Une nouvelle étude impute 3000 hospitalisations et 1300 décès au Mediator

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

10 février 2012

3000 hospitalisations et 1300 les décès imputables aux valvulopathies au benfluorex

Une nouvelle étude INSERM évalue à 3000 le nombre d'hospitalisations et à 1300 le nombre de décès dus aux valvulopathies au Mediator.
10 février 2012

Villejuif, France - A l'heure où l'agenda judiciaire se précise dans l'affaire du Mediator® - le premier procès devrait se tenir du 14 mai au 6 juillet prochain - et alors que les perquisitions s'enchaînent au siège de l'Afssaps et aux domiciles de plusieurs responsables de l'Agence du médicament, une nouvelle étude, publiée dans Pharmacoepidemiology & Drug Safety, estime que le benfluorex (Mediator®, Servier) serait responsable de plus de 3000 hospitalisations et de 1300 décès dues à des valvulopathies [1]. Les hypertensions pulmonaires associées au Médiator n'ont pas été analysées dans ce travail.

Il s'agit probablement d'une, « sous-estimation » ont commenté les auteurs de l'étude, l'épidémiologiste Agnès Fournier (INSERM, CESP(*), U1018 ; Université Paris-Sud, UMRS(**) 1018, Villejuif) et le directeur de recherche Mahmoud Zureik (INSERM U700 ; Université Paris VII, Paris).

Cette étude est la première publiée dans une revue scientifique internationale. Elle conforte les données préliminaires déjà divulguées. Les deux auteurs avaient, fin 2010, avancé une fourchette de 1000 à 2000 morts.

Auparavant, l'épidémiologiste Catherine Hill (Institut Gustave Roussy, Villejuif) avait estimé le nombre de décès par Mediator® à 500 morts à minima. Les études de Catherine Hill, Agnès Fournier et Mahmoud Zureik ont été toutes été menées à la demande de l'Afssaps. Elles se sont appuyées sur les mêmes données de la Cnam mais c'est la prise en compte du long terme qui explique les différences de résultats.

« Catherine Hill a estimé le nombre de décès dans les 5 années environ suivant la prise de Mediator®. Or, le sur-risque de mortalité d'une personne atteinte de valvulopathie existe bien au-delà. Nous avons choisi de faire une estimation des décès sur le plus long terme. Finalement, les estimations de 500 à court terme et de 1000 à 2000 à plus long terme ne sont pas discordantes », a expliqué Agnès Fournier lors d'une audition au sénat en mai 2011.

Une extrapolation des données de 2006-2009 à 1976-2009

L'objectif de l'étude d'Agnès Fournier et de Mahmoud Zureik était d'estimer le nombre de décès associés aux valvulopathies induites par le benfluorex entre 1976 et 2009, période pendant laquelle le produit était disponible en France.

Pour y parvenir, les auteurs ont utilisé une base de données médico-administrative représentant 75% de la population française (Système National d'Information Interrégimes de l'Assurance Maladie, SNIIRAM) [2]. Cette dernière leur a permis d'identifier 303 336 personnes ayant reçu au moins un remboursement de benfluorex en 2006, année index, et de suivre leurs caractéristiques de consommation du benfluorex pendant 3 ans. Ont ainsi pu être calculés, le nombre de boîtes consommées par patient par mois (1,67), les durées d'utilisation du produit et le nombre d'hospitalisations pour des valvulopathies (n=597) entre 2006 et 2009. En tout, au cours du suivi, 10 317 567 boites de benfluorex ont été remboursées aux 303 336 consommateurs de benfluorex.

Les chercheurs se sont également appuyés sur une étude qui a montré que le risque relatif d'hospitalisation pour valvulopathie en 2007 et 2008 était de 3,1 chez des patients diabétiques qui avaient obtenu au moins un remboursement de benfluorex en 2006 comparé à ceux qui n'en avaient pas reçu [3].

L'ensemble de ces données a permis aux auteurs d'extrapoler le nombre d'hospitalisations pour valvulopathies au benfluorex entre 2006 et 2009 chez ces 303 336 consommateurs, à l'ensemble des utilisateurs de benfluorex entre 1976 et 2009. Ils en ont déduit le nombre de décès imputables au produit.

Le souci de ne pas sur-évaluer les risques

Les auteurs ont posé comme postulat que le risque de valvulopathie n'augmentait qu'à partir de la consommation d'un certain nombre de boites de benfluorex : « Nous manquions de données sur une possible augmentation du risque valvulaire pour les courtes durées d'utilisation. Nous avons donc assumé qu'il n'y avait pas d'excès de risque en dessous d'un certain nombre de boites consommées. Nous avons fixé ce minimum au nombre moyen de boîtes consommées avant le début du suivi (2006). »

Pour faire ce calcul, Mahmoud Zureik et Agnès Fournier ont estimé que 135 000 des 303 336 individus utilisaient déjà du benfluorex avant 2006, et qu'ils avaient consommé approximativement 9 millions de boîtes de benfluorex. Il en résulte que le nombre moyen de boites de benfluorex qui avait été consommées par chacune de ces 303 336 personnes avant 2006, était de 30 (ce qui correspond à 1,5 ans d'utilisation d'1,67 boites par mois en moyenne).

Au total, les 303 336 individus avaient donc déjà consommé 30 boites chacun en moyenne avant 2006 et ont consommé 10 317 567 boites en plus entre 2006 à 2009. C'est cet excédent de 10 317 567 boites qui a été considéré comme « à risque ».

En parallèle, sur les 145 millions de boites de benfluorex vendues entre 1976 et 2009 (données Servier), les auteurs ont calculé que 78 300 000 correspondaient à la 31ème boite et au-delà par patient. L'excès de risque d'hospitalisation entre 1976 et 2009 portait donc sur ce nombre de boîtes.

Par déduction, si les 10 317 567 boites consommées entre 2006 et 2009 étaient responsables des 597 hospitalisations pour une valvulopathie au cours de cette même période, les 78 300 000 boîtes « à risque » consommées entre 1976 et 2009 correspondait à un nombre d'hospitalisations pour valvulopathie de 4531.

Estimant ensuite que le risque relatif d'hospitalisation pour valvulopathie induite par le benfluorex était de 3,1 [3], les auteurs ont pu calculer que 3069 des 4531 hospitalisations pour valvulopathies entre 1976 et 2009 étaient induites par le benfluorex.

Enfin, considérant que 43% des patients atteints d'une valvulopathie sévère ou modérée décédaient prématurément des conséquences de la maladie [4], ils ont conclu que 1320 décès étaient imputables aux valvulopathies induites par le benfluorex entre 1976 et 2009.

Un risque sous-estimé ?

D'après les auteurs, les données sont probablement sous-estimées, principalement du fait que leurs calculs n'ont pas pris en compte les valvulopathies chez les individus qui ont consommé moins de 30 boites de benfluorex.

« Ceci nous a conduit à considérer que près de la moitié des boites de benfluorex vendues en France n'augmentaient pas le risque de valvulopathies, alors que des durées d'exposition relativement courtes pourraient aussi induire des valvulopathies comme l'ont suggéré des études sur d'autres dérivés de la norfenfluramine [5] [,] [6] », ont souligné les scientifiques.

Comme autres facteurs possibles de sous-estimation du risque imputable au benflorex, Mahmoud Zureik et Agnès Fournier ont noté que :

- leurs calculs ne prenaient pas en compte les décès qui étaient survenus sans hospitalisation préalable ;

- l'étude qui montre un risque relatif de 3,1 chez les diabétiques a considéré comme « non exposés » les patients qui avaient reçu du benfluorex avant 2006 ;

- le risque de mortalité chez les consommateurs de benfluorex hospitalisés pour valvulopathie est peut-être plus élevé que celui qu'ils ont retenu.

Parallèlement, selon le Pr Jean Acar, ancien chef de service de l'hôpital Tenon et expert international des valvulopathies qui a émis plusieurs critiques sur la méthodologie des études de Catherine Hill, Agnès Fournier et Mahmoud Zureik, il est probable que la population exposée a été largement supérieure aux estimations, du fait de l'ampleur des ventes hors AMM et des marchés parallèles.

En revanche, le fait que certaines lésions puissent éventuellement régresser pourrait être un facteur de sur-estimation du risque de décès imputables au benfluorex.

Une des limites importantes de l'étude serait l'extrapolation à la population générale du risque relatif d'hospitalisations pour valvulopathies induites par le benfluorex chez des diabétiques de 40 à 69 ans. Ce postulat a notamment été critiqué par le Pr Acar.

Toutefois, les auteurs ont indiqué que dans une étude de Koening D et coll. la prévalence des valvulopathies mitrales et aortiques possiblement liées au benfluorex était similaire chez les diabétiques et les non-diabétiques (23,5% vs 21,7% (p=0,36) [7].

La guerre des chiffres : le Pr Acar critique les estimations

Dès la divulgation des résultats des études commanditées par l'Afssaps, le Pr Acar a exprimé un profond scepticisme vis-à-vis des méthodologies employées et des chiffres de mortalité calculés par extrapolations, lançant ainsi une controverse sur le degré de dangerosité du benfluorex.

Lors de son audition au Sénat, le 17 mai 2011, il a souligné que les critères utilisés pour définir la maladie valvulaire de régurgitation (PMSI) lui paraissaient « très incomplets et sources d'erreurs », allant probablement dans le sens d'une sur-estimation. Il a d'ailleurs regretté qu'aucun cardiologue ne figure parmi les signataires des études de la Cnam sur lesquels ont reposé les calculs.

Ce à quoi Agnès Fournier a répondu que le fait que le PMSI ne repose pas sur des codes très détaillés n'avait pas empêché de comptabiliser les cas en excès attribuables au Mediator® : « Certaines des pathologies polyvalvulaires ont effectivement été identifiées au moyen d'un code susceptible de déceler à la fois les rétrécissements et les insuffisances [et pas uniquement des insuffisances]. Il concerne cependant assez peu de patients. Selon nous, son incidence sur les estimations est extrêmement marginale. »

Autre critique méthodologique formulée par le spécialiste des valvulopathies, le fait que certains facteurs confondants n'aient pas été analysés dans l'étude chez les diabétiques exposés et non exposés au benfluorex [3]. Parmi ces facteurs, on trouve notamment l'hypertension artérielle, « très fréquente sur ces terrains et qui peut favoriser les régurgitations valvulaires voire même causer les régurgitations valvulaires dans certains cas. » On trouve également l'indice de masse corporelle.

En réponse, les deux chercheurs ont signalé que la méthode employée par les épidémiologistes de la Cnam pour pointer le sur-risque de valvulopathie chez les personnes diabétiques ayant pris du Mediator®, ne leur paraissait pas problématique. « Ils ont d'abord limité leurs analyses à des diabétiques d'un certain âge. Ils ont ensuite scrupuleusement intégré les affections de longue durée cardio-vasculaires (ALD), ainsi que l'âge et le sexe des patients. Il est vrai qu'ils n'ont en revanche pas intégré l'indice de masse corporelle…Dans la mesure où il ne constitue pas un facteur de formation des valvulopathies, son intégration n'aurait cependant rien changé », a indiqué M. Zureik.

Le cardiologue et les épidémiologistes s'accordent tout de même sur un point : « le caractère potentiellement pathogène, pour les valves cardiaques comme pour le réseau pulmonaire, du principe actif du Mediator®, le benfluorex » !


Les auteurs de l'étude n'ont pas déclaré de liens d'intérêts en rapport avec cette publication.
Lors de son audition au Sénat le 17 mai 2011, le Pr Jean Acar a déclaré n'avoir pas de lien d'intérêt en rapport avec le sujet.

(*) CESP :Centre de recherche en Epidémiologie et Santé des Populations

(**) UMRS : Unité Mixte de Recherche en Santé

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