Focus sur les isolats de blé ou hydrolysats de blé, nouveaux allergènes alimentaires
Le Dr Codreanu-Morel dresse un état des lieux des allergies alimentaires aux isolats de blé, des allergènes émergents surtout présents dans les aliments reconstitués. 3 mai 2012Paris, France - A côté des classiques allergènes alimentaires comme le lait de vache, l'œuf, l'arachide et les fruits à coque, de nouveaux allergènes émergent comme le soja, le sarrasin ou encore des allergènes fabriqués par les procédés industriels tels que les isolats de blé.
Au cours d'une session du 7ème Congrès Francophone d'Allergologie sur ces néoallergènes alimentaires, le Dr Françoise Codreanu-Morel (Service d'immuno-allergologie, Centre hospitalier de Luxembourg, Luxembourg) a fait le point sur l'allergie aux isolats de blé, aussi appelés hydrolysats de blé acides ou enzymatiques, issus des procédés de fabrication de l'industrie agroalimentaire, et résultant de la déamidation du gluten [1].
Apparus dans les années 2000, les isolats de blé sont utilisés pour leurs propriétés liantes et sont retrouvés dans des produits alimentaires complexes, en particulier dans les produits de charcuterie et viandes reconstituées mais aussi, dans des agents clarifiants du vin, dans des pâtes sèches et peut être bientôt dans les produits de panification.
« L'allergie alimentaire aux isolats de blé est rare, mais elle doit être évoquée devant des réactions anaphylactiques suite à l'ingestion d'aliments complexes industriels. Elle se caractérise par l'absence d'allergie à la farine de blé naturelle », a résumé le Dr. Codreanu-Morel.
Les données du réseau d'allergovigilance
Les allergologues membres du réseau d'allergovigilance de Nancy ont rapporté 13 cas d'anaphylaxie alimentaire sévère liés aux isolats de blé [2,3]. La prévalence est estimée à 1,15 % (13 sur 1128 cas déclarés) des anaphylaxies alimentaires sévères. Il s'agit surtout de femmes (10 cas sur 13) et trois cas ont été rapportés chez des enfants de six, huit et neuf ans. La moyenne d'âge est de 29 +/- 17 ans (de 6 à 55 ans). Les manifestations cliniques sont, dans 8 cas sur 13, des réactions systémiques sévères impliquant plus de deux organes, suivies par 3 cas d'angio-œdèmes laryngés et deux cas de chocs anaphylactiques. Un facteur aggravant l'anaphylaxie alimentaire, l'alcool, a été retrouvé dans un seul cas. Quatre patients avaient déjà présentés des épisodes anaphylactiques qualifiés d'idiopathiques, 3 autres une urticaire et des angio-œdèmes cutanés alimentaires récidivants et 6 n'avaient jamais eu de réaction auparavant. Seule une patiente avait rapporté une réaction de contact aux produits cosmétiques pouvant contenir des hydrolysats de blé. La plupart des réactions sont survenues après ingestion de charcuterie (n =7), jambon de porc ou dinde reconstitué (n =5), un cas a été rapporté après consommation de pâtes sèches au blé. Les isolats de blé n'ont pas été identifiés en tant que tel sur l'étiquette des produits sauf dans 1 cas (escalope de dinde). Concernant les données cutanées, une atopie a été retrouvée dans 46 % des cas, avant tout une sensibilisation aux acariens (6 cas sur 6 ), chat (2 cas sur 6), chien (1 cas sur 6), graminées (1 cas sur 6) et herbacées (1 cas sur 6). Les prick-tests à l'isolat de blé étaient en moyenne de plus de 7 +/- 3 mm pour un témoin codéine de 5 mm. Les prick-tests et IgE spécifiques à la farine de blé et au gluten étaient tous négatifs.
Comment faire le diagnostic ?
Un faisceau d'arguments cliniques, cutanés et biologiques doivent amener au diagnostic.
Les manifestations cliniques de l'allergie aux isolats de blé sont des anaphylaxies alimentaires sévères, des urticaires, des angio-œdèmes récidivants alimentaires et des allergies de contact aux cosmétiques (avant tout urticaires de contact).
Les formes associant allergies de contact et alimentaire sont tout à fait variables suivant les auteurs de 0,08% à 67%.
Les accidents allergiques sont immédiats, souvent anaphylactiques, et ne peuvent être rapportés aux allergènes alimentaires habituels.
La nature des aliments ingérés doit attirer l'attention. Il s'agit de viandes ou charcuteries reconstituées et industrielles, sauces ou soupes industrielles. « Mais, il semble également que les industriels aient l'intention de les utiliser dans les farines pour la fabrication du pain, des produits de panification et pâtes feuilletés et éventuellement, du fait des propriétés nutritionnelles, comme substituts lactés ou boissons hyperprotéinées », a souligné l'oratrice.
Les cosmétiques contenant des isolats de blé sont essentiellement des crèmes pour le visage mais aussi des crèmes hydratantes pour le corps, des shampoings et des après-shampoings ;
En termes d'examens, les prick-tests aux viandes et aliments naturels natifs sont négatifs alors que ceux des viandes consommées sont positifs. La preuve est apportée par la franche positivité du prick-test à l'extrait commercial d'isolat de blé et la négativité des prick-tests et IgE spécifiques à la farine de blé et au gluten. « Deux extraits commerciaux d'isolats de blé sont disponibles, celui du laboratoire ALK qui repose sur un hydrolysat acide et celui du laboratoire Stallergènes qui repose sur un hydrolysat enzymatique », a précisé le Dr Codreanu-Morel.
Le principal diagnostic différentiel de l'allergie aux isolats de blé est l'allergie à la farine de blé. Dans ce cas, les prick-tests et les IgE sont positifs pour l'isolat de blé, pour la farine de blé et pour le gluten.
« Concernant le test de provocation orale (TPO), je ne pense pas que beaucoup d'entre nous puissent l'utiliser en pratique courante même si je sais que le Pr Moneret-Vautrin (Allergologue, CHU Nancy) le pratique avec un hydrolysat acide qui est commercialisé par un industriel et qui a accepté de lui fournir », a noté l'allergologue.
Un manque de transparence industrielle très gênant
L'éviction spécifique des isolats de blé est très délicate et contraignante du fait de l'absence d'étiquetage spécifique sur les produits qui les contiennent. Le problème est que l'étiquetage du blé et gluten est certes obligatoire mais qu'un patient allergique aux isolats de blé n'a aucun moyen de savoir si l'aliment consommé contient de la farine de blé naturelle ou un isolat de blé. Le patient se voit donc souvent contraint à une éviction large de précaution.
En conclusion, le Dr Codreanu-Morel a souligné que les isolats de blé illustrent l'influence des procédés de fabrication de l'industrie agroalimentaire sur l'apparition de néoallergènes. Malheureusement, alors qu'il existe actuellement entre 15 et 20 isolats de blé commercialisés en France, il est quasi-impossible d'obtenir des informations précises sur ces produits. « La communication avec les industriels est très difficile, voire quasi impossible. Pour préparer cette communication, j'ai essayé de les contacter et je me suis heurtée à un refus de dialoguer », a souligné l'intervenante. Il lui a même été précisé « qu'elle n'y connaissait rien »…
Le Dr Codreanu-Morel a déclaré ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article. |
Citer cet article: Les isolats de blé : des néoallergènes alimentaires à considérer - Medscape - 3 mai 2012.
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