Incertitudes sur le risque hémorragique des nouveaux antithrombotiques

Dr Jean-Luc Breda

5 mars 2012

Bordeaux, France - Très attendus depuis de nombreuses années, les antithrombotiques de nouvelle génération font désormais partie de notre pratique, et leur prescription devrait croître rapidement, aussi bien pour prévenir et traiter les événements thromboemboliques veineux que pour remplacer les AVK dans la fibrillation auriculaire et chez les porteurs de valves mécaniques. Les 20èmes Journées annuelles du Collège Aquitain de Médecine d'urgence ont été l'occasion pour le Dr Geneviève Freyburger (CHU Bordeaux) de faire le point sur les risques hémorragiques liés à ces nouveaux traitements [1][2].

On sait que les principaux avantages de ces nouveaux venus dans la pharmacopée, sont une absorption orale et une activité biologique stable permettant de s'affranchir de contrôles biologiques répétés. Leur action dépend en effet de leur concentration circulante, laquelle est modulée par trois facteurs facilement prévisibles : la quantité absorbée, le volume de distribution et la rapidité d'élimination.

La médaille a son revers

Rançon de leur efficacité, les nouveaux antithrombotiques n'échappent pas à de possibles complications, avec un risque hémorragique proportionnel à la concentration. Deux différences de taille existent par rapport aux familles thérapeutiques plus anciennes : l'absence de surveillance biologique de routine permettant de mesurer l'action antithrombotique réelle, et le manque d'antidote utilisable en cas d'accident majeur.

Comme le rappelle le Dr Freyburger, toute action anticoagulante obtenue par un agent pharmacologique s'accompagne d'une élévation de risque hémorragique. Selon les grandes études dont nous disposons, les taux d'évènements indésirables graves liés aux différents traitements sont les suivants.

  • Acide acétylsalicylique (ASA) : de 1,7 % à 2,5 % selon la posologie.

  • Dipyridamole et thiénopyridine : de 1% à 2%.

  • Anti Gp IIb/IIIa : jusqu'à 3,6% à 4,7%.

Mais ces taux augmentent de 40% à 50% en cas d'association d'antiplaquettaires, ce qui est le cas le plus fréquent après pose de stent coronarien par exemple.

En termes de saignements secondaires, héparine non fractionnée et HBPM font jeu égal avec un taux d'évènements indésirables majeurs variant selon les définitions et les études de 0,05% à 0,8% par jour de traitement.

Quant aux AVK, malgré des contrôles réguliers d'INR et les ajustements de posologie qui en découlent, ils demeurent la première cause d'accident iatrogène, avec environ 17 000 hospitalisations par an en France !

Des tests et des antidotes sont nécessaires

Concernant les nouveaux anticoagulants, les données analysables sont encore peu nombreuses.

On sait cependant que pour une efficacité équivalente ou supérieure dans la prévention des AVC ischémiques et des embolies systémiques, le profil de tolérance de ces nouvelles molécules semble meilleur que celui des AVK en termes de mortalité toutes causes confondues et d'AVC hémorragiques. Seuls les saignements digestifs semblent plus fréquents sous dabigatran et rivaroxaban que sous AVK.

Il est cependant prévisible qu'une mauvaise observance, certains facteurs comme le sexe, la fonction rénale et le poids pourraient, surtout avec le dabigatran, induire quelques cas de surdosage problématiques.

De plus, la banalisation de l'utilisation des nouveaux anticoagulants va certainement faire découvrir nombre d'effets inattendus ou indésirables, et la nécessité de pouvoir mesurer biologiquement le degré d'anticoagulation pourrait devenir de plus en plus pressante.

Or il n'existe pas actuellement d'examen de routine permettant de contrôler leur activité : ces nouvelles drogues modifient bien les tests de coagulation des bilans de routine (TP et TCA), mais avec une grande variabilité individuelle, ce qui les rend inutilisables pour assurer une surveillance fiable.

La seule solution est de développer des tests spécifiques mesurant les concentrations circulantes de ces antithrombotiques. De tels dosages sont actuellement disponibles 24h/24 au CHU de Bordeaux pour le dabigatran et le rivaroxaban, et un protocole de prise en charge basé sur ces mesures est même proposé en cas d'accident hémorragique grave (cf. encadré ci-dessous).

Vers une déferlante de prescriptions ?

Malgré ces incertitudes, ces nouveaux traitements commencent à être utilisés couramment.

En France, deux médicaments ont déjà obtenu leur AMM dans la prophylaxie des thromboses veineuses : le dabigatran (Pradaxa®, Boerhinger Ingelheim) et le rivaroxaban (Xarelto®, Bayer). Mais d'autres devraient rapidement suivre, en particulier l'apixaban (Eliquis®, Bristol-Myers Squibb) qui a reçu un avis favorable en commission.

Quant au marché de l'anticoagulation au long cours, nécessaire en cas de fibrillation auriculaire (plus de la moitié des prescriptions d'anticoagulants dans le monde), il s'est ouvert en Europe pour le dabigatran et le rivaroxaban en 2011…

Les praticiens peuvent donc s'attendre dès à présent à être confrontés à des complications hémorragiques liés à ces prescriptions massives…avec des moyens diagnostiques et thérapeutiques pour l'instant limités.

Conduite à tenir proposée en cas d'accident hémorragique sous anticoagulant de nouvelle génération
  1. Après identification de l'anticoagulant, confirmer le surdosage par une mesure de concentration = DOSER, si possible au pic de la courbe de distribution (2h après la prise).

  2. Situer la concentration par rapport à la concentration attendue = SURDOSAGE ?

  3. Si oui en fonction de la gravité :

  4. Arrêter ou retarder la prise suivante = ATTENDRE.

  5. Petits moyens : dialyse pour le dabigatran, charbon pour le rivaroxaban (efficace dans les 2h suivant la prise)

  6. Diluer (PDF)

  7. Grands moyens (PCC, PCCA, Novoseven®)

  8. Eviter ce qui n'est pas efficace

  9. Peser le rapport bénéfice/risque


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