Boston, Etats-Unis - Grâce à ses propriétés pharmacologiques, le cangrelor, premier antagoniste injectable des récepteurs P2Y12 plaquettaires, pourrait trouver une indication privilégiée en relai des antiagrégants oraux chez les sujets devant subir une intervention cardiaque : les patients ne cessent d'être protégés sans pour autant voir leur risque hémorragique augmenter. C'est du moins ce que tente de démontrer l'étude BRIDGE dont les résultats viennent d'être publiés dans le Journal de l'American Medical Association [1].
Ce travail se fixait pour objectif de combler un vide de taille : l'absence de stratégie clairement définie lorsqu'une intervention est programmée chez des patients relevant d'une anti agrégation continue, pour limiter les hémorragies péri-opératoires, sans pour autant les exposer à un sur-risque d'accidents thromboemboliques. Les cardiologues sont pourtant de plus en plus confrontés à ce problème dans leur pratique quotidienne, avec notamment la multiplication des sujets porteurs de stent actif.
Pas de stratégie validée
Différentes approches empiriques existent, imposant généralement une interruption des antiagrégants pendant 5 à 7 jours, le relai étant pris le plus souvent par héparine ou l'un de ses dérivés, ou plus rarement par un inhibiteur des glycoproteines IIb/IIIa. Pour autant, on sait que les anticoagulants injectables ne permettent pas de réduire l'incidence des thromboses de stent et peuvent même stimuler la réactivité plaquettaire. Quant aux molécules inhibitrices des GP IIb/IIIa, elles souffrent d'une demi-vie relativement longue, leur effet persistant 4 à 6 heures après arrêt de leur injection.
« Or les principales caractéristiques pharmacodynamiques du cangrelor sont justement un délai d'action et une réversibilité quasi immédiats, de l'ordre d'une heure. Cette propriété est donc particulièrement intéressante puisqu'elle permet une anti-agrégation à la carte, pouvant être interrompue quelques dizaines de minutes à peine avant l'incision » déclare le Pr Dominick J. Angiolillo (Jacksonville, Floride), principal investigateur de BRIDGE.
Ce travail comportait deux phases.
La première conduite de façon ouverte de janvier à août 2009 sur 11 sujets, consistait à trouver la posologie optimale permettant une anti-agrégation efficace mesurée biologiquement par le test VerifyNow®. Cette dose fut estimée à 0,75 ìg/kg par minute.
La seconde, multicentrique, a été menée prospectivement en double aveugle entre octobre 2009 et avril 2011. Elle a incorporé initialement 210 patients souffrant de syndrome coronarien aigu (SCA) ou porteurs d'un stent, tous en attente d'un pontage coronarien et traités par une thiénopyridine. Ce traitement oral était interrompu quelques jours avant l'opération, et après randomisation, les sujets se voyaient administrer soit du cangrelor (n=106), soit un placebo (n=104) pendant une durée d'au moins 48 heures. L'injection continue était stoppée de 1 à 6 heures avant le début de la chirurgie.
Le premier critère d'évaluation de l'efficacité était une réactivité plaquettaire inférieure à 240 unités PRUs (P2Y12 reaction units) vérifiée quotidiennement.
Le critère d'évaluation de sécurité était la constatation de saignements anormaux (évalués par la nécessité de ré-intervenir en raison d'une hémorragie, l'évacuation d'une quantité de sang supérieure à 1,5 L dans les redons thoraciques, ou la perfusion de plus de 4 unités d'hématies).
Une perte d'effectif préjudiciable
Au cours de l'expérimentation, l'échantillon étudié fut réduit en raison d'une part d'erreurs de manipulations (un traitement par cangrelor et deux par placebo n'ont pas été administrés, un témoin s'est vu attribuer un traitement actif, les mesures biologiques ont été inexploitables pour 9 sujets traités et 6 témoins), et d'autre part parce que le comité d'éthique a, curieusement, demandé la levée de l'anonymat pour vérifier l'effet biologique chez les 24 premiers sujets inclus (12 de chaque groupe). Ces derniers ont donc été retirés de l'analyse du critère efficacité, mais conservés pour l'évaluation des effets secondaires.
Comme on pouvait s'y attendre, une différence significative de l'activité plaquettaire apparaît dans les deux bras de l'étude. Elle est inférieure au seuil des 240 PRUs pour 83 des 84 patients traités exploitables (98,8%), contre seulement 16 des 84 témoins (19,0%).
Des saignements « excessifs » entourant le geste chirurgical sont relevés chez 11,8% des patients sous cangrelor (12 sur 102) contre 10,4% (10 sur 96) avec le placebo, ce qui n'apparait donc pas statistiquement significatif (p=0,763). Il semble cependant exister, avant l'opération, un taux d'évènement hémorragiques mineurs un peu supérieur sous traitement.
« Il apparaît donc que dans la population à risque étudiée, l'arrêt de la thiénopyridine avec relai par cangrelor est efficace en terme d'anti-agrégation sans pour autant avoir des conséquence hémorragiques notables. Il est rassurant de constater que lors du dernier contrôle biologique réalisé quelques heures après l'arrêt de la perfusion et juste avant l'incision, l'activité plaquettaire des sujets traités redevient strictement comparable à celle du groupe témoin », conclut le Pr Angiolillo
Pas de preuve formelle
Ces propos semblent cependant devoir être tempérés, car le travail présenté n'échappe pas à un certain nombre de critiques.
En premier lieu, il ne porte que sur un facteur d'efficacité biologique. Même si les auteurs se permettent de calculer une réduction de risque relatif de voir survenir un évènement thromboembolique clinique, aucun argument observable ne permet de confirmer cette thèse.
En second lieu, il manque singulièrement de puissance statistique. En se basant sur l'hypothèse initiale avancée par les chercheurs eux-mêmes, un échantillon minimal de 106 patients dans chaque bras aurait été nécessaire pour mettre en évidence une différence d'efficacité avec une puissance de 90%. Avec seulement 84 sujets exploitables dans chaque groupe, la marge d'erreur est grande. De même, si les taux d'accidents hémorragiques, très proches dans les deux groupes, semblent rassurants, la preuve statistique que le cangrelor n'augmente pas ce risque n'est pas apportée.
Enfin BRIDGE n'a incorporé que des patients relevant d'une intervention cardiaque, et ses résultats ne sont pas forcément transposables à des actes chirurgicaux orthopédiques ou gastro-intestinaux qui présentent chacun des risques de thrombose et d'hémorragies qui leur sont propres.
Or c'est bien à des patients sous antiagrégants et devant subir ces types de chirurgie que notre quotidien est le plus souvent confrontée.
L'étude BRIDGE a été financée par The Medicines Company, et par une bourse du National Institutes of Health-National Center for Research Resources Clinical and Translational Science. |
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Citer cet article: lntérêt du cangrelor en relai préopératoire d'une thiénopyridine ? - Medscape - 25 janv 2012.
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