Reconnaître une tumeur de vessie comme maladie professionnelle, AFU 2011
Une grande partie des cancers de vessie d'origine professionnelle ne sont pas reconnus et déclarés comme tels. Un éclairage du Dr Laurent Guy. 23 novembre 2011Paris, France - En séance plénière de la 105ème édition du congrès de l'Association française d'urologie (AFU), le Dr Laurent Guy chirurgien urologue au CHRU de Clermont Ferrand a rappelé l'importance des expositions professionnelles dans la survenue du cancer de la vessie. Il a insisté sur la nécessité de mieux repérer ce type de tumeurs et de les déclarer comme maladies professionnelles [1].
« Il existe un sous-repérage des tumeurs de la vessie reconnues professionnelles car elles apparaissent de nombreuses années après l'exposition initiale, souvent lorsque les patients sont à la retraite. En outre, ces tumeurs ne présentent pas de spécificité par rapport à un cancer de la vessie dû au tabac », a indiqué Laurent Guy.
La tumeur de vessie correspond à la 7ième cause de cancer en France avec une incidence estimée de l'ordre de 10 000 cas par an. La vessie est la deuxième localisation de cancers d'origine professionnelle après le poumon.
La relation entre élément professionnel et tumeur de vessie est connue depuis plus de deux cent ans. Dès 1775, Percival Poh a mis en évidence l'existence de tumeurs du scrotum induites par la suie chez des enfants travaillant comme ramoneurs dans la capitale londonienne. Un peu plus d'un siècle plus tard, en 1895, Ludwig Rehn, a publié les trois premiers cas de cancer de la vessie chez des ouvriers de l'industrie des colorants.
D'après la littérature, la fraction des cancers de vessie attribuable à des expositions professionnelles est très variable d'une publication à l'autre, de 5 à 25% chez l'homme. En 2001, l' Institut national de veille sanitaire (InVS) a retrouvé des étiologies professionnelles dans 8 à 14 % des cas incidents de cancers de vessie conduisant à des décès pour 10 à 14 % d'entre eux.
Les facteurs de risque de cancers de la vessie
Les agents carcinogènes incriminés dans le développement des tumeurs de vessie sont les amines aromatiques comme la naphtylamine, la benzidine, ou le 4-aminobiphényl (classés dans le groupe 1 des cancérogènes « certains » du Centre International de Recherche sur le Cancer) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (qui sont plusieurs centaines). Les professions exposées sont en rapport avec :
- l'industrie de production des colorants;
- l'industrie textile;
- l'industrie de synthèse chimique et pharmaceutique;
- l'industrie du caoutchouc;
- la fabrication des câbles;
- la distillation du charbon;
- les fonderies de fonte et d'acier;
- le ramonage et l'entretien de chaudières;
- la fabrication d'aluminium;
- l'asphaltage.
« Si vous avez un patient qui a une tumeur de la vessie et qui travaille dans l'un de ces secteurs de l'industrie, il faudra penser à une probable maladie professionnelle », a insisté Laurent Guy.
Les données concernant d'autres agents carcinogènes comme les nitrosamines, le trichloréthylène, ou le perchloréthylène sont encore insuffisantes et parfois discordantes.
Une susceptibilité génétique
A côté des facteurs de risque connus des cancers de la vessie, comme les expositions chimiques professionnelles, une susceptibilité individuelle est évoquée. Les carcinogènes subissent des biotransformations en deux phases, la phase d'oxydation réalisée par des enzymes représentées essentiellement par les mono-oxygénases cytochromes P450 dépendantes (CYP), et la phase de détoxification qui implique deux autres catégories d'enzymes, les glutathion S-transférases (GST) et les arylamine N-acétyltransférases (NAT).
Les individus acétylateurs lents (polymorphisme génétique NAT2) ont un risque accru de développement de tumeur de vessie, car leur capacité de détoxication est altérée. Parallèlement, la glutathion-S-transférase M1 détoxifie certains cancérogènes comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques en les conjuguant au glutathion. Un génotype homozygote déficient pour cette enzyme serait aussi associé à un risque accru de tumeurs de vessie (polymorphisme GSTM1).
Comment reconnaître une tumeur de la vessie comme maladie professionnelle ?
« Il existe une sous-déclaration des tumeurs de la vessie d'origine professionnelle due à la méconnaissance par les salariés d'une exposition passée, et à une prise en compte insuffisante par les médecins des étiologies professionnelles. Aussi, le tabac constitue souvent un facteur majeur confondant. Enfin, il existe une sous-réparation due aux limites liées aux tableaux de reconnaissance de maladies professionnelles et aux difficultés pour évaluer les expositions passées », a souligné l'orateur.
Pourtant, la déclaration du cancer de la vessie comme maladie professionnelle permet une prise en charge à 100% des frais résultants de la maladie professionnelle (consultations, examens médicaux complémentaires, hospitalisations, frais de transport). Elle ouvre aussi la voie à une pension qui est fonction du degré d'incapacité de la victime.
En France, deux tableaux de maladies professionnelles permettent la réparation des cancers de vessie en maladie professionnelle dans le cadre du régime général de la Sécurité Sociale : le tableau 15ter (amines aromatiques) et le tableau 16bis (hydrocarbures aromatiques polycycliques).
La CNAMTS a informé, en juin 2011, que le tableau 15ter était en cours de révision. L'objectif est de revoir le tableau en actualisant les libellés médicaux et les substances reconnues cancérogènes pour la vessie.
L'interrogatoire, les questionnaires existants et si besoin l'expertise d'un médecin du travail peuvent aider le médecin à identifier une cause professionnelle probable à un cancer de la vessie.
Face à un cancer de la vessie, le médecin doit systématiquement rechercher si le patient a été exposé à des carcinogènes au cours de sa carrière professionnelle. Et le cas échéant, il est important qu'il tente d'apprécier le temps d'exposition car les tableaux de reconnaissance des maladies professionnelles font référence à un temps minimal d'exposition.
Des questionnaires détaillant les différentes situations professionnelles dont l'objectif est d'éviter que de nombreuses tumeurs de vessie échappent à la classification sont disponibles. « Aucun n'est encore validé. Nous utilisons un questionnaire simplifié qui a été proposé par l'équipe de Rouen et qui est aussi utilisé par les nantais. Ce questionnaire est composé de 25 questions et pour chaque question il y a trois possibilités de réponses « oui », « non », « ne sait pas », a précisé Laurent Guy.
Télécharger le questionnaire
En pratique, la déclaration de la maladie professionnelle doit être faite par la victime (formulaire 60-3950). Le formulaire doit être accompagné d'un certificat médical descriptif initial qui peut être fait par n'importe quel médecin et qui est envoyé à la CNAMTS. Suite à cet envoi, la caisse ouvre une enquête administrative et une enquête médicale. Elle informe l'employeur et l'inspecteur du travail. Si certaines des conditions en rapport avec les deux tableaux de reconnaissance de maladies professionnelles vésicales ne sont pas remplies, le dossier est présenté au Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) qui siège au niveau de chaque RAM. Ce comité, composé de trois membres, le médecin conseil régional de sécurité sociale, le médecin inspecteur du travail régional et un praticien qualifié en maladies professionnelles rend la décision finale.
Pour pallier l'absence de dépistage systématique du cancer de la vessie en maladie professionnelle, la Société Française de Médecine du Travail (SFMT), en partenariat avec l'AFU et l'INCa, finalise actuellement des recommandations qui seront diffusées début 2012.
Citer cet article: Sous-repérage des cancers de la vessie d'origine professionnelle - Medscape - 23 nov 2011.
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