Boston, Etats-Unis - Deux nouvelles, une bonne et une mauvaise. La mauvaise, c'est que le risque coronarien associé à la consommation de sodas sucrés est largement confirmé. La bonne, c'est que cette association n'est pas retrouvée avec les boissons non pas sucrées, mais adoucies avec des édulcorants. Des données concordantes sont par ailleurs retrouvées au niveau des marqueurs sanguins du risque CV, ainsi qu'au niveau de certaines cytokines pro-inflammatoires. Ces résultats sont issus de la Health Professionals Follow-up Study, et publiés dans Circulation[1].
Trois objectifs
L'objectif de l'étude était triple.
Il s'agissait premièrement d'évaluer l'impact des boissons sucrées en termes d'évènements coronariens. « La consommation de boissons sucrées a été associée de manière répétée à la prise de poids et au diabète de type 2 », notent les auteurs. « Mais peu d'études se sont penchées sur leur relation avec les maladies cardiovasculaires incidentes. »
Il s'agissait deuxièmement d'approfondir la question du mécanisme de cette association. Bien sûr, là où l'on promeut l'obésité et le diabète, on attend des maladies cardiovasculaires. Le mécanisme pourrait toutefois être plus complexe, puisque, comme le soulignent les auteurs, « dans une analyse de la Nurses' Health Study, la consommation de boissons sucrées restait associée aux évènements coronaires même après ajustement pour ces facteurs ».
Enfin, il s'agissait troisièmement de préciser l'effet des boissons « diet », non sucrées mais adoucies par des édulcorants. « Certaines cohortes prospectives ont en effet associé la consommation de ces boissons à des troubles cardiométaboliques », rappellent les auteurs [2].
22 ans de suivi
La Health Professionnals Follow-up Study fait partie de ces grandes cohortes prospectives américaines, suivies durant des décennies. Par rapport à la Nurses' Health Study (n=88 520 ; 24 ans de suivi), elle est un peu la réponse du berger à la bergère : là encore, les sujets recrutés étaient tous des professionnels de santé non médecins, quoique le spectre soit plus large (dentistes, pharmaciens, opticiens, podologues, ostéopathes, vétérinaires), mais il s'agit cette fois exclusivement d'hommes, plus de 51 000 au total, recrutés à partir de 1986, dans une tranche d'âge comprise entre 45 et 75 ans.
Autre point commun avec la Nurses' Health Study : la population recrutées essentiellement (97%) blanche d'origine européenne.
L'analyse des effets des boissons sucrées a été menée chez 42 883 participants, après exclusion des sujets présentant des antécédents de diabète, de maladie cardiovasculaire ou de cancer lors du recrutement. Ces participants ont été suivis tous les deux ans par l'intermédiaire d'un questionnaire médical, durant 22 ans (janvier 1986 - décembre 2008), lors desquels 3683 évènements coronariens ont été enregistrés (3105 dans la Nurses' Health Study).
Par ailleurs, entre 1993 et 1995, des dosages sanguins ont été effectués chez 18 225 participants, portant sur les biomarqueurs du risque CV, les cytokines pro-inflamatoires, et deux hormones impliquées dans la lipogénèse.
Cholestérol total, triglycérides, LDL, HDL, lipoprotéine a (Lp(a)), l'HbA1c, CRP ;
Interleukine-6 (IL-6), récepteurs circulants au TNF 1 et 2, protéines d'adhésion (cell adhesion molecule) ICAM-1 et VCAM-1 ;
Adiponectine et leptine.
Enfin, un questionnaire semi-quantitatif sur les habitudes alimentaires était adressé aux participants tous les quatre ans. Ce questionnaire portait notamment sur les apports quotidiens en sodas comportant des sucres ajoutés, en jus de fruits et autres limonades, et enfin, en boissons « basses calories », adoucies par un édulcorant.
On note au passage qu'une étude de validation, publiée en 1993, montre une bonne corrélation avec l'enregistrement du régime durant 7 jours pour les colas artificiellement sucrés (0,84), mais nettement moins bonne pour les boissons à base de fruit (0,40) [3].
Quand on consomme des boissons avec édulcorants, on a un objectif en tête
Initialement, les participants ont rapporté la consommation de 2,5 boissons sucrées par semaine (0,36 / jour), et de 3,4 boissons édulcorées par semaine (0,49 / jour).
Deux aspects méritent d'être relevés. D'abord, cette consommation de boissons sucrées reste très inférieure à celle de l'américain moyen (0,36 / jour vs. > 1 / jour). L'hygiène de vie relativement meilleure des professionnels de santé se fait ici sentir. On note qu'en 2004 les boissons sucrées représentaient 7% de l'apport calorique quotidien des américains [4].
D'autre part, il est intéressant de constater que la consommation de boissons sucrées est associée à certains facteurs de risque (tabac, faible activité physique, alimentation de mauvaise qualité, alcool), mais à des antécédents CV familiaux moins fréquents que la consommation de boissons édulcorées. Celles-ci sont, par ailleurs, davantage associées à des valeurs élevées de triglycérides, de cholestérol, et de PA, ainsi qu'à des prises de poids plus importantes juste avant l'inclusion dans l'étude, et des pertes de poids plus importantes en cours d'étude.
« Les participants semblent consommer des boissons édulcorées dans le cadre de stratégies de perte de poids, ou en réponse à un diagnostic », commentent les auteurs.
Les évènements cliniques
Les consommations de boissons sucrées et édulcorées ont été classées en quartiles. Clairement, le quartile supérieur de consommation de boissons sucrées est associé aux évènements coronaires incidents, fatals ou non. Le quartile supérieur de consommation de boissons édulcorées semble, lui, échapper à cette association dans les modèles comportant le maximum d'ajustements.
Boissons sucrées. Risque relatif [IC 95%] d'évènement coronarien en fonction du quartile, et selon différents modèles d'ajustement. Q1 |
Q2 |
Q3 |
Q4 |
P (tendance) |
|
Médiane de consommation |
0 |
2 / mois |
2 / semaine |
6,5 / semaine |
|
RR selon l'ajustement (1) |
1 |
0,99 [0,90-1,09] |
1,02 [0,93-1,12] |
1,21 [1,10-1,33] |
<0,01 |
Ajustement (2) |
1 |
1,00 [0,91-1,10] |
1,03 [0,94-1,13] |
1,18 (1,08-1,31] |
<0,01 |
Ajustement (3) |
1 |
1,03 [0,94-1,13] |
1,07 [0,97-1,18] |
1,27 [1,15-1,39] |
< 0,01 |
Ajustement (4) |
1 |
1,02 [0,91-1,11] |
1,04 [0,94-1,15] |
1,20 [1,08-1,32] |
< 0,01 |
Ajustement (5) |
1 |
1,02 [0,93-1,12] |
1,04 [0,95-1,15] |
1,20 [1,09-1,33] |
<0,01 |
Ajustement (6) |
1 |
1,03 [0,94-1,13] |
1,05 [0,95-1,15] |
1,18 [1,06-1,31] |
< 0,01 |
Q1 |
Q2 |
Q3 |
Q4 |
P (tendance) |
|
Médiane de consommation |
0 |
2 / mois |
2 / semaine |
1,1 / jour |
|
RR selon l'ajustement (1) |
1 |
0,87 0,79-0,96] |
0,92 [0,84-1,00] |
1,04 [0,96-1,15] |
0,05 |
Ajustement (2) |
1 |
0,90 [0,82-1,00] |
0,96 [0,88-1,05] |
1,10 [1,00-1,20] |
0,01 |
Ajustement (3) |
1 |
0,90 [0,81-0,99] |
0,94 [0,86-1,03] |
1,06 [0,96-1,16] |
0,06 |
Ajustement (4) |
1 |
0,92 [0,83-1,01] |
0,96 [0,88-1,05] |
1,07 [0,98-1,18] |
0,03 |
Ajustement (5) |
1 |
0,90 [0,82-1,00] |
0,93 [0,85-1,01] |
1.02 [0.93-1,12] |
0,28 |
Ajustement (6) |
1 |
0,90 [0,82-1,00] |
0,92 [0,84-1,00] |
0,98 [0,90-1,09] |
0,72 |
Dernier résultat clinique : en considérant la consommation comme une variable continue, les auteurs calculent qu'à toute boisson sucrée supplémentaire consommée par jour, est associée une augmentation du risque d'évènement coronarien comprise entre 19 et 25%.
On note que la Nurses' Health Study avait, elle, abouti au chiffre parfaitement comparable de 15% d'augmentation du risque par boisson sucrée supplémentaire (p<0,001) [5].
On note également que la consommation moyenne américaine est précisément de l'ordre de une boisson sucrée/jour.
S'agissant des boissons édulcorées, on trouve un risque d'évènement de 1,05 associé à la consommation d'une boisson par jour (p=0,05). On trouve également un signal du côté des boissons édulcorées gazeuses hors colas, avec un risque relatif de 1,20 (p< 0,01).
Les biomarqueurs
La mesure des biomarqueurs, aussi limitée soit-elle (prélèvement unique entre 1993 et 1995), va parfaitement dans le sens des conclusions cliniques.
La consommation de boissons sucrées était en effet associée à des valeurs significativement plus élevés de triglycérides, de CRP, d'IL-6, des récepteurs au TNF-1 et 2, ainsi qu'à des valeurs moins élevées de HDL, de lipoprotéine A, et de leptine (tous les p < 0,02). Aucune association significative n'a en revanche été observée pour les boissons édulcorées.
Les auteurs soulignent avoir effectué un certain nombre d'analyse de sensibilité, pour tester la robustesse de leurs résultats, sans aboutir à renverser ceux-ci. L'exclusion des évènements coronariens survenus durant les 4 premières années de suivi, c'est-à-dire l'exclusion des participants susceptibles d'avoir été recrutés alors qu'ils étaient porteurs d'une maladie infra-clinique, ne modifie pas davantage les conclusions.
Quel mécanisme pour les boissons sucrées ?
La première question soulevée par ces résultats est celle du mécanisme de l'association entre boissons sucrées et évènements coronaires. Divers travaux ont montré que la consommation de ces boissons est associée à la prise de poids, à l'IMC, au diabète. Mais après ajustement pour ces facteurs traditionnels, l'association demeure.
« Comme dans la Nurses' Health Study, nous trouvons que l'association entre consommation de boissons sucrées et évènements coronariens ne s'explique pas par les facteurs conventionnels », relèvent les auteurs. « Après ajustement pour les diagnostics de diabète, ainsi que l'hypertriglycéridémie, l'hypercholestérolémie, et une PA élevée rapportées par les patients, la relation n'est que légèrement atténuée. Ceci suggère que les boissons sucrées peuvent impacter le risque CV au-delà des facteurs de risque traditionnels. »
L'hypothèse est évidemment que les facteurs complémentaires sont d'ordre immuno-inflammatoires. « L'inflammation est un facteur-clé dans la physiopathologie des maladies CV, et pourrait représenter une voie additionnelle par laquelle les boissons sucrées peuvent moduler le risque. L'absorption de boissons sucrées pourrait stimuler une réponse inflammatoire via l'hyperglycémie, qui active la chaine de transport d'électrons, productrice de radicaux superoxide. »
Véritable absence d'effet pour les édulcorants ?
S'agissant des édulcorants, l'interprétation devient beaucoup moins nette. L'analyse en variable continue produit en effet des résultats significatifs. Malgré cela, les auteurs estiment n'avoir trouvé « aucune preuve que, globalement, les boissons édulcorées soient associées à des modifications du risque CV, ou des changements de biomarqueurs ».
Ils ajoutent que « les boissons édulcorées non gazeuses sont associées à un risque accru dans l'analyse prenant la consommation comme variable continue », mais pour ajouter que « la raison de ce risque accru n'est pas claire, en particulier parce qu'aucune association significative n'a été trouvée avec les biomarqueurs ».
Quant aux « études précédentes, qui ont trouvé des associations significatives entre les boissons édulcorées, les dysfonctions métaboliques et le diabète », les auteurs estiment que leur conclusion « sont probablement dues à des facteurs confondants et à l'effet de causalité inverse » (ce n'est pas parce que les sujets consomment des boissons édulcorées qu'ils sont à risque d'évènements, mais parce qu'ils sont à risque qu'ils consomment des boissons édulcorées). La typologie de la consommation de boissons édulcorées est effectivement en faveur de cette interprétation.
« Nos résultats soulignent la prudence nécessaire dans l'interprétation des études rapportant des associations entre les boissons «diet » et les évolutions cardiométaboliques et cardiovasculaires. » La recommandation de prudence vaut néanmoins dans les deux sens.
Au demeurant, les auteurs s'y tiennent strictement. « Ces résultats, comme ceux d'autres études observationnelles et d'autres essais, sont en faveur des recommandations visant une réduction la consommation de boissons sucrées pour prévenir les maladies CV », concluent-ils, en se gardant bien de recommander les boissons édulcorées en substitution.
La Health Professionals Follow-up Study est financée par le National Institutes of Health. L'analyse publiée dans Circulation est financée par une bourse post-doctorale du Canadian Institutes of Health Research, attribuée à Lawrence de Koning. Les auteurs ont déclaré n'avoir pas de conflit d'intérêt en rapport avec le sujet. |
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Citer cet article: Une boisson sucrée par jour augmente le risque coronarien de 20% - Medscape - 13 mars 2012.
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