Bordeaux, France - Présentés lors du Printemps de la Cardiologie, les résultats de l'étude O'CLOC (Occupational Cataracts and Lens Opacities among Cardiologists), mené par l'Institut de Radioprotection et Sureté Nucléaire (IRSN) sont un rappel adressé aux cardiologues interventionnels, pour qu'ils se protègent effectivement les yeux lors des procédures irradiantes [1]. En substance, le risque ajusté de cataracte sous-capsulaire postérieure, radio-induite, dans une population d'hémodynamiciens et de rythmologues, est de 3,8 par rapport au risque d'une population non exposée.
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Sophie Jacob |
Un risque aux faibles doses
Lancée en 2009, l'étude se justifie par le constat, effectué dans les années 90, des dommages oculaires induits par des faibles doses de radiations ionisantes. En 2011, la Commission Internationale de Protection Radiologique a abaissé la dose cumulée admissible à 500 mSv, et la dose annuelle en milieu professionnelle à 20 mSv/an, contre respectivement 2-5 Sv et 150 mSv/an auparavant. Or, en fonction des procédures et des moyens de protection utilisés, l'exposition oculaire d'un cardiologue interventionnel peut aller de moins de 10 à plus de 1000 µSv par procédure.
Deux questions devaient donc être posées. Quelles sont les doses reçues au niveau des yeux par un cardiologue interventionnel ? Le risque d'opacités cristalliniennes dans cette profession, est-il plus élevé que dans une population non exposée ?
Etat des yeux après 22 ans de carrière
L'étude a été menée chez 106 cardiologues interventionnels (76 hémodynamiciens, et 30 rythmologues), âgés d'au moins 40 ans, et ne présentant pas d'antécédents de scanner au niveau de la tête.
Ces cardiologues avaient en moyenne 22 ans d'activité en laboratoire de cathétérisme. Par ailleurs, en ce qui concerne les facteurs de risque de cataracte, l'âge moyen était de 51 ans, 38% étaient des fumeurs anciens ou actuels, 1% étaient diabétiques, et 1% avaient pris des corticoïdes de manière prolongés. La population contrôle était, elle, constituée de 99 salariés de l'IRSN, âgés de 50 ans en moyenne, comptant 44% de fumeurs, 0% de diabétique, et 3% de sujets ayant suivi une corticothérapie prolongée. Aucun écart entre ces deux populations n’était significatif.
Les cardiologues ont rempli un questionnaire professionnel portant sur leur carrière (centres, procédures, …), ainsi que sur les moyens de protection utilisés. Tous les participants ont par ailleurs subi un examen ophtalmologique approfondi (lampe à fente, cotation de la cataracte ou des opacités cristalliniennes selon la classification internationale LOCS III). « Il existe plusieurs classifications des opacités cristalliniennes », explique Sophie Jacob. « Nous avons choisi la classification LOCS III d'une part parce qu'elle a été retenue dans les grandes études internationales, menées notamment parmi les survivants de Tchernobyl, et d'autre part parce qu'elle n'est pas spécifique des opacités radio-induites, et ne comporte pas le risque de les sur-estimer. »
Au moins une sur-exposition annuelle pour 60% des cardiologues interventionnels
L'exposition au niveau des yeux a été évaluée d'après les chiffres du projet européen ORAMED (Optimization of RAdiation protection for MEDical staff) qui vise à mesurer et réduire les expositions du personnel médical.
En 2009, ORAMED avait indiqué les valeurs suivantes.
Doses ionisantes reçues au niveau des yeux par le cardiologue par procédure, selon ORAMED 2009 Coronarographie |
Angioplastie |
Implantation PM ou déf. |
Resynchronisation PM ou déf. |
Ablation par radiofréquences hors FA |
Ablation de FA par radiofréquences |
|
Dose µSv/procédure |
46 |
102 |
59 |
236 |
65 |
130 |
Lunettes plombées |
Visière plombée |
Ecran mobile suspendu |
Cabine mobile |
|
Réduction de dose |
80% |
50% |
50% |
99,99% |
Dans ces conditions, la dose cumulée reçue par les cardiologues interventionnels au niveau des yeux durant 22 années d'activité, est de 423 mSv (avec un minimum à 25 et un maximum à 1658 mSv). Pour les hémodynamiciens et les rythmologues, ces doses moyennes sont respectivement de 455 et 343 mSv (p=ns), avec une variabilité ici encore très étendue dans les deux cas.
En dose cumulées, plus de 28% des hémodynamiciens et 19% des rythmologues ont déjà dépassé la valeur de 500 mSV, fixé comme seuil de risque d'opacités cristaliniennes radio-induites. Par ailleurs, en dose annuelle, 60% des cardiologues ont été exposés au niveau oculaire à plus de 20 mSv/an (dose annuelle limite recommandée par la CIPR depuis 2011) au moins une fois depuis 2000.
Trois à quatre fois plus d'opacités sous-capsulaires postérieures chez les cardiologues interventionnels
En ce qui concerne les atteintes oculaires, il faut distinguer les cataractes nucléaires, corticales, et sous-capsulaires postérieure. Ce dernier type est une véritable signature de l’impact oculaire des radiations ionisantes. « Les rayonnements ionisants s'attaquent aux cellules épithéliales de l'arrière du cristallin, dont la réplication est la plus rapide », explique Sophie Jacob. « Les cataractes sous-capsulaires postérieures peuvent entrainer une gêne visuelle plus précoce, mais leur traitement chirurgical est strictement analogue à celui des autres types de cataractes. »
Proportions d'opacités de stade LOCS III > 1 (œil gauche ou droit) dans une population de cardiologues interventionnels vs une population contrôle Cardiologues interventionnels (n=106) |
Personnel IRSN (n=99) |
|
Cataracte nucléaires |
60% |
69% |
Cataractes corticales |
23% |
29% |
Cataractes sous-capsulaires postérieures |
17% |
5% |
Le risque relatif ajusté de cataracte sous-capsulaire postérieure parmi les cardiologues interventionnels par rapport à une population contrôle, est donc de 3,8 ; IC 95% [1,3-11,4].
On note que ce résultat est cohérent avec des données d'études antérieures, menées chez des cardiologues interventionnels. Une étude latino-américaine signale ainsi une prévalence de 38% d'opacités sous-capsulaires postérieures chez des cardiologues interventionnels par rapport à une population non exposées (RR=3,2 ; p<0,05). Une étude menée en Malaisie retrouvait, elle, des prévalences de 52% vs 9% d'opacités sous-capsulaires postérieures (RR=5,7 ; p<0,05).
Relation dose-effet
Enfin, une relation dose-effet est retrouvée entre durée d'activité professionnelle, et prévalence des opacités sous-capsulaires postérieures. Cette relation dose-effet avait d'ailleurs elle-aussi déjà été rapportée par une étude finlandaise.
Pour des durées d'activité inférieures à 17 ans, comprises entre 17 et 25 ans, et supérieures à 25 ans, les risques relatifs d'opacités sous-capsulaires postérieures passent ainsi de 1,9 à 3,9, puis 5,9.
Pour les doses d'exposition cumulées, évaluées à partir des réponses des cardiologues aux questionnaires, la relation comporte une valeur aberrante, puisque le risque relatif, de 4,1 pour les doses < 187 mSv, monte à 5,4 pour les doses comprises entre 187 et 430 mSv, avant de retomber à 1,4 pour les doses supérieures à 430 mSv. « Il est probable que la reconstruction des doses cumulées, à partir des déclarations des cardiologues, comporte un biais », indique Sophie Jacob.
Le port de lunettes de protection devrait être systématique
Reste un dernier résultat, parlant : avec le port de lunettes de protection plombées durant au moins 75% de la durée de l'exposition, le risque est de 2,2, contre 3,9 si les lunettes sont portées moins fréquemment.
« La cabine mobile ou l'écran de protection n'étant pas toujours utilisables, les lunettes constituent la protection la plus systématique », souligne Sophie Jacob. « Pour le moment, cependant, seul le port sur la poitrine d'un dosimètre de l'exposition corporelle totale est réglementairement obligatoire. »
Comment le cardiologue peut-il obtenir des lunettes de protection ? En les achetant sur ses deniers, bien sûr - et Sophie Jacob avance le chiffre de 1000 euros, comme ordre de grandeur, pour des lunettes à la fois correctives et protégeant les yeux. Le Pr Yves Cottin (Dijon), présent lors de la présentation de l'étude O'CLOC, a signalé que, selon sa propre expérience, il peut être utile de faire intervenir la médecine du travail pour obtenir l'achat de lunettes par la direction de l'hôpital.
Ceci, en attendant une évolution de la réglementation, peut-être à l'échelle européenne. « Le projet d'une étude européenne portant sur l'irradiation oculaire des cardiologues interventionnels en France, en Allemagne, en Belgique, en Finlande, en Pologne, en Italie et en Grèce, a été lancé », indique Sophie Jacob.
Actualités Heartwire © 2012
Citer cet article: Risque de cataractes radio-induites multiplié par 3,8 chez les interventionnels - Medscape - 19 avr 2012.
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