Le casse-tête diagnostique de la maladie de Lyme

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

5 octobre 2011

Maladie de Lyme: diagnostic, sérologie et antibiothérapie

Des symptômes cardiaques, oculaires, neurologiques, méningés, psychiatrique, osseux,…doivent faire penser à une maladie de Lyme si aucun autre diagnostic n'a pu être établi. 5 octobre 2011

 

Paris, France - Lors de son intervention sur la maladie de Lyme aux Entretiens de Bichat 2011, le Pr Christian Perronne (Service d'infectiologie, Hôpital Universitaire Raymond Poincaré, Garches) a rappelé les pièges diagnostics et la symptomatologie fleuve de la maladie de Lyme à tous ces stades, mais aussi le problème de la mauvaise sensibilité de la sérologie et la conduite à tenir en cas de diagnostic [1].

La maladie de Lyme a été décrite en 1975. Elle est due à Borrelia burgdorferi, une bactérie spiralée, transmise par les piqûres de tiques. Cette maladie fréquente et universelle touche 10 cas sur 100 000 en France, soit un peu plus que la tuberculose. En Alsace, la région la plus touchée, son incidence est de 86 à 200 cas pour 100 000 personnes.

« Tout le problème est que ces chiffres sont surement sous-estimés car basés sur la sérologie officielle qui n'est pas satisfaisante et qui n'a pas évolué depuis 30 ans », a expliqué Christian Perronne.

Les obstacles au diagnostic

Le premier obstacle au diagnostic de la maladie de Lyme est que les piqûres de tiques passent inaperçues dans 69% des cas.

« Les raisons pour lesquelles elles passent inaperçues sont que les larves et les nymphes ne font parfois pas plus de 2 millimètres. Aussi, les tiques piquent parfois dans des zones peu visibles et certaines se décrochent rapidement », a souligné Christian Perronne.

Le seul élément diagnostic pathognomonique de la maladie au stade primaire est l'érythème migrant (EM) qui n'est présent que dans 70 à 80 % des cas.

En outre, même lorsqu'il est présent, il est souvent confondu avec une piqûre d'insecte, une plaque d'allergie, ou de l'eczéma.

L'EM se présente habituellement comme une lésion érythémateuse arrondie centrifuge qui se développe autour de la piqure de tique avec un éclaircissement central donnant un aspect d'auréole.

Son diamètre est classiquement de 5 à 68 centimètres mais des lésions de diamètres inférieurs à 5 cm ont été observés récemment et ces mini-EM ne sont pas habituellement diagnostiqués comme tels par les médecins.

Attention aux sérologies négatives

Au stade primaire, le diagnostic est uniquement clinique et la recommandation universelle est de ne pas prescrire de sérologie car elle est le plus souvent négative à ce stade.

« Cette recommandation est mal connue des médecins comme l'a montré une enquête publiée en 2003 réalisée auprès de plus de 100 médecins généralistes en Alsace, pourtant sensibilisés à la maladie de Lyme. La moitié d'entre eux demandaient une sérologie avant de prescrire un antibiotique devant un EM », a rapporté Christian Perronne.

Aux stades secondaires et tertiaires de la maladie, lorsque la maladie n'a pas été diagnostiquée et traitée suffisamment tôt et que les symptômes apparaissent, la recommandation officielle est de faire une sérologie en ELISA, IgM et IgG. Si l'ELISA est négatif, le laboratoire a pour consigne de ne pas faire d'immuno-empreinte (Western blot). L'ELISA est positif, le laboratoire doit faire un Western blot pour confirmer le test.

Plusieurs études de la littérature montrent, toutefois, que la sensibilité des tests sérologiques ELISA est médiocre, variant habituellement de 20,9% à 70,5%. Les chiffres proches de 100% observés dans certaines études sont biaisés car seuls les cas séropositifs étaient retenus à l'inclusion.

Des cas d'authentique maladie de Lyme, prouvée par culture des Borrelia, mais à sérologie négative ont d'ailleurs été observés en pratique courante et publiés depuis plus de 20 ans.

« C'est pourquoi, les recommandations européennes incluent dans les critères diagnostiques devant une forte suspicion clinique de neuro-borréliose, la réponse à un traitement antibiotique d'épreuve », a souligné l'infectiologue.

Le problème est que la sérologie a été mise au point depuis plus de 30 ans et n'a pas beaucoup évolué depuis. « Il n'y a pas de gold standard, les signes cliniques ne sont pas spécifiques, et il n'est pas possible d'étalonner ces tests chez les malades par la culture de la bactérie », a souligné Christian Perronne. La sérologie est donc calibrée sur des gens en bonne santé et le seuil choisi ne doit pas dépasser 5% de séropositivité chez les donneurs de sang d'une région donnée. Le seuil de positivité est donc arbitraire.

Enfin, les tests sont toujours basés sur la souche B31 de la Borrelia burgdorferi alors qu'il existe de nombreuses autres souches en Europe qui n'ont pas toujours de réaction croisée avec Borrelia burgdorferi. « Les écossais ont customisé leur sérologie avec des souches locales, et ils ont considérablement amélioré la sensibilité des tests », a expliqué Christian Perronne.

Quand et comment traiter ?

Il n'est pas recommandé de traiter systématiquement les piqûres de tiques s'il n'y a pas apparition dans les jours qui suivent d'un EM à l'exception de la femme enceinte qui recevra une antibioprophylaxie par amoxicilline pendant 7 jours.

En revanche, toute personne présentant une lésion cutanée évocatrice d'EM, même si la piqûre est passée inaperçue, doit recevoir systématiquement une antibiothérapie adaptée pendant 2 à 3 semaines. Les deux principaux antibiotiques recommandés sont l'amoxicilline (3g/j) ou la doxycycline (200 mg/j).

« Dans de nombreux cas où un antibiotique est donné, celui-ci est donné à une dose insuffisante (par exemple 1,5 g d'amoxicilline) et/ou pendant une durée insuffisante (souvent moins d'une semaine) », a précisé Christian Perronne.

Aux stades secondaires ou tertiaires, lors de l'apparition de symptômes douteux des mois, voire des années, après la piqûre, les antibiotiques seront administrés pendant 3 à 4 semaines. Les antibiotiques recommandés sont les mêmes que ceux utilisés au stade primaire, à savoir l'amoxicilline ou la doxycyline. Toutefois, dans les formes sévères et notamment les neuro-borrélioses, les antibiotiques recommandés sont la cétriaxone (2g/j IV ou IM) ou la pénicilline (18 à 24 M UI/ j en perfusion IV).

Le traitement aux stades secondaires ou tertiaires entraîne souvent une exacerbation des symptômes (syndrome de Jarish-Herxheimer). « Ces réactions ne doivent pas conduire à arrêter trop vite le traitement, sauf dans les cas sévères », a souligné Christian Perronne.

Enfin, lorsque les patients rechutent après traitement, et que le syndrome devient chronique, les recommandations américaines et françaises conseillent une deuxième cure d'antibiotique de 3 à 4 semaines en utilisant une classe différente.

Une grande diversité de tableaux cliniques

« Une revue de la littérature montre, par la diversité des tableaux cliniques décrits, que la maladie de Lyme est devenue, comme fût la syphilis, la  "Grande simulatrice " », a commenté Christian Perronne.

Les stades secondaire et tertiaire qui surviennent à la suite d'un stade primaire non traité par un antibiotique adapté ou insuffisamment traité, quelques semaines à des années plus tard, se caractérisent par une grande variété de signes et symptômes dont aucun n'est spécifique.

Il s'agit de symptômes cardiaques (tachycardie, extrasystoles, bradycardie, douleurs thoraciques, épanchement péricardique, myocardite, etc.), « Aux Etats-Unis, au Massachussetts, une région très touchée par la maladie de Lyme, en 2009, 16% des enfants qui avaient une maladie de Lyme avaient une atteinte cardiaque qui pouvait aller du bloc du premier degré jusqu'à la myocardite fulminante», a précisé l'infectiologue.

Il s'agit aussi d'atteintes méningés (méningite lymphocytaire d'allure virale, méningo-encéphalite ou neuroradiculite), ou d'atteintes neurologiques (centraux, médullaires ou périphériques, névralgies et paresthésies, troubles de mémoire et/ou troubles de la concentration, paralysie faciale a frigore, myélite, vascularite, accident vasculaire cérébral), psychiatriques, ophtalmologiques (troubles de la vision, uvéite, occlusion de la veine centrale de la rétine, diplopie, troubles d'accommodation, névrite optique, etc.), articulaires, (arthralgies ou arthrites), musculaires, osseux, cutanés, etc. Certains cas ne sont révélés que par une fatigue intense ou des douleurs.

Parmi ces signes, seuls deux sont pathognomoniques de la maladie. Le lymphocytome cutané bénin est le premier. Cette lésion infiltrée inflammatoire est localisée habituellement dans le lobule de l'oreille, mais parfois sur le pavillon de l'oreille, un mamelon ou le scrotum. Christian Perronne a mis en garde sur le fait que l'histologie du lymphocytome était celle d'un lymphome.

La deuxième anomalie clinique pathognomonique est l'acrodermatite chronique atrophiante ou syndrome de Pick-Herxheimer, qui est un vieillissement prématuré de la peau, le plus souvent limité aux membres inférieurs et très répandu chez les personnes âgées.

Parallèlement, des publications, de plus en plus nombreuses, évoquent un lien, au moins comme co-facteur, entre la maladie de Lyme et certaines formes de maladies autoimmunes, inflammatoires ou dégénératives.

« La maladie de Lyme peut simuler beaucoup de maladies autoimmunes comme le lupus, la polyarthrite rhumatoïde, la sclérose en plaque…Avant de dire à quelqu'un qu'il a ce type de maladie, il faut aussi se poser la question d'une possible origine infectieuse. Le message à retenir est que lorsque ces divers symptômes sont présents, il faut penser à la maladie de Lyme car un traitement par antibiotiques peut parfois les faire disparaitre», a conclu Christian Perronne.

Le Pr Christian Perronne n'a pas déclaré de liens d'intérêts en rapport avec ce sujet.

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