La MAPA en première ligne dans le diagnostic initial d'HTA ?

Dr Jean-Luc Breda

21 septembre 2011

Londres, Grande-Bretagne - Habituellement pratiquée pour débrouiller les cas douteux d'hypertension artérielle, la mesure ambulatoire de pression artérielle (MAPA) devient pour nos confrères britanniques le « gold standard » en matière de diagnostic initial d'hypertension (HTA). Ce changement d'attitude a pour origine une étude, publiée récemment dans The Lancet, qui reconnaît à cet examen une meilleure efficacité et un rapport coût bénéfice plus favorable que la répétition des contrôles en cabinet ou même à domicile [1] [].

« Nous avons développé un modèle virtuel évaluant le rapport coût-efficacité de trois stratégies de diagnostic de l'hypertension artérielle après première constatation de chiffres élevés : contrôles répétés en milieu médical pendant trois mois, à domicile sur une semaine, et enfin mesure ambulatoire sur 24h. Au final, c'est la MAPA qui emporte le match » rapporte le Dr Kate Lovibond (National Clinical Guideline Centre, Londres), principal investigateur de cet essai.

Problème de taille : les résultats de ce travail ne sont que la projection d'une simulation théorique, critiquable à bien des égards. Pourtant, ils ont donné lieu à une révision des recommandations du NICE (UK's National Institute for Health and Clinical Excellence Hypertension Guideline).

Pr Blacher

« La modification des recommandations britanniques nous avait surpris, car elle ne semblait fondée sur aucune raison scientifique », rapporte le Pr Blacher (Hôtel-Dieu, Paris) à heart wire. « Ce travail donne au moins une réponse sur les motivations des experts britanniques, même si on peut s'interroger sur la valeur pratique de ces données. »

Classiquement, on définit comme HTA la constatation à plusieurs reprises chez un patient de chiffres de PA supérieurs à de 140/90 mm Hg. Si la plupart du temps ce contrôle est réalisé en milieu médical, on sait que la mesure à domicile par un médecin ou une infirmière, se révèle un meilleur indicateur pronostique d'AVC et de mortalité cardiovasculaire. La mesure ambulatoire (MAPA) enfin, habituellement réservée aux cas douteux de grande variabilité des chiffres, de résistance au traitement ou de suspicion d'effet blouse blanche, est mieux corrélée avec l'ensemble des complications cardiovasculaires à terme.

Modèle théorique fiable …ou usine à gaz ?

L'équipe britannique a basé son travail sur un groupe d'individus virtuels, âgés de 40 ans ou plus, ayant une prévalence de facteurs de risques cardiovasculaire équivalente à la population générale, et chez qui on pratiquerait un dépistage de chiffres de PA supérieurs à 140/90 selon les trois modalités : mesures répétées en milieu médical, à domicile, ou pratique d'emblée de MAPA.

Les chercheurs ont établi par modèle de Markov une estimation de la qualité de vie ajustée par année (QUALY), et du coût de prise en charge, en se basant sur les perspectives du service national de santé britannique. Ont été considérées différentes tranches d'âge de 40, 50, 60, 70 et 75 ans, en leur appliquant un statut tensionnel théorique conforme aux données de Framingham, et un coefficient le risque d'accident cardio-vasculaire et d'AVC évalué d'après les données d'une étude épidémiologique britannique (Health Survey for England 2006) [2] [3].

Le nombre d'accidents prévu était ainsi majoré pour les sujets hypertendus (tout en prenant en compte l'âge et le sexe), alors qu'il était supposé diminuer par un traitement antihypertenseur. L'équipe britannique a même prévu certains cas d' HTA diagnostiquée à tort (les drogues prescrites étant alors supposées n'apporter ni bénéfice, ni effet secondaire).

L'évolution possible de l'état de santé d'un patient était aussi prise en compte. Le statut « non hypertendu » était ainsi reconsidéré tous les 5 ans, la survenue d'un accident cardiovasculaire non fatal infléchissait l'indice de qualité de vie ultérieure, etc…

La mesure ambulatoire plus efficace et moins chère ?

Au final, les résultats sont favorables à la MAPA, qui présente le meilleur rapport coût-efficacité pour diagnostiquer une HTA dans tous les sous-groupes considérés, quel que soit le sexe et l'âge.

Le bénéfice financier estimé va de 56 £ chez les hommes de 75 ans ou plus à 323 £ chez les femmes de 40 ans, tandis qu'un bénéfice est constaté en terme de QALY, pour les deux sexes et au-delà de 50 ans.

« Ce résultat en terme de coût était largement prévisible : on sait que la MAPA permet de dépister un effet blouse blanche chez 10% à 20% des sujets présentant des chiffres tensionnels élevés en cabinet, qui ne seront donc pas traités inutilement. Le bénéfice financier qui en découle est évident et ne justifiait pas de faire une étude pour cela », souligne le Pr Blacher.

« La véritable question aurait été de comparer cette pratique à l'auto-mesure tensionnelle par le patient lui-même qui coûte moins cher et qui permet elle aussi de dépister un effet blouse blanche. Curieusement cette option n'a pas été évaluée dans ce travail. »

 
Ce résultat en terme de coût était largement prévisible [… ] et ne justifiait pas de faire une étude pour celà ! […] La véritable question aurait été de comparer cette pratique à l'auto-mesure tensionnelle par le patient lui-même — Pr Jacques Blacher (Hôtel-Dieu, Paris)
 

« Le bénéfice se retrouve aussi en terme de qualité de vie ajustée par année, plus favorable avec la stratégie MAPA pour les hommes de plus de 70 ans, les femmes du groupe 60 ans, et pour les deux sexes dans le groupe 50 ans. Cet avantage persiste même si l'on tient compte de nombreuses variations individuelles. Les exceptions sont très rares : c'est le cas par exemple de sujets jeunes non hypertendus chez qui on répète ce dépistage tous les 5 ans. Chez eux les mesures répétées à domicile sont plus pertinentes que la MAPA », affirme le Dr Lovibond.

La décision de traiter ne repose pas que sur des chiffres

Le Pr Blacher relève néanmoins plusieurs problèmes d'interprétation de ces données.

« Prenons l'exemple d'un patient chez qui on trouve par exemple 150 mmHg de systolique en consultation. Sans MAPA, on va le traiter, alors que cet examen, en montrant une moyenne sur 24h inférieure à 135 mmHg aurait évité ce traitement. Les auteurs considèrent qu'il y a, dans ce cas, une dépense inutile, sans aucun bénéfice pour la santé. Or bien évidemment le seuil de 140 est arbitraire. De nombreuses études cliniques ont démontré que dans certaines populations, par exemple les diabétiques, le traitement, même pour des chiffres inférieurs, diminue le risque cardio-vasculaire ! »

 
Cette étude ne va pas révolutionner notre pratique. Si je reconnais à la MAPA une grande utilité dans certains cas, je ne recommanderai certainement pas d'en faire un geste systématique — Pr Blacher
 

Il apparaît donc que le modèle théorique imaginé par nos confrères britanniques, aussi complexe qu'il soit, présente un défaut majeur : il ne tient pas compte du fait que la décision de traiter une HTA ne repose pas uniquement sur la mesure de chiffres, mais doit aussi prendre en compte le terrain, les facteurs de risques associés, les complications et la symptomatologie.

Et le Pr Blacher de conclure que « au final cette étude n'est pas d'une grande importance et ne va pas révolutionner notre pratique. Si je reconnais à la MAPA une grande utilité dans certains cas, je ne recommanderai certainement pas d'en faire un geste systématique, d'autant qu'en France, cet examen n'est toujours pas reconnu par la sécurité sociale qui ne lui accorde aucune prise en charge  spécifique !»

Vers une nouvelle pratique médicale ?

Le travail britannique, mené par un panel de chercheurs indépendants et un comité d'expert, a donné lieu à une mise à jour du relevé NICE (UK's National Institute for Health and Clinical Excellence Hypertension Guideline) des recommandations britanniques en matière d'hypertension.

Ce document est actuellement le premier au monde qui place la mesure ambulatoire de la PA en première ligne dans la confirmation d'une HTA après une première mesure supérieure ou égale à 140/90 mm Hg.

On ne peut que s'étonner de l'empressement des autorités de santé d'outre-manche à baser toute leur stratégie de dépistage de l'une des plus grandes menaces de santé publique du monde occidental, sur des données issues d'une simple simulation : si l'usage de modèles théoriques est intéressante pour définir certains axes de recherche, cette pratique comporte toujours de nombreuses approximations et incertitudes qui rendent indispensable la validation clinique de leurs conclusions.

Après la médecine de nos anciens faisant la part belle au seul « bon sens clinique », après l' « evidence based medicine » reposant sur les grands essais cliniques, allons-nous adopter une pratique dictée par la simulation de pathologie sur des modèles théoriques de patients virtuels ?

Il faut espérer que non. Les praticiens que nous sommes savent bien que la manipulation de données dans un tableau Excell, aussi sophistiquée qu'elle soit, ne reflétera jamais avec certitude la réalité de notre médecine de terrain.


L'étude britannique a été financée par le National Institute for Health Research et le National Institute for Health and Clinical Excellence.

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....