ATLAS ouvre la voie à une anticoagulation à très faible dose après SCA

Vincent Bargoin

13 novembre 2011

Orlando, Etats-Unis - Début octobre, Bayer avait fait savoir que dans l'étude ATLAS ACS-TIMI 51 (Anti-Xa Therapy to Lower Cardiovascular Events in Addition to Standard therapy in Subjects with Acute Coronary Syndrome-Thrombolysis in Myocardial Infarction), le rivaroxaban réduisait les évènements ischémique et augmentait les saignements.

Dr C. Michael Gibson

Les résultats complets de l'étude viennent d'être présentée par le Dr C. Michael Gibson
(Boston) au congrès de l'American Heart Association 2011, et publiés simultanément dans le New England Journal of Medicine
[1] [2]
. Ils montrent que le rivaroxaban à faible ou très faible dose, ajouté au traitement standard, réduit le risque combiné de décès cardiovasculaire, d'IDM ou d'AVC après SCA. Ce bénéfice s'accompagne d'une augmentation des saignements, mais pas des saignements fatals. Enfin, la plus faible dose (2 x 2,5 mg/j) est associée à une réduction de la mortalité toutes causes confondues. « L'étude montre le bénéfice de l'adjonction d'une très faible dose de rivaroxaban à la bithérapie antiplaquettaire », a souligné le Dr Gibson dans sa présentation.

Dr Paul W. Armstrong

Pour le Dr Paul W. Armstrong
(Edmonton, Canada), qui discutait la présentation, les résultats l'ATLAS ACS-TIMI 51 appellent de « nouveaux standards pour la traitement antithombotique après SCA ». Le Dr Armstrong a toutefois posé un certain nombre de questions concernant la disjonction entre effet sur les IDM et effet sur la mortalité du rivaroxaban, ainsi que sur un effet-classe, qui devait aussi concerner l'apixaban.

 
L'étude montre le bénéfice de l'adjonction d'une très faible dose de rivaroxaban à la bithérapie antiplaquettaire — Dr C. Michael Gibson (Boston, E-U)
 

De leur côté, les Drs Matthew T Roe et E Magnus Ohman (Duke University), qui signent un éditorial accompagnant la publication du NEJM, notent que l'étude est « le point culminant de deux décennies de recherche pour associer traitements plaquettaires et anticoagulants. »

 
… Cette étude est le point culminant de deux décennies de recherche pour associer traitements plaquettaires et anticoagulants — Drs Matthew T Roe et E Magnus Ohman (Duke University)
 

Les deux éditorialistes mettent néanmoins en avant la multiplication par un facteur voisin de 4 du taux de saignements majeurs, ainsi que certaines faiblesses du recrutement (25% de femmes ; 9% de patients > 75 ans ; plus de 75% de fonctions rénales normales). Dans ces conditions, ils estiment que « les résultats de cette étude sont un développement important pour les patients relativement jeunes et en bon état général », mais « qu'il reste du travail à faire, puisqu'une proportion importante de SCA traités en routine surviennent chez des patients âgés, présentant des pathologies multiples. »

Une faible dose et une très faible dose

ATLAS ACS-TIMI 51 fait suite à une phase 2, ATLAS ACS-TIMI 46, qui avait testé des doses allant de 5 à 20 mg/j chez 3491 patients, qui avait mis en évidence une réduction de l'incidence du composite décès, IDM, AVC, ainsi qu'une augmentation dose-dépendante des saignements [3]. Logiquement, la conclusion avait donc été en faveur des doses faibles, voire très faibles.

La phase 3 a donc évalué les doses de 2 x 2,5 et 2 x 5 mg/j, chez 15 526 patients, recrutés dans quelques 766 centres, répartis dans 44 pays. Ces patients, âgés de 61 ans en moyenne, présentaient un IDM-ST+ pour 50,3% d'entre eux, un IDM-ST- pour 25,6% d'entre eux, et un angor instable pour 24% d'entre eux. On note que les patients de moins de 55 ans présentaient, outre l'évènement index, un antécédent d'IDM ou un diabète. On note également que le protocole prévoyait que les patients présentant des antécédent d'AVC ou d'AIT seraient exclus de la bithérapie antiplaquettaire. Enfin, la clairance médiane de la créatinine était de 85 ml/min (intervalle interquartile : 68-105 ml/min).

La randomisation entre l'une des deux doses de rivaroxaban et le placebo a été effectuée dans les proportions 1 :1 :1, en moyenne 4,7 jours après l'évènement index. Le traitement antiplaquettaire comportait de l'aspirine (75-100 mg/j), et une thiénopyridine (clopidogrel ou ticlopidine), laissée à la discrétion du médecin traitant. Une bithérapie a été prescrite à 93% des patients, la durée moyenne du traitement étant de 13,3 mois.

S'agissant du rivaroxaban, le traitement a été suivi durant 13,1 mois en moyenne, avec un maximum à 31 mois. Les taux d'interruption de traitement ont été de 29,4% pour la dose de 5 mg, de 26,9% pour la dose de 2,5 mg, et de 26,4% pour le placebo.

Enfin, le critère primaire d'efficacité associait décès cardiovasculaires, IDM et AVC (ischémiques, hémorragiques ou d'origine incertaine), les saignements majeurs (TIMI) non associés à un pontage étant, eux, considérés comme critères primaires de sécurité.

Efficacité sur le critère primaire

L'efficacité et la sécurité ont été évaluées par analyse de Kaplan-Meier à 24 mois. On note que l'évaluation de l'efficacité comporte deux analyses en intention de traiter : l'une, globale, l'autre après exclusion, avant la levée du double aveugle, de 184 patients traités en violation des bonnes pratiques, dans trois centres.

Efficacité des deux doses de rivaroxaban par rapport au placebo [p global et (p après exclusion de 184 patients)]


RR 2,5 mg vs.placebo
p
RR 5 mg vs. placebo
p
RR Rivaroxaban total vs.placebo
p
Décès CV+
IDM+AVC
0,84
0,007 (0,02)
0,85
0,01 (0,03)
0,84
0,002 (0,008)
Décès CV
0,66
0,005 (0,002)
0,94
0,57 (0,63)
0,80
0,05 (0,04)
IDM
0,90
0,09 (0,27)
0,79
0,008 (0,02)
0,85
0,01 (0,047)
AVC
1,13
0,47 (0,56)
1,34
0,11 (0,15)
1,24
0,19 (0,25)
Décès toutes causes
0,68
0,004 (0,002)
0,95
0,89 (0,66)
0,81
0,08 (0,04)
Thrombose de stent
0,65
0,02 (0,02)
0,73
0,04 (0,08)
0,69
0,008 (0,02)

Sécurité des deux doses de rivaroxaban par rapport au placebo


RR 2,5 mg vs.placebo
p
RR 5 mg vs. Placebo
p
RR Rivaroxaban total vs.placebo
P
Saignement majeur (hors pontage)
3,46
<0,001
4,47
<0,001
3,96
<0,001
Saignement mineur
1,62
0,09
2,52
<0,001
2,07
0,003
Saignement intracrânien
2,83
0,04
3,74
0,005
3,28
0,009
Saignement fatal
0,67
0,45
1,72
0,20
1,19
0,66

En ce qui concerne les sous-groupes, le Dr Gibson a souligné « l'homogénéité des résultats, bien que les sous-groupes soient sous-dimensionnés pour faire ressortir des écarts significatifs. »

Il n'existe qu'une seule catégorie de patients chez lesquels le rivaroxaban est inférieur au placebo pour l'incidence du critère primaire d'efficacité : les patients présentant un antécédent d'AIT ou d'AVC. On note cependant que sur les 415 patients présentant de tels antécédents, 217 ont en fait été traités par bithérapie antiplaquettaire, associée au rivaroxaban ou au placebo - en violation du protocole, donc.

Des questions sur le mécanisme, sur un éventuel effet classe, et sur les AVC

Examinés dans le détail, ces résultats appellent malgré tout quelques questions. Ainsi, comme l'a souligné le Dr Armstrong, comment expliquer que la dose de 2,5 mg ait un effet significatif sur la mortalité CV et la mortalité toutes causes, alors que ses effets sur les IDM et les AVC sont non significatifs ?

Inversement, comment expliquer que la dose de 5 mg réduise les IDM sans bénéfice sur la mortalité ?

Pour le Dr Gibson, il est probable que la très faible dose a réduit les décès thrombotiques. Par ailleurs, l'absence de bénéficie de la dose de 5 mg sur la mortalité pourrait s'expliquer par l'impact des saignements - significativement plus élevés avec 5 mg qu'avec 2,5 mg - sur l'observance au traitement.

Pour le moment, donc, le mécanisme du bénéfice de mortalité constaté avec la très faible dose, ne fait l'objet que d'hypothèses.

Autre question, soulevée par le Dr Armstrong : l'existence d'un effet classe des anti-Xa dans cette indication. L'essai APPRAISE-2 (Apixaban for Prevention of Acute Ischemic Events) qui évaluait l'apixaban en post-infarctus en complément d'une mono- ou bithérapie antiplaquettaire, a certes été interrompu du fait d'un excès d'hémorragies associé à l'anticoagulation. Toutefois, pour le Dr Armstrong, il n'existe pas d'argument de principe expliquant pourquoi le rivaroxaban apporterait un bénéfice là où l'apixaban se bornerait à faire saigner. En fait, tout pourrait être question de dose, et la dose optimale n'a apparemment pas été trouvée avec l'apixaban.

Enfin, même si le rivaroxaban n'entraine pas d'excès d'hémorragies fatales, l'excès d'AVC, et son cortège d'invalidités, n'est pas un problème marginal. Sur ce point, le Dr Gibson a précisé que, sans remettre en question l'excès d'AVC sous anticoagulation, le Rankin score des patients traités par rivaroxaban est meilleur dans ATLAS que le score des patients sous simple traitement antiplaquettaire. Sur cette question importante, des précisions seraient les bienvenues, notamment une distinction selon le type d'AVC.

Vers une prévention secondaire individualisée après SCA

Au total, l'étude ATLAS ACS-TIMI 51 ouvre une piste pour faire évoluer la prévention secondaire après SCA. La question de l'équilibre entre risque ischémique et risque hémorragique est évidemment au centre du problème. Et comme l'indiquent les deux éditorialistes dans le NEJM, « la balance entre le risque hémorragique et le bénéfice sur le plan ischémique devient de plus en plus délicate à trouver, à mesure que l'on réussit à faire diminuer le risque ischémique. » Et de souligner que « beaucoup de saignements majeurs sont survenus à plus de 180 jours, et sans effet de plateau », et que le risque est « systématique à travers tous les sous-groupes, avec des taux majorés chez les patients de petit poids, et les patients âgés, de même que chez les patients avec fonction rénale réduite, et ceux recrutés en Amérique du Nord. »

« Une meilleure compréhension du rôle du rivaroxaban chez les patients à haut risque, est nécessaire », estiment-ils, en concluant qu'une « nouvelle ère a commencé en matière de prévention secondaire, qui se caractérisera par la nécessité d'évaluer le risque ischémique versus le risque hémorragique pour sélectionner le type, le nombre et la durée des traitements antithrombotiques pour chaque patient en particulier. »

 
Les résultats de cette l'étude montrent que le rivaroxaban jouera un rôle important dans cette prévention secondaire optimisée — Drs Roe et Ohman
 

Il reste que « les résultats cette l'étude montrent que le rivaroxaban jouera un rôle important dans cette prévention secondaire optimisée. »

Prescririez-vous du rivaroxaban dès à présent à l'un de vos patients après un SCA ?

Cette question est au fond la seule qui vaille. Et la réponse unanime, donnée par le Dr Gibson, le Dr Armstrong, ainsi que par le Dr Deepak Bhatt (Boston), qui a participé à ATLAS ACS-TIMI 51, est un non sans ambiguïté, tant que la FDA n'a pas validé cette indication, et probablement, tant que les questions soulevées par le Dr Armstrong n'ont pas reçu un commencement de réponse.


L'étude ATLAS ACS-TIMI 51 a été financée par Johnson & Jonhson et Bayer Healthcare.

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