Enquête américaine sur les rapports médecin patient, éthique et mensonge
Les médecins communiquent-ils de manière ouverte et honnête avec leurs patients ? C'est ce qu'ont voulu savoir des chercheurs en interrogeant près de 1900 praticiens américains. 20 février 2012Boston, Etats-Unis - Une étude américaine portant sur le respect de l'éthique médicale en matière de communication médecins/patients montre que les médecins, dans leur grande majorité, approuvent totalement le fait de devoir informer le plus complètement possible leurs patients sur les bénéfices et les risques d'une intervention et de ne jamais divulguer des informations confidentielles à des personnes non autorisées.
Malgré tout, environ un tiers du panel interrogé n'est pas en total accord avec le principe qu'un médecin ne doit jamais mentir à ses patients. Et près des deux tiers ne sont pas totalement d'accord sur le fait de dire à leurs patients quels sont leurs liens financiers avec l'industrie pharmaceutique. Mais seulement 10% des médecins reconnaissent avoir menti à un patient au cours des 12 derniers mois. Tels sont les principaux résultats d'une étude américaine publiée ce mois dans Health Affairs. [1].
Ces données et d'autres résultats similaires sur l'honnêteté des médecins « soulèvent des interrogations quant au fait que les patients ne reçoivent pas toujours des informations complètes et précises » écrivent le premier auteur, le Dr Lisa Iezzoni et ses collègues, qui présentent les données sur étude démarrée en 2009 et portant sur près de 1900 médecins.
Pour la spécialiste en éthique médicale, le Dr Linda Emmanuel de Northwestern University in Evanston, Illiois, le résultat de l'étude représente un « réveil bienvenu » pour la profession.
Cette étude « est un signe que notre culture médicale a besoin d'une pause. Nous devons agir fortement pour revenir à nos valeurs éthiques. Je pense qu'aucune situation ne justifie qu'un médecin ne dise un mensonge, commente le Dr Emanuel à l'édition internationale de Medscape. »
La peur d'être poursuivi
Publiée en 2002, la Charte du Professionnalisme Médical mise au point par plus de 100 associations, sociétés savantes et regroupements de médecins américains et européens a redéfini un certain nombre de principes éthiques pour la profession médicale (sur les discriminations, l'égal accès aux soins, etc). Lisa Iezzoni et ses collègues ont interrogé près de 1900 médecins pour évaluer à quel point la profession médicale adhérait à la Charte du Professionnalisme Médicale en s'intéressant particulièrement aux aspects d'honnêteté et d'ouverture qui prévalent en termes de communication médecins/patients.
Environ 83% des interrogés se disent complètement d'accord avec l'idée que les médecins ne devraient jamais mentir à leurs patients. Les autres sont soit un peu d'accord ou en désaccord. En ce qui concerne leur attitude réelle sur ce point, 11% des médecins interrogés ont dit qu'ils avaient menti à un patient adulte ou au tuteur d'un enfant au cours des 12 mois passés, et 55% ont reconnu avoir présenté un pronostic de façon plus positive qu'il n'était réellement.
Deux tiers des répondants au questionnaire ont convenu que les médecins doivent communiquer toutes les erreurs médicales importantes aux patients concernés. Mais dans la pratique, 20% ont indiqué qu'ils n'avaient pas divulgué une erreur médicale à un patient au cours de la dernière année par peur d'être poursuivis.
La réticence à parler aux patients au sujet des erreurs est symptomatique d'un système de responsabilité médicale qui «met les médecins dans une impasse terrible," a déclaré le Dr Emanuel. « Ce n'est pas juste une question d'éthique culturelle ou personnelle. C'est la façon dont le système est conçu. » Ce dernier a noté que la divulgation rapide et complète tend à rendre les patients moins susceptibles de poursuites judiciaires, un point souligné par les associations de patients en faveur de plus de sécurité.
Les femmes mentent moins
Dans leur article, le Dr Iezzoni et ses coauteurs présentent que l'honnêteté et l'ouverture d'esprit sont des qualités qui varient en fonction de facteurs démographiques, de spécialité, et de modes de pratique.
Les femmes et les minorités sous-représentées en médecine sont les plus susceptibles de suivre les principes édictés par la Charte. Environ 86% des femmes médecins, par exemple, sont d'accord sur le fait qu'il ne faudrait jamais mentir aux patients (versus 81% des hommes). En outre, la population féminine a été moins nombreuse à rapporter avoir dit un mensonge à un patient (8%) que son homologue masculin (13%).
Les auteurs font la supposition que, dans un domaine historiquement dominé par les hommes blancs, les femmes et les médecins issus des minorités, « peuvent se sentir plus contraints de se conformer à des standards professionnels» pour éviter toute attitude ou comportement qui mettrait leur statut en péril. Le Dr Emanuel a ajouté que la tendance des médecins de sexe féminin à avoir une pratique plus orientée sur le relationnel les rend plus aptes à écouter des patients.
Les cardiologues (96%) et les chirurgiens (94%) sont ceux qui ont déclaré avoir le moins menti à leurs patients lors de l'année écoulée, alors que les pédiatres (85%) et les psychiatres (86%) étaient les plus susceptibles d'avoir dit un mensonge. De même, les médecins exerçant dans les centres médicaux ou les universités (78,1%) étaient plus susceptibles d'acquiescer à l'impératif de divulguer les erreurs médicales graves que les médecins ayant une pratique en solo ou en duo (61%).
Plus de recherches sont nécessaires pour comprendre les raisons précises pour lesquelles les médecins ne parviennent pas à adhérer pleinement aux principes contenus dans la Charte sur le professionnalisme médical, selon les auteurs.
«Examiner les circonstances dans lesquelles les médecins trouvent justifié de ne pas se conformer pleinement avec les préceptes chartés est particulièrement important, » écrivent-ils.
L'Institute on Medicine as a Profession de l'Université de Columbia a fourni une aide financière extérieure. Les auteurs n'ont pas rapporté de lien d'intérêt. |
Cet article a été originalement publié sur Medscape.com le 8 février 2012; adapté et complété par Stéphanie Lavaud.
Citer cet article: Quid du mensonge dans la pratique médicale ? - Medscape - 22 févr 2012.
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