Paris-France — « Avec 24 % des 11 millions d'hypertendus français traités par IEC [1], on peut estimer que chaque année 528 personnes (0,68 % des utilisateurs) vont présenter un angio-œdème laryngé, dont 20 à 25 % vont conduire au décès en l'absence de traitement spécifique.
Ces incidents - tout à fait imprévisibles - surviennent en moyenne 10,2 mois après la mise sous traitement. Ils sont liés à une modification du taux de bradykinine, un peptide qui augmente la perméabilité capillaire, physiologiquement dégradée par 4 enzymes : l'enzyme de conversion de l'angiotensine (pour 75 % de la dégradation), l'aminopeptidase P (APP), la neutral endopeptidase et la dipeptidyl peptidase IV », explique le Dr Laurence Bouillet, allergologue à Grenoble à l'occasion du 7e congrès francophone d'Allergologie. [2]
Majoration de la perméabilité capillaire
La description des angio-œdèmes médiés par la bradykinine date des années 2000. La place des IEC dans cette pathologie a rapidement été suspectée. Mais c'est par le biais de la toux que le premier lien entre le peptide et cette classe d'antihypertenseur a été établi. Il semble en effet que la toux, qui est à l'origine d'un arrêt du traitement par IEC dans 20 % des cas, est elle aussi en rapport avec une majoration des taux de bradykinine.
Les angioedèmes aux IEC sont heureusement beaucoup plus rares que la toux. Ils représentent 17 % des angioedèmes hospitalisés aux urgences.
« On sait assez peu de choses sur les facteurs de risques : un polymorphisme du gène de l'APP qui se traduit par une baisse de cette kinase pourrait jouer un rôle déclenchant. Il semble aussi que tous les IEC n'induisent pas le même risque, qui serait plus faible avec le captopril qu'avec le lisinopril. En outre, l'association avec d'autres médicaments pourrait majorer l'incidence des épisodes aigus : inhibiteurs de la DPPIV (antidiabétiques) ou prise concomitante d'inhibiteurs de mTOR (immunosuppresseurs) », continue le Dr Bouillet.
Les lèvres, la langue et la bouche
Le délai moyen de survenue des angioedèmes est de 10,2 mois après la mise sous traitement et cet effet n'est pas dose dépendant.
Les symptômes durent quelques jours (jamais moins de 24 h): ils débutent le plus souvent par une odynophagie et une dysphonie. La dyspnée aiguë peut s'installer rapidement conduisant à un décès par asphyxie dans 25 % des cas en l'absence de traitement spécifique.
Cliniquement, ce sont la face et la bouche qui sont les plus atteintes : 96 % d'œdème buccal et des lèvres, 72 % d'œdème de la langue, 13 % d'œdème laryngé. Leur caractère déformant est particulier. Des crises abdominales peuvent aussi survenir, mais plus rarement. Elles peuvent être à l'origine d'une ascite et de syndromes occlusifs. Ils ne sont jamais accompagnés de signes d'anaphylaxie tels qu'une urticaire.
Icatibant, concentré de C1 Inhibiteur et changement de traitement
Ces œdèmes sont résistants au traitement par antihistaminiques ou corticoïdes et peu sensibles à l'adrénaline. Le traitement spécifique passe par l'injection d'icatibant (Firasyr®) un antagoniste des récepteurs B2 de la bradykinine qui s'administre par voie sous-cutanée à la dose de 30 mg.
Malgré l'absence de déficit en C1 inhibiteur - cause principale des angioedèmes bradykiniques non liés à l'utilisation des IEC - un traitement substitutif par concentrés de C1 inhibiteur peut être efficace en cas d'œdème médicamenteux. La prise en charge à long terme de ces patients implique un arrêt définitif de tout IEC. La question du type de poursuite du traitement antihypertenseur doit être posée, en collaboration avec des spécialistes de l'angioedème [3]. Un patient sur deux, en effet, récidive dans les 12 mois quel que soit le type de traitement choisi. Les inhibiteurs de l'angiotensine peuvent être utilisés puisque seuls 10 % des patients auront des réactions croisées aux deux familles de médicaments.
Pas de traitement préventif
Aucun traitement préventif n'existe à ce jour. Une bonne information du patient, de sa famille et du médecin traitant est donc nécessaire.
Devant cette réaction cutanéo-muqueuse résistante aux corticoïdes et aux antiallergiques, un bilan s'impose afin d'éliminer un diagnostic d'angioedème histaminique allergique ou non. La démarche diagnostique est parfois difficile car l'implication des IEC peut être en cause même à distance de l'instauration du traitement et parfois même après l'arrêt de celui-ci.
Un dosage du C1 inhibiteur est ensuite indispensable (dosage pondéral et fonctionnel). En cas d'angioedème sous IEC, le C1 inhibiteur est généralement normal, mais il est possible que le médicament ait démasqué une pathologie liée à une déficit acquis ou héréditaire en C1 inhibiteur.
Le Dr Bouillet déclare avoir été rémunérée par Shire, CSL Behring et Viropharma pour des activités d'expertise et des participations à des symposiums. |
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Citer cet article: Rare mais potentiellement fatal : l'angio-œdème bradykinique aux IEC - Medscape - 4 mai 2012.
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