Des nouvelles recommandations sur la prise en charge de l'autisme

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

16 mars 2012

Recommandations HAS/Anesm sur les troubles envahissants du développement et l'autisme

Les nouvelles recommandations sur l'autisme mettent en avant les approches éducatives et comportementales mais appellent à plus de recherches. Réactions du Dr Buferne.
16 mars 2012

Saint-Denis, France -La Haute Autorité de Santé (HAS) et l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) viennent de publier des recommandations de bonne pratique sur la prise en charge des enfants et adolescents souffrant d'autisme ou d'autres troubles envahissants du développement (TED)[1]. Très pratiques, elles font le tri entre les nombreux types de prise en charge actuellement disponibles et encouragent à développer la recherche et les partenariats.

« Il était très opportun de faire ces recommandations parce qu'il existe beaucoup de divergences sur ce qui peut être proposé aux adultes et aux adolescents », commente le Dr Richard Buferne, pédo-psychiatre au Centre Hospitalier Interdépartemental de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent Fondation Vallée, à Gentilly, ayant participé à une réunion du Comité de Pilotage élargi des recommandations.

Définis comme un groupe hétérogène de troubles se caractérisant tous par des altérations des interactions sociales, de la communication et du langage, les TED concernaient en 2009 une personne de moins de 20 ans sur 150, soit entre 92 000 et 107 500 jeunes.

Les recommandations succèdent à d'autres travaux consacrés à l'autisme et aux TED déjà publiés par les deux institutions : l'« État des connaissances » publié par la HAS en janvier 2010, la recommandation « Pour un accompagnement de qualité des personnes avec autisme ou autres TED » publiée en janvier 2010 par l'Anesm centrée sur le respect, la dignité et les droits des personnes avec TED et les deux recommandations relatives au diagnostic, chez l'enfant (Fédération française de psychiatrie/HAS en 2005) et chez l'adulte (HAS en 2011).

Pour élaborer ces recommandations, la HAS et l'Anesm ont regroupé des associations de personnes présentant des TED elles-mêmes, des associations de famille et des professionnels. Ces recommandations sont le fruit d'un travail de deux ans ayant mobilisé 145 experts, complété par une consultation publique à laquelle ont répondu plus de 180 organisations. Elles se déclinent autour d'un axe fort : « la mise en place précoce, par des professionnels formés, d'un projet personnalisé d'interventions adapté et réévalué régulièrement pour chaque enfant ou adolescent avec TED. »

« Sur le contenu, ces recommandations précisent bien la place centrale des patients et de leur famille. Elles insistent sur la nécessité d'une évaluation régulière et précisent les outils pour la réaliser. Enfin, elles soulignent l'importance de la coordination du parcours de l'enfant ou de l'adolescent autiste pour renforcer la cohérence de la prise en charge », indique le Dr Buferne.

Donner une vraie place à l'enfant et à sa famille

L'attention portée à la place et à la singularité de la famille et de l'enfant dans l'accompagnement est un des messages forts de ces recommandations. Pour assurer le succès de la mise en place du projet personnalisé d'interventions, les rapporteurs précisent qu'il est important que la famille soit associée, puisse participer aux séances si elle le souhaite ou bénéficier d'un accompagnement spécifique et formateur. « Au regard des preuves de leur efficacité et de l'expérience professionnelle, l'implication des parents dans les interventions globales est recommandée pour assurer la cohérence des modes d'interactions avec l'enfant (grade B) », stipule le texte.

Par ailleurs, la HAS recommande aux parents d'être « particulièrement prudents vis-à-vis d'interventions présentées comme permettant de supprimer complètement les manifestations des TED, voire de guérir totalement leur enfant car aucun élément probant ne permet d'envisager une telle efficacité. Ils doivent être également vigilants vis-à-vis des méthodes exigeant une exclusivité de l'accompagnement, car l'abandon d'interventions peut présenter un danger ou induire une perte de chances pour l'enfant ou l'adolescent suivi. »

Un diagnostic et une évaluation précoces : pré-requis indispensables

D'après les nouvelles recommandations, l'hétérogénéité des profils cliniques et de l'évolution des enfants/adolescents avec TED impose une évaluation régulière au minimum une fois par an par l'équipe d'interventions, afin d'ajuster les interventions proposées. Elle explore l'ensemble des « domaines de vie » de l'enfant : domaines de la communication et du langage, des interactions sociales, des émotions et du comportement, domaines cognitif, sensoriel et moteur, somatique, ainsi que l'autonomie dans les activités quotidiennes et les apprentissages, notamment scolaires et préprofessionnels.

« Les recommandations mettent en avant une vision très globale de la personne et de ces besoins. Elles ne concernent pas uniquement la dimension liée au trouble mais aussi le soutien de la famille et les aspects matériels », souligne Richard Buferne.

Proposer un projet personnalisé d'interventions précoces, globales et coordonnées

Si le texte rappelle « qu'aucune approche éducative ou thérapeutique ne peut prétendre restaurer un fonctionnement normal ou améliorer le fonctionnement et la participation de la totalité des enfants/adolescents avec TED (grade B) », il préconise des interventions globales et coordonnées, élaborées en partenariat avec les parents et leur enfant, et idéalement débutées avant 4 ans et dans les 3 mois suivant le diagnostic.

Les interventions sont fondées sur une approche éducative, comportementale et développementale qu'il y ait ou non retard mental associé.

Les interventions évaluées jusqu'en septembre 2011 concernent les interventions fondées sur l'analyse appliquée du comportement dites ABA (grade B), le programme développemental dit de Denver (grade B) ou le programme « traitement et éducation pour enfants avec autisme ou handicap de la communication » dit TEACCH (grade C).

Les rapporteurs précisent que « les approches développementales et comportementales ne doivent pas être présentées comme exclusives l'une de l'autre. »

Leur efficacité sur le quotient intellectuel, les compétences de communication et le langage a été démontrée à moyen terme comparativement aux pratiques éclectiques, avec une amélioration pour environ 50 % des enfants (suivi maximum 4 années). Des effets plus modérés sont observés sur les comportements adaptatifs. Leurs effets à l'adolescence ou à l'âge adulte ne sont pas connus.

En l'absence d'études contrôlées, les données ne permettent pas en 2011 de juger de l'efficacité ou de la sécurité des prises en charge intégratives. Néanmoins, à l'issue du processus de consensus formalisé, les prises en charge intégratives de type thérapie d'échange et de développement, en tant qu'interventions fondées sur une approche développementale, intégrant des principes neurophysiologiques et de rééducation, sont jugées appropriées (accord d'experts).

Au-delà de 4 ans, la mise en place ou la poursuite des interventions s'effectue selon des dispositifs différents en fonction du profil de développement de l'enfant/adolescent et de la sévérité des symptômes.

Des interventions non consensuelles et des interventions non recommandées

Devant l'absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés, la HAS et l'Anesm estiment impossible de conclure à la « pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques et la psychothérapie institutionnelle qu'elles qualifient « d'interventions globales non consensuelles ».

Une position jugée injustifiée par le monde français de la psychanalyse.

De son côté, le Dr Buferne note qu'il y a « un déséquilibre entre les précisions apportées sur les interventions comportementales et développementales qui sont assez détaillées et ce qui concerne la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelles. »

Il ajoute : « Il n'y avait sans doute pas de consensus sur ce type d'interventions mais il aurait pu au moins être souligné que dans certaines situations, associée à d'autres interventions, il pouvait être utile d'avoir une approche psychanalytique pour les enfants. »

Concernant la psychothérapie institutionnelle, le pédo-psychiatre souligne « qu'il n'y a pas que les actes éducatifs ou thérapeutiques qui ont du sens mais aussi ce qui se passe tout autour et les relations entre la personne autiste et les différents intervenants auprès d'elle. Ne pas prendre en compte ce qui se passe à ce niveau est, je pense, préjudiciable. »

Parallèlement, un certain nombre de pratiques sont jugées « non recommandées » de par l'absence de données sur leur efficacité, le caractère exclusif de leur application et leur absence de fondement théorique.

« Il faut être méfiant vis-à-vis de toute proposition qui va être présentée comme la seule et l'unique réponse possible. Il est bien que les recommandations listent les interventions qui ne sont clairement pas recommandées pour aider les parents à y voir plus clair », explique Richard Buferne.

Les experts, professionnels et représentants d'usagers, ne recommandent pas les pratiques suivantes (accord d'experts):

  • programme Son Rise® ;

  • méthode des 3i ;

  • méthode Feuerstein ;

  • méthode Padovan ou réorganisation neurofonctionnelle ;

  • méthode Floortime ou Greenspan, en tant que méthode exclusive ; cette pratique peut être proposée au sein d'un projet d'interventions coordonnées (grade C) ;

  • méthode Doman-Delacato;

  • recours au mélange gazeux dioxyde de carbone-oxygène associé à une méthode précédente.

Le recours aux enveloppements corporels humides (dits packing) a également fait couler beaucoup d'encre ces derniers temps. Pour les rapporteurs : « En l'absence de données relatives à son efficacité ou à sa sécurité, du fait des questions éthiques soulevées par cette pratique et de l'indécision des experts en raison d'une extrême divergence de leurs avis, il n'est pas possible de conclure à la pertinence d'éventuelles indications des enveloppements corporels humides (dits packing), même restreintes à un recours ultime et exceptionnel. En dehors de protocoles de recherche autorisés respectant la totalité des conditions définies par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), la HAS et l'Anesm sont formellement opposées à l'utilisation de cette pratique. »

Le texte précise, toutefois, que la position sur ces différentes approches « ne doit cependant pas entraver d'éventuels travaux de recherche clinique permettant de juger de l'efficacité et de la sécurité des interventions de développement récent. » Mais, « en se positionnant de manière aussi abrupte, la HAS et l'Anesm risquent de gêner considérablement toute recherche sur ce sujet » précise le Dr Buferne.

Un appel à développer la recherche-action et la recherche clinique

« J'espère que ces recommandations vont encourager les pouvoirs publiques à subventionner les recherches dans les domaines où les preuves scientifiques manquent », conclut Richard Buferne.

Dans la dernière partie des recommandations, les rapporteurs mettent en exergue l'importance de développer de nouveaux partenariats et de nouvelles recherches.

Le texte indique notamment qu' «  Il est recommandé d'encourager une dynamique d'ouverture des équipes d'interventions à des actions de recherche, afin que les données et expériences recueillies dans le cadre de la mise en oeuvre des interventions puissent contribuer au progrès de la connaissance des publics accompagnés, de leurs besoins et des modalités d'intervention et d'accompagnement qui leur sont proposées. »

Et, un peu plus loin : « Face au constat du faible nombre d'études scientifiques permettant de connaître les effets à long terme des interventions éducatives, comportementales et développementales mais aussi de l'absence de données concernant de nombreuses pratiques ¯ émergentes ou non ¯ réalisées en 2011 en France, il est recommandé aux équipes des centres hospitaliers universitaires et des autres organismes ayant une mission de recherche (CRA, universités, laboratoires de recherche, CREAI, etc.) de développer la recherche clinique par des études contrôlées ou par des études de cohorte. »

Surveillance somatique et prescriptions médicamenteuses

Les nouvelles recommandations préconisent de « solliciter un avis médical à la recherche d'une cause somatique en cas de changement de comportement brutal ou inexpliqué et de prescrire les traitements médicamenteux recommandés en cas de douleur, épilepsie ou comorbidités somatiques, actuellement sous-diagnostiquées (AE). »

« La prise en charge des autistes a lieu dans des lieux très différents et il était important de préciser la nécessité de l'examen somatique, une fois par an pour s'assurer de l'état général de la personne, et notamment l'importance de l'examen dentaire. Il est vrai que, du fait des troubles de comportement et des difficultés à réaliser le moindre examen, l'examen somatique ne reçoit pas toujours l'attention qu'il devrait. Or, il a été montré que, parfois, des troubles du comportement sont induits par une souffrance somatique et non par une souffrance psychique », renchérit le Dr Buferne.

Les recommandations précisent, par ailleurs, que les médicaments peuvent avoir une place, non systématique et temporaire, dans la mise en oeuvre de la stratégie d'interventions éducatives et thérapeutiques des enfants/adolescents avec TED.

Au vu des données publiées, il y a absence de consensus sur la stratégie médicamenteuse la plus appropriée dans le cadre des troubles du comportement (peu d'études contrôlées randomisées, effectifs restreints, effets indésirables fréquents, majorité des molécules hors AMM). « Les psychotropes peuvent être considérés en seconde intention (dépression, anxiété, troubles du comportement) ; ils doivent être prescrits de manière exceptionnelle et temporaire (AE), » précisent les rapporteurs.


Le Dr Buferne a déclaré ne pas avoir de liens d'intérêt en rapport avec le sujet.

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