Paris, France — Au moment où un chercheur américain, le Dr Dipak Das(*), a été contraint de reconnaitre des fraudes dans les résultats de ses recherches sur les vertus du vin rouge, le Pr Jean Ferrières (CHU de Toulouse) présentait une session intitulée « Le vin diminue-t-il vraiment la mortalité cardio-vasculaire ? », à l'occasion des XXIIèmes journées européennes de la Société Française de Cardiologie [1]. Pour heartwire, il fait de point sur la notion de « french paradox » et sur les 6 000 publications qui étayent le lien entre vin rouge et protection cardio-vasculaire.
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Pr Jean Ferrières |
Pr Jean Ferrieres — Depuis 25 ans, différentes équipes dont la nôtre, sont à la recherche des causes de la moindre incidence des infarctus du myocarde dans le sud de l'Europe (France, Espagne, Italie…). Dès le début de ces recherches, nous avons intégré la possible influence du vin dans cette protection, tout comme celle de la consommation de fruits et légumes frais produits localement. Ces travaux étaient fondés sur une analyse des comportements alimentaires spécifiques du sud de l'Europe. En se basant sur cette analyse, on peut dire que le vin s'intègre dans cette protection relative vis-à-vis de l'infarctus. Il ne faut bien sûr pas considérer le vin isolément comme un médicament ou comme un agent thérapeutique idéal, mais le repositionner dans des habitudes alimentaires particulières.
Quels sont les fondements scientifiques de la notion de french paradox ?
Pr JF : C'est l'équipe du Dr Pierre Ducimetière (Hôpital Broussais, Paris) et en particulier le Dr Jacques Richard qui, au cours des publications de l'étude MONICA, avait proposé le concept de french paradox pour la première fois. Mais il faut aussi rendre hommage à l'équipe anglo-saxonne de Hugh Tunstall-Pedoe qui dès 1988 avait déjà mentionné cette particularité et avait intitulé sa revue « Autres pays, autres mœurs » [2].
Tout avait déjà été dit à l'époque, même si désormais on sait que le vin à lui seul n'est pas l'explication de ces différences épidémiologiques. Il s'agit plus de ce qui a été désigné plus tard sous le terme « régime méditerranéen » qui favorise, outre le vin en petites quantités, les fruits et légumes frais locaux et une moindre consommation de viande.
Qu'est ce qui a incité les chercheurs à s'intéresser au vin plutôt qu'à d'autres constituants du régime méditerranéen ?
Pr JF : Les chercheurs se sont très rapidement intéressés au vin puisqu'une de ses particularités est d'augmenter le HDL cholestérol par le biais de l'éthanol. Or il s'agit d'un des facteurs protecteurs principaux du risque cardio-vasculaire. Ils ont aussi suivi d'autres pistes dès les années 1990 car, in vitro, le vin est doté d'un pouvoir anti-oxydant vis à vis des LDL, donc anti-athérogène et ce pouvoir n'est pas lié à l'éthanol. C'est de cette façon qu'ils se sont mis à travailler sur les polyphénols. Aujourd'hui, on sait que ces substances sont anti-oxydantes mais aussi anti-apoptotiques, anti-prolifératives, anti-inflammatoires et anticoagulantes.
Le vin aurait donc un effet direct sur le HDL cholestérol lié à l'éthanol et différents effets protecteurs par le biais des polyphénols.
Après une phase initiale épidémiologique qui avait simplement constaté un lien entre vin et protection cardio-vasculaire, le vin a fait l'objet d'un certain engouement. La finalité était de rechercher parmi les substances constituantes du vin l'élément protecteur afin de le proposer sous sa forme chimique comme agent protecteur cardio-vasculaire. Et c'est peut-être de cette dérive que sont venus les problèmes. Il ne faut pas oublier que le facteur protecteur n'est pas unique, et la fréquence, la composition et la qualité des repas influent aussi.
Que vous évoquent l'actualité concernant le Dr Dipak Das, qui se serait rendu coupable de fraudes dans ses publications sur le resvératrol ?
Pr JF : La course à l'identification du polyphénol de référence est une fausse piste. La protection cardio-vasculaire vient de la nutrition globale, de l'exercice physique, des conditions de vie et - un peu - à l'alcool dont les modalités de consommations doivent aussi être particulières : boissons régulières en faible quantité en évitant les consommations massives du week-end qui, elles sont délétères en induisant une hypertension artérielle voire des accidents cardiaques le lundi.
Cette polémique qui a eu lieu aux Etats-Unis en raison des fraudes du Dr Das dans ses publications, ne remet pas en cause l'ensemble de la recherche sur le vin. Il existe plus de 6000 publications sur les effets des polyphénols sur les cellules animales et humaines. Mais ce qu'on sait, c'est qu'on trouve des polyphénols aussi bien dans le vin que dans les fruits et légumes frais qui n'ont pas subi de transport. Imaginer commercialiser un polyphénol protecteur universel des affections cardio-vasculaires est à mon avis illusoire.
Comment imaginez-vous l'avenir de vos recherches ?
Pr JF : La prochaine étape que nous envisageons sera de montrer que les comportements associés à la consommation de vin protègent contre l'infarctus du myocarde mais aussi contre la mortalité. De nouvelles données en ce sens devaient être rapidement publiées.
(*) A la mi-janvier 2012, le Dr Dipak Das a été renvoyé de l'Université du Connecticut où il travaillait depuis 1984. La raison : 145 preuves d'invention ou de falsifications de données dans ses travaux concernant le resvératrol, un polyphénol dérivé du vin rouge et doté de propriétés anti-oxydantes.
Le Pr Jean Ferrières déclare ne pas avoir de conflits d'intérêt sur ce sujet. |
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Citer cet article: Le « french paradox », conséquence d'un comportement global et non seulement du vin rouge - Medscape - 30 janv 2012.
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