Première guérison du VIH chez un patient greffé avec des cellules souches résistantes aux VIH
Transplanter des cellules de moelle osseuse porteuses d'un gène de résistance au VIH peut permettre une guérison. Récit d'un cas encore unique. 30 mai 2012Marseille, France — Pour l'état civil, il est Timothy Ray Brown, un Américain de Seattle. Pour la communauté des virologues, il est connu comme le « Patient Berlin », la première personne considérée comme guéri du Sida dans le monde. Un espoir pour les chercheurs. Mais un cas qui devrait rester assez unique tant le traitement dont il a bénéficié est particulier et impossible à imaginer à grande échelle.
À l'occasion du congrès ISHEID 2012 (International Symposium HIV & Emerging Infectious Diseases), Timothy Ray Brown et son hématologue, le Dr Gero Hütter (Württemberg, Allemagne), ont détaillé leur expérience d'un point de vue humain et médical. [1]
Séropositif depuis 1995, traité depuis 2002
« J'aimerais dire un jour que je suis le premier des patients qui ont guéri du Sida… Ne plus être un cas unique », explique Timothy Ray Brown. « En 1995, alors que j'étais étudiant en Allemagne, j'ai découvert ma séropositivité. J'ai ensuite suivi un traitement à partir de 2002 qui, en dépit des effets secondaires, m'a permis de vivre une vie que je trouvais acceptable.
Mais en 2006, je me suis senti fatigué. Les prises de sang ont montré que je souffrais d'anémie. Une leucémie a été diagnostiquée. Le Dr Gero Hütter, mon hématologue à Heidelberg m'a proposé un traitement par greffe de moelle associé à une thérapie cellulaire qui, d'après lui, pouvait me guérir à la fois du SIDA et de la leucémie. J'ai refusé. Je voulais me contenter d'une chimiothérapie.
Une rechute et deux greffes
Mais deux ans après, c'était la rechute. Là j'ai bien voulu me prêter à la greffe et à cette technique de transplantation de cellules souches sélectionnées pour leur mutation sur le CCR5, qui m'avait déjà été proposée et dont les médecins ne me garantissaient pas pour autant un résultat définitif. J'ai subi deux greffes de moelle avec le même donneur, au cours de la seconde, j'ai présenté des complications neurologiques qui m'ont laissé des séquelles encore à ce jour.
Aujourd'hui, les médecins ont effectué sur moi tous les prélèvements imaginables, ils ont cherché du virus dans tous les endroits de mon corps, ont ponctionné tout ce qu'il était possible de ponctionner. Et ils m'ont déclaré guéri. J'espère être le premier d'une longue liste et que les souffrances que j'ai endurées pourront donner de l'espoir à d'autres. Désormais, je souhaite faire partager mon expérience au plus grand nombre afin de sensibiliser les pouvoirs décisionnels à l'importance de suivre des pistes thérapeutiques différentes des seuls médicaments ».
Cibler les donneurs porteurs d'une mutation homozygote CCR5-delta 32
Ce témoignage, tout en émotion et sensibilité, a été complété par une approche plus scientifique des traitements proposés par l'équipe des hématologues qui l'ont pris en charge. « L'idée de traiter le VIH avec une thérapie cellulaire est ancienne : elle pouvait permettre de prévenir les complications de l'infection en substituant les CD4 par des cellules insensibles au virus. Mais il fallait disposer de cellules résistantes, ce qui n'a pas été le cas pendant près de deux décennies », explique le Dr Hütter.
Ce n'est qu'en 1996 qu'un premier gène de résistance a été découvert. Le récepteur CCR5 sur lequel se lie le virus des patients présentant une mutation homologue du récepteur CCR5-delta 32 des CD4 devient inactif. Le VIH ne peut plus se lier et l'infection est impossible. Cette mutation est portée de façon hétérozygote par 10 à 20 % de la population caucasienne et homozygote par seulement 1 % de cette même population, avec une présence plus importante dans les pays baltes, en Bretagne et dans les pays du nord de l'Europe. Elle est totalement absence en Afrique, Asie et Inde.
Preuve de concept. Travailler sur l'entrée du virus
« Lorsque Timothy Ray Brown est venu me consulter, je lui ai proposé une greffe de moelle. Mon idée était de trouver un donneur homozygote pour la mutation CCR5-delta 32, afin de le rendre en outre insensible au VIH dont il était porteur. Le patient était lui-même hétérozygote pour ce même gène. Parmi les 232 donneurs HLA identiques, un seul était éligible du fait de son homozygotie. Deux mois après les deux greffes de moelle, nous avons constaté une modification complète de son génotype CCR5. Le virus a persisté quelques semaines dans le sang périphérique puis il est devenu indétectable. Le taux d'anticorps s'est lui aussi abaissé. Le taux des CD4 s'est majoré.
Nous avons par la suite recherché le virus dans des réservoirs lymphatiques ganglionnaires, digestifs et dans le LCR. Nous n'avons plus jamais détecté d'activité virale. Il serait illusoire de prétendre que ce traitement est possible pour une majorité de patients : il s'agit du greffe de moelle dont les complications peuvent être mortelles. D'autre part, le nombre de donneurs potentiels est très insuffisant. Mais c'est quand même la première fois que l'on prouve qu'il est possible de guérir du Sida. Aujourd'hui, après cette preuve du concept, deux autres patients ont bénéficié d'une greffe de même type et le suivi de leur évolution nous donnera encore des informations essentielles. Cette transplantation pourrait aussi nous inciter à travailler sur des moyens de bloquer l'entrée du virus dans la cellule. Des pistes sont déjà développées en ce sens », conclut le Dr Hütter.
Citer cet article: La première guérison du Sida par thérapie cellulaire - Medscape - 30 mai 2012.
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