvait refaire marcher des rats après une lésion sévère de la moelle épinière en les entrainant sur tapis roulant et après stimulation par un cocktail de stimulations pharmacologiques et électriques. Mais la marche était alors automatique, n'étant pas volontaire, elle se faisait de façon réflexe. »

On sait en effet que le système nerveux peut récupérer et se réadapter après une lésion modérée. C'est la neuroplasticité. « La nouveauté ici, c'est la méthode de réhabilitation. Nous avons placé les rats dans un support robotique qui va constituer le système idéal pour récupérer une marche volontaire. Il s'agit de mettre la moelle épinière dans des conditions optimales pour que le cerveau puisse rétablir des connections ».

En pratique, les chercheurs ont utilisé un modèle sévère de lésions de la moelle épinière - les animaux étaient totalement paralysés - « en épargnant une petite partie, comme ce que l'on retrouve dans 70% des cas de lésions chez l'homme » ajoute le chercheur.

Ensuite, Grégoire Courtine et son équipe injectent des agents pharmacologiques à des rats souffrant de paralysie des membres inférieurs. « Le cocktail pharmacologiques comprend des agonistes dopaminergiques, sérotoninergiques et noradrénergiques » précise Quentin Barraud. Puis quelques minutes plus tard, les rats reçoivent une stimulation électrique, via des électrodes implantées sur la partie dorsale de la moelle épinière. « Ces deux interventions « réveillent » la moelle épinière qui était en veille » explique chercheur.

« C'est la coupe du monde de la neuroréhabilitation »

Dernière étape : les chercheurs ont entrainé les rats sur des tapis roulants puis sur un nouveau robot, où soutenus par un harnais, les animaux ont retrouvés la capacité à mobiliser leurs membres par eux-mêmes. Et non de façon involontaire, comme Grégoire Courtine l'avait démontré en 2009, en utilisant le seul tapis roulant. « Moyennant une récompense sous forme de chocolat ou de yaourt, les animaux ont récupéré le mouvement volontaire, la véritable nouveauté dans cette étude ».

Dès 7 jours après le début de l'expérience, les rats étaient capables de marcher sur le tapis roulant. Petit à petit, la part du tapis roulant est passée de 90% (versus 10% pour le harnais robotisé) à 90% de harnais (et 10% de tapis roulant). A raison de 30 minutes/jour pendant 1 à 2 mois, les rongeurs se sont remis à cavaler.

Plus surprenant encore, les fibres nerveuses ont repoussé, non seulement dans la moelle épinière - elles créent des relais qui contournent la lésion - mais aussi au niveau du cerveau. « Par rapport aux stimuli seuls, le réentrainement permet que les connections neuronales qui se reforment, le fassent au bon endroit, au bon moment. Sans entrainement, la marche serait complètement erratique ».

Le résultat est tel que Grégoire Courtine déclare «c'est la coupe du monde de la neuroréhabilitation. Nos rats sont devenus des athlètes, alors même qu'ils étaient complètement paralysés quelques semaines auparavant. Je parle d'une récupération à 100% des capacités de mouvements volontaires.[2]»

Un essai en préparation chez l'homme

Bien sûr, l'impressionnante repousse des fibres nerveuses laisse penser qu'une voie prometteuse s'ouvre pour améliorer la récupération des personnes souffrant de lésion de la moelle épinière, d'autant qu'il s'agit souvent de lésions incomplètes.

« Les perspectives sont très intéressantes chez l'homme à condition d'agir tôt après la survenue de la lésion. C'est-à-dire avant que les circuits neuronaux ne soient réorganisés, bien que l'on ne sache pas réellement si cela peut avoir un impact. »

« L'idée est d'implanter des patients avec un système de neuroprothèse dans la colonne vertébrale dans les 1 à 2 ans qui viennent. Nous avons d'ailleurs déjà trouvé un candidat potentiel, un jeune sportif devenu paraplégique à la suite d'un accident ».

Ce pourrait être le premier patient à être implanté, uniquement avec des stimulations électriques dans un premier temps.

« Il n'y aura pas de stimulation chimique chez l'homme dans un premier temps car cela demande encore d'autres autorisations. Un harnais robotisé est en train d'être mis au point à Zurich, tandis qu'une autre équipe prépare un champ d'électrodes qui sera implanté par un chirurgien au-dessous de la lésion » conclut Quentin Barraud. A suivre.

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