Le DSM5 pourrait abolir de sa classification la démence et insister sur la dépression
Les géronto-psychiatres s'interrogent sur les fondements de leur spécialité. Si la dépression reste essentielle, la notion de démence pourrait être reformulée. 1er février 2012Paris, France — La géronto-psychiatrie sort du cercle intime où elle était cantonnée. Elle devient un sujet de préoccupation des gériatres et des psychiatres comme en témoigne la session sur « Le sujet âgé : apathie, dépression, glissement… » qui a été très suivie à l'occasion du 10e congrès de l'Encéphale[1].
Les affections psychiatriques ou pseudo-psychiatrique des personnes âgées, après avoir été l'objet d'intenses recherches bio-médicales, questionnent aujourd'hui sur le vieillissement normal et pathologique dans notre société. Certaines notions - pseudo-démence, syndrome de glissement - voient leur importance minimisée au profit de véritables dépressions atypiques du sujet âgé. Et la notion même de démence ou de maladie d'Alzheimer pourrait être remise en question.
Des dépressifs mal diagnostiqués
« Au moins 10 % des personnes âgées consultant dans un centre de soins primaires souffrent d'un syndrome dépressif majeur ou mineur », annonce d'emblée le Dr Jérôme Pellerin (hôpital Charles Foix, Ivry-sur-Seine) [2]. « Le pronostic de cette affection doit être considéré comme sévère puisque la dépression majore la mortalité, que le retentissement fonctionnel associé peut être important et qu'elle induit des problèmes institutionnels (orientation des personnes, inquiétude des personnels) ».
En raison des complications de cette affection, il est souhaitable de mettre en œuvre des stratégies de prévention. Elles peuvent être proposées à des populations à risque qui souffrent de déficit fonctionnel, d'isolement, en cas de niveau scolaire faible, ou lorsqu'il existe des problèmes somatiques concomitants ou des antécédents dépressifs prouvés.
L'autre population qui peut bénéficier de stratégies de prévention est celle des personnes qui souffrent de dépression associée à une altération fonctionnelle, de troubles du sommeil (insomnie, sommeil diurne excessif) ou de crises familiales (deuil, séparation, éloignement, institutionnalisation).
Restaurer quelque chose à perdre
« Le diagnostic de dépression est parfois difficile à poser chez les personnes âgées en raison de formes atypiques plus fréquentes à cet âge. Il faut savoir rechercher l'altération du retentissement fonctionnel d'affections organiques sur la vie quotidienne, et il faut aussi prendre en compte un éventuel dysfonctionnement exécutif des tâches quotidiennes avec une difficulté à s'organiser et à se suffire dans les tâches de la vie quotidienne. Globalement, avec le vieillissement, on voit que les déprimés sont ceux qui n'ont plus rien à prendre, qui ne peuvent même plus faire leur travail de vieillir. Ils ne s'intéressent même plus à leurs pertes et n'ont parfois même plus de représentation de leur schéma corporel. C'est pour ces raisons que l'une des voies de prise en charge vise à restaurer chez ces personnes quelque chose à perdre », conclut le Dr Pellerin.
La démence bannie du DSM5
Outre la dépression, la démence ou maladie d'Alzheimer reste le diagnostic psychiatrique le plus souvent posé au grand-âge. « Mais le cadre nosologique des affections psychiatriques ou pseudo-psychiatriques des personnes âgées pourrait être remis en question dans les mois qui viennent. Les experts du DSM5 questionnent désormais la définition même de la démence et proposent de lui préférer les termes de mild cognitive impairment et major cognitive impairment », analyse le Dr Thierry Gallarda (hôpital Sainte-Anne, Paris) [3].
« Il faut dire qu'après plus de 15 années de recherche clinique et fondamentale sur la démence et avec la multiplication des consultations spécifiques mémoire, il apparaît que cette notion est loin de définir une entité spécifique. Différents facteurs semblent en effet intriqués dans le développement de la maladie: vasculaires, protéine tau, cardiaques, dépôts amyloïdes… En outre, le message s'est encore brouillé récemment avec la multiplication de nouveaux tests qui pourraient permettre de prédire, de diagnostiquer voire de sélectionner des traitements : tests neuro-psy, imagerie, IRM, dosages dans le LCR. Or, comme le constate l'équipe américaine de McKhann dans une publication récente [4], le nombre des nouvelles pistes étiologiques et des nouvelles approches de diagnostic augmente, mais l'arsenal thérapeutique reste très restreint et peu efficace. Dans ces conditions, est-il nécessaire de diffuser ces pratiques nouvelles et coûteuses qui n'apportent rien pour l'instant aux patients et aux familles ? ».
Vieillissement pathologique ou démence ?
Pour le Dr Gallarda, « les avancées formidables des neurosciences ont progressivement ancré la démence et la maladie d'Alzheimer dans un modèle biomédical dans lequel prévaut le cognitif. Mais au cours de la démence, une question centrale demeure, celle du vacillement progressif des assises identitaires voire du « délitement de soi ». Mais la démence se joue des frontières des spécialités et questionne directement les limites du modèle biomédical du vieillissement pathologique dans notre société ».
Citer cet article: La géronto-psychiatrie aux limites du normal et du pathologique - Medscape - 1er févr 2012.
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