EASD, antidiabétiques GLP-1, sigliptine, exenatide et risque de cancer
Deux experts se sont affrontés à l'EASD sur la question du risque potentiel de cancers avec les analogues GLP1 ou incrétines, nouveaux antidiabétiques largement prescrits. Ni vainqueur, ni vaincu, mais la pharmacovigilance est en état alerte. 19 septembre 2011Lisbonne, Porturgal - Le débat « Pour/Contre » sur le sujet du risque de cancer sous incrétines durant le congrès de l'European Association for the Study of Diabetes 2011 ne ressemblait en rien aux simulations cordiales de désaccord lors des habituelles sessions de controverses. [1]
D'un côté l'expert américain de l'UCLA, Peter Butler (Hillblom Center, Los Angeles) s'appuyait sur les données expérimentales chez l'animal et sur les effets indésirables rapportés à la FDA avec la sitagliptine (Januvia®) et l'exenatide (Byetta®) pour arriver à la conclusion que « les incrétines favorisent la promotion d'états pré-cancéreux, particulièrement néfastes chez des diabétiques dont le risque de cancer est plus élevé que celui de la population générale ».
De l'autre, l'allemand Michael Nauck (Bad Lauterberg) niait toute augmentation du risque de pancréatites et de cancers sous incrétine du fait de l'absence de preuve, solide et valide. Pour lui, ni les résultats chez l'animal (qu'il conteste car non reproductibles), ni les données colligés par le système de pharmacovigilance de la FDA ne peuvent faire la preuve de l'imputabilité de ces produits. Pour en convaincre l'auditoire, il s'est d'ailleurs amusé à présenter des résultats aberrants obtenus en se basant sur la base de données de la FDA. Par conséquent « ces données ne peuvent en aucun cas modifier le rapport bénéfice/ risque de ces produits à ce stade ».
Les incrétines sont de nouveaux antidiabétiques oraux de la famille des Glucagon-like-peptide-1 (GLP-1), agonistes des récepteurs GLP-1 et inhibiteurs des récepteurs DPP-4. Ces produits sont déjà largement prescrits aux diabétiques.
Pour le Dr Butler « Les incrétines peuvent favoriser le cancer »
Pour Peter Butler qui vient de publier dans GastroEnterology sur ce sujet [2], « les signaux recueillis avec cette classe thérapeutiques ne peuvent être ignorés ». En comparaison à quatre autres antidiabétiques utilisés comme groupe contrôle, le nombre de cas rapportés de pancréatites sous exenatide et sitagliptine, entre 2004 et 2009, est six fois plus important. Les investigateurs ont également constaté une augmentation du nombre de cas de cancers du pancréas chez les personnes qui ont pris les deux médicaments, comparativement à ceux du groupe témoin.
Outre l'augmentation des cas rapportés de pancréatites via le système de pharmacovigilance de la FDA, Peter Butler s'appuie sur des expérimentations animales qui montrent que la stimulation des récepteurs GLP-1 favorisent la prolifération des cellules ductales du pancréas (qui tapissent les conduits) faisant le lit d'un état pré-cancéreux (Diabetes, 2009). « Nous craignons que ces effets soient également présents chez l'homme ce qui augmenterait le risque de pancréatite et de cancer du pancréas. »
En outre, le pancréas n'est pas le seul organe potentiellement concerné par l'effet des sécrétines : les récepteurs GLP-1 étant également présents en petite quantité dans la thyroïde, ces produits pourraient aussi favoriser la survenue d'un état pré-cancéreux et de cancers médullaire de la thyroïde, tel que cela a été montré chez le rat.
Dans la publication de Gastroenterology, les investigateurs ont également noté 2,9 fois plus de cancers du pancréas sous exenatide, 2,7 sous sitagliptine et un risque significativement majoré de cancer de la thyroïde sous exenatide (pas de signal avec la sitagliptine).
« Je reconnais que les déclarations de pharmacovigilance de la FDA ont des limites et que seuls des essais contrôlés peuvent faire la preuve de ce type de risque, mais cette base de données a l'avantage d'être très vaste, en libre accès et indépendante de l'industrie pharmaceutique » a souligné le Dr Butler.
« Au final, si la question est : est-ce biologiquement possible ? La réponse est oui » a résumé le Dr Butler..
« Arguments biaisés, résultats non reproductibles et non recevables » Dr Nauck
Le Dr Nauck a organisé sa défense en fonction du niveau de probabilité des différents arguments du partisan du « OUI ».
Concernant, les données expérimentales chez l'animal, le Pr Nauck précise qu'un cas de pancréatite sur un modèle de rat transgénique très particulier a été observé et qu'il n'a pas pu être reproduit. « Les expérimentations animales doivent être analysées avec circonspection. On peut difficilement extrapoler les résultats obtenus chez l'animal car la présence et le niveau d'expression des récepteurs GLP-1 est différent. C'est le cas pour les récepteurs GLP-1 dans la thyroïde dont le niveau d'expression est beaucoup plus élevé chez les rongeurs et les effets un peu différents. »
« De plus, comment passer d'un état pré-cancéreux à un cancer du pancréas, en quelques années seulement comme l'analyse des données de la FDA le suggère ? Il faut plus de temps pour développer un cancer.
Enfin, on ne sait rien du risque de cancer après pancréatite aiguë, la majorité des cas notifiés relèvent plus d'une suspicion de pancréatite aiguë que d'une pancréatite chronique. »
Commentant les résultats publiés par UCLA, Michael Nauck a expliqué qu'ils ne peuvent pas être retenus car totalement biaisés. « Le système de recueil de pharmacovigilance de la FDA est susceptible d'orienter et de « gonfler » artificiellement les déclarations selon la sensibilisation des cliniciens par les médias. Ainsi, en analysant la chronologie des cas de pancréatites et de cancers déclarés, le Dr Nauck a noté d'étranges pics de notifications, l'un après la mise sur le marché, l'autre en 2007.
« Les nouvelles molécules sont généralement plus sujettes à des notifications d'effets indésirables et il aura suffi d'un cas de pancréatite sous exenatide, pour que le nombre de déclarations se mettent à augmenter. »
Le Pr Nauck s'est livré à la démonstration de l'invalidité des chiffres issus de la base de données de la FDA (et à la critique des chiffres avancés par le Dr Butler) en présentant sa propre réplication du travail de l'UCLA. « Nous avons reproduit l'analyse du Dr Butler en affinant légèrement le comparateur et nous constatons l'effet inverse à l'égard des cancers : les patients sous sécrétines ont moins de cancers que les autres, notamment de cancers de la prostate ».
« Au final, la théorie selon laquelle les incrétines peuvent majorer le risque de pancréatite, de cancer du pancréas et de la thyroide est basé sur des données non statistiquement significatives, des résultats sur des modèles animaux non reproductibles et il n'y a pas de cas de cancer du pancréas démontré chez l'homme. Faute de preuve, il faut maintenant surveiller soigneusement les populations et à large échelle pour faire la preuve définitive de leur sécurité à long terme » a conclu le Dr Nauck
La balle est dans le camp de la pharmacovigilance et de l'EASD
Impossible à ce stade de conclure, d'une façon ou d'une autre. Le président de l'EASD, Ulf Smith (Suède), en situation difficile de modérateur (tant les enjeux sont importants !), a fait part de la position de l'EASD sur ce sujet (déclaration publiée sur le site de l'EASD): Il y a des interrogations importantes sur la sécurité de ces produits mais pas de preuve définitive et en aucun cas, les patients doivent interrompre ces traitements.
« Nous sommes confrontés à d'importantes questions de sécurité mais nous ne pouvons pas le résoudre maintenant », a estimé le président de l'EASD. « Il faut urgemment mettre en place des registres de très grandes tailles pour assurer la sécurité des nouveaux produits, la réforme de la pharmacovigilance est une nécessité absolue, nous devons être capables de visualiser et de filtrer les signaux ».
Le président de l'EASD et ses deux invités ont consensuellement recommandés aux diabétologues de suivre les recommandations de l'EASD qui consiste à prescrire de la metformine en première intention à tous leurs patients, ce produit ayant un effet anticancéreux chez le diabétique.
Citer cet article: Les incrétines,nouveaux antidiabétiques, favorisent-elles le cancer ? - Medscape - 19 sept 2011.
Commenter