Intoxication aux cannabis de synthèse, Spice, K2, et autres : un tableau atypique
Aux Etats-Unis, trois nouveaux cas cliniques montrent que le « Spice » et autres cannabis de synthèse peuvent induire agitation, agressivité, diaphorèse, catatonie, et troubles de la parole. 2 avril 2012Washington, Etats-Unis - Alors que les cannabis de synthèse rencontrent un succès grandissant auprès des adolescents et des jeunes adultes aux Etats-Unis, une étude publiée par une équipe américaine dans la revue Pediatrics s'inquiète de l'augmentation du nombre de passages aux urgences après avoir consommé ces drogues [1].
Les cannabis de synthèse ont une action plus puissante que le cannabis naturel et ils ne sont pas détectables par les tests de dépistage classiques, ce qui les rend d'autant plus populaires chez les jeunes.
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L'ampleur du problème
Reflet d'une inquiétude montante, les autorités sanitaires de l'Etat et de la ville de New York viennent d'interdire, la semaine dernière, la vente de ces herbes. Elles étaient jusque-là en vente libre, sous forme d'encens, dans les épiceries et les tabacs.
En Europe et en France, le mélange de cannabinoïdes synthétiques est principalement vendu sur internet sous forme de sachets d'herbes d'environ 3 grammes (8 joints) qui coûtent entre 25 et 36 euros. Sa vente et son utilisation sont interdites dans l'hexagone depuis 2009.
« C'est probablement parce que la France a réagi assez vite sur le plan législatif qu'il n'a pas été rapporté de cas d'intoxication, en France, jusqu'à présent. Mais, le problème, est que le produit circule sur internet, qu'il est fabriqué en Asie, en Chine et en Inde, et qu'il a réussi à traverser les frontières. Il n'est pas certain qu'il n'arrive pas à un moment ou un autre sur le marché français », a commenté le Dr Amine Benyamina, responsable de l'unité fonctionnelle d'addictologie de l'Hôpital universitaire Paul-Brousse à Villejuif, pour Medscape France.
Quel danger ?
Entre 2010 et 2011, l'American Association of Poison Control Centers a rapporté 4500 appels impliquant une toxicité par cannabis de synthèse. Et, en Europe, des décès par overdose ont été rapportés, notamment, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas.
En outre, plusieurs études et revues de la littérature [2] [3]] ont montré une association entre la consommation de cannabis de synthèse et la survenue d'hallucinations et de paranoïa, mais aussi, d'infarctus du myocarde chez des adolescents [4].
« C'est un tableau psychiatrique et d'urgence somatique important, difficile à gérer, grave, de présentation inhabituelle et pour lequel il y a eu des cas de décès », a souligné le Dr Benyamina.
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Description de 3 nouveaux cas cliniques
Les cannabis de synthèse sont des substances relativement nouvelles sur lesquelles « peu d'information » est disponible dans la littérature médicale, a expliqué l'auteur principal de la nouvelle publication, le Dr Joanna Cohen du service des urgences du Children's National Medical Center, Washington, Etats-Unis.
Son équipe a colligé trois cas cliniques d'adolescents vus aux urgences pour des suspicions d'intoxication au cannabis synthétique. Ils apportent un nouvel éclairage sur les signes et symptômes associés à l'intoxication aux cannabis de synthèse.
Cas n°1: une adolescente de 16 ans est transférée d'un autre hôpital avec un état mental altéré. Elle est éveillée, les yeux ouverts mais ne répond plus aux stimuli verbaux ou à la douleur. Son petit ami indique qu'ils ont fumé de la marijuana contenant du « K2 ».
Elle est catatonique à l'arrivée aux urgences, ses extrémités inférieures sont rigides et fléchies. Sa fréquence cardiaque est de 105 battements par minute, sa fréquence respiratoire de 18 respirations par minute et sa pression artérielle de 118 sur 73 mm Hg. Elle est en tachycardie sinusale et ne répond pas aux stimuli verbaux ou à la douleur.
Elle est traitée par une dose unique de 150 mg de diphenhydramine en intraveineuse, et commence alors à remuer les lèvres et à tenter de parler. Elle est ensuite traitée deux fois par lorazépam 2 mg en intraveineuse, et commence à parler lentement. Elle reste en observation pour la nuit et recouvre, petit à petit, ses fonctions motrices et verbales.
Cas n°2 : un jeune homme de 18 ans est amené aux urgences après être devenu très agité et s'être mis à transpirer à profusion au cours d'une soirée. Aux urgences, il est agité et agressif. L'examen des signes vitaux indique une température de 37,6°C, une fréquence cardiaque de 131 battements par minute et une pression artérielle de 131 sur 89 mm Hg. Il reste diaphorétique et anxieux. Ses pupilles sont dilatées et réagissent lentement. Il est également en tachycardie sinusale.
Le patient continue à être agressif et agité et reçoit 2 mg de lorazépam en intraveineuse. Il admet finalement avoir fumé du « Spice » à la soirée. Il reçoit 50 mg de diphenhydramine en intraveineuse et est admis à l'hôpital. Il montre une nette amélioration des symptômes dans les heures qui suivent.
Cas n°3 : un jeune homme de 16 ans est amené aux urgences parce que son visage reste figé et que son discours est ralenti. Au cours des dernières heures, il été sujet à des hallucinations et à une forte agitation. Le garçon indique qu'il a fumé du « Spice » environ 5 heures auparavant.
Plus précisément, à l'arrivée aux urgences, le patient est agité et il a une dysarthrie. Il semble dystonique. Il est alerte et semble capable de répondre à des questions simples mais semble confus. Il reçoit une injection intraveineuse en bolus de 1000 mL de solution saline et de 4 mg de lorazépam. Les toxicologies des urines et du sérum sont négatives. Après 3 à 4 heures, il commence à se rétablir et il retrouve son état neurologique normal.
L'équipe du Dr Cohen note que les réactions dystoniques observées dans deux des cas sont des « effets secondaires inhabituels » et qu'il est possible que la dystonie observée soit, en fait, une association de catatonie, de catalepsie et d'agitation. « Une dystonie induite par les cannabinoïdes serait un curieux phénomène », parce que les effets du THC sur le ganglion de la base ont été étudiés dans le traitement de la dystonie, indiquent-t-ils.
A la vue de ces trois cas, « il est maintenant évident que ces cannabis de synthèse peuvent causer de l'agitation, des comportements agressifs, des catatonies, des suées intenses et des troubles de la parole », concluent les auteurs du rapport.
Des possibles effets à long terme
Aucun antidote n'est actuellement disponible pour traiter l'intoxication aux cannabinoïdes de synthèse. Et, bien que les symptômes soient habituellement de courte durée, « de possibles multiples effets à long terme sur l'immunomodulation et la carcinogénèse, la perte de mémoire, les complications psychiatriques et la dépendance ont été décrits », soulignent les auteurs.
Ils précisent qu'« étant donné la sensibilité du cerveau en développement et l'association entre l'utilisation précoce du cannabis et le risque de psychose, l'utilisation de ces nouveaux cannabis de synthèse par les adolescents pose un vrai problème. »
Ils concluent : « reconnaître les signes et les symptômes de la consommation de cannabis de synthèse peut aider les médecins qui traitent les adolescents à être mieux préparer à diagnostiquer et à prendre en charge les patients intoxiqués.»
Les auteurs n'ont pas déclaré de liens d'intérêts. |
Cet article a été originalement publié sur Medscape.com le 19 mars 2012; adapté et complété par Aude Lecrubier
Citer cet article: Le cannabis de synthèse envoie les adolescents aux urgences - Medscape - 2 avr 2012.
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